La puissance poétique d'une géométrie ensorcelée, d'une maison à replis et à couches enfouies, d'un devenir secret. Impressionnant.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/10/20/note-de-lecture-
incantation-pour-nous-toutes-anna-milani/
À peine un an avant le choc «
Géographie de steppes et de lisières », le tout premier recueil de l'Italienne vivant à Montpellier
Anna Milani, «
Incantation pour nous toutes » (publié chez Isabelle Sauvage en juin 2021), proposait déjà de quoi ébranler un paysage poétique et y créer une sourde et pourtant vive inquiétude.
Jouant d'un art de la description comme mine de rien, subtilement ensorcelant dans ses relevés topographiques et géodésiques, capable de déployer discrètement un sentiment éthéré, diffus, qui évoquerait peut-être les extraordinaires harmonies fantômes de
Sandra Moussempès (du côté de «
Colloque des télépathes » ou de «
Cassandre à bout portant », par exemple), voire, dans un tout autre registre, les tesseracts et les labyrinthes intérieurs-extérieurs d'un
Mark Z. Danielewski et de sa « Maison des feuilles », cette incantation donne le signe d'une magie qui détourne le quotidien le plus anodin au nom de forces telluriques et souterraines inscrites dans ses murs et dans ses fondations. Il y a réécriture et palimpseste à l'oeuvre dans ces corridors, ces escaliers et ces soupentes arrachées à d'antiques habitudes, voire à d'anciens esclavages n'ayant que rarement dit leur nom.
Vianney Lacombe, dans sa recension pour Poezibao (à lire ici) ne s'y trompait pas : structure chargée d'histoire, pour le meilleur et pour le pire, la maison construite ici pour nous (« toutes ») par
Anna Milani abolit pourtant les séparations spatiales, le dedans et le dehors, la nature et la culture. Il s'agit bien de laisser entrer quelque chose qui puisse libérer.
Scènes de la vie de l'édifice qui ne se soucieraient pas d'abécédaire, scènes où la magicienne glissée depuis l'âtre saurait se faire chamane ou cosaque l'espace d'un galop dans une plaine sans horizon perceptible, scènes où quelque chose a enfin changé, puisque d'esprits tutélaires asservis, les habitantes du lieu ont désormais « à faire avec les mots » : comme
Catherine Dufour traquant les paradoxes de l'émancipation dans l'épaisseur des murs de pierre («
Entends la nuit », 2018),
Anna Milani déploie sa ruse là où elle n'est guère attendue. Et c'est ainsi que cette poésie pénètre et crée le vacillement salutaire.
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