Chapitre 6 :
Heather
«… L’expression de son visage change alors radicalement. Un petit sourire narquois lui barre la bouche et il mouline l’air avec son poignet comme s’il cherchait ses mots en secouant la tête. Si je ne le connaissais pas si bien, je dirais qu’il réfléchit au meilleur moyen de me blesser. Et lorsqu’il décoche ses mots comme un chasseur ses flèches acérées, je comprends que c’est encore pire que ça. Il vise le cœur.
– Tu sais, pendant longtemps, j’ai essayé de trouver une explication à tout ça. Mais j’ai fini par comprendre que c’était juste de la lâcheté. Une lâcheté dont je t’aurais jamais crue capable. Pas avec moi. Pas toi, Mina.
Je serre les dents quand ces quatre lettres dégoulinent de ses lèvres. Mon poing se ferme furieusement contre ma hanche.
Il n’y a que trois personnes sur terre qui m’appelaient Mina. Mon père, Shane et Jacob. Deux d’entre elles ont disparu de ma vie. La troisième, face à moi, sait pertinemment qu’entendre ce surnom suffit à défragmenter mon âme, et c’est justement pour ça qu’il l’a prononcé. C’est la plus ignoble des bassesses dont il pouvait être capable... »
Prologue :
Heather
Il y a quatorze ans
Ville de Burlington, État du Vermont, USA
«… – Avant, on doit faire un pacte.
Au reflet brillant dans son regard, Shane a l’air de comprendre immédiatement, alors que je me demande de quoi il parle.
– On doit se jurer tous les trois de toujours veiller les uns sur les autres, continue Jacob.
Shane se tourne vers moi, braque ses yeux dans les miens.
– Et de ne jamais se laisser tomber, précise-t-il en hochant la tête.
Je comprends que c’est sérieux. Je veux faire partie du pacte.
– Je vous défendrai, moi !
– T’es une fille, conteste gentiment Shane. C’est à nous de te protéger. Pas vrai, Jacob ?
– Oui, Mina. Allez, viens.
J’obéis en prenant la main que mon frère me tend. Shane glisse aussi sa paume chaude dans la mienne, de sorte que nous formions un cercle tous les trois. Quelques mèches de cheveux épars retombent sur ses yeux noisette.
Jacob grimace derrière son appareil dentaire, puis, très sérieusement, d’une voix grave, rompt le fil du silence :
– On ne doit jamais oublier ce qu’on s’est dit aujourd’hui... »
Je te mens à chaque fois que je me retiens de t'embrasser et que je te laisse croire que j'en meurs pas d'envie, petite reine.
Shane est mon présent. Mon pansement. Ma promesse qu'on peut tomber, se faire mal, et choisir de se relever plutôt que de rester par terre à examiner les écorchures pleines de graviers à nos genoux. On peut même être heureux de marcher à nouveau malgré les cailloux qui restent dans la chair.
– Tu es beau tel que tu es. Avec tes cicatrices. Tes fêlures. Tes maladresses. Tes mauvais choix. Ta peau. Ta peau est belle, Shane. Elle est unique. Elle est toi.
Je loupe une respiration. Redeviens un gosse.
Vulnérable.
Qu’elle pourrait briser plus facilement qu’une brindille.
C'est ça le truc avec Connor. Il a un don pour apaiser les douleurs quelles qu'elles soient.
Il ne minimise pas les sentiments, mais sans en avoir l'air, il arrive à passer de la pommade sur la brûlure pour qu'elle soit supportable.
J'avais peur que tu bouleverses mon monde, alors qu'en fait, c'était toi, mon monde.
Elle seule a la capacité de me faire tomber et d’ôter à qui que ce soit d’autre la force de me relever.
Et ce soir je suis tombé.
Mais ça restera la plus belle de toutes mes putains de chutes.
Ca explique que je me sente si soulagé à sa vue.
Avec elle, au moins, je ne peux pas dire que je m'ennuie! Je suis littéralement passé par toutes les émotions depuis que je l'ai choisie pour cible.
Tout ce que je veux, c’est caresser son âme. Panser ses blessures. Je veux porter ses craintes dans cette petite partie de mon cœur qui bat assez fort pour deux.