Un copain médecin qui s'intéresse au stress post-traumatique m'explique : 'Suite à des expériences choquantes, ton cerveau s'abîme. Comme tu pourrais casser un pied ou t'ouvrir une plaie. Le cerveau a pris un coup et comme pour les autres organes il va falloir du temps pour se réparer. En attendant, il envoie des signaux pour dire qu'il va mal. Les images dans la tête, les cauchemars, du stress et plein d'autres symptômes sont ces signaux. Selon le pays, il faut entre un mois et demi et trois mois pour se remettre d'une expérience traumatisante. Si les troubles persistent au-delà de trois mois, le stress post-traumatique s'est installé et il faut te faire soigner.
Ceux qui instaurent la fermeture des frontières et organisent la politique européenne de gestion des "flux migratoires" ne les voient pas, ces morts. Ce ne sont que des chiffres. Tout au plus ils les déplorent, parfois, rejetant la faute sur les "passeurs" ; comme deux complices devant un juge, ils renvoient la balle sur ceux qui font les basses besognes. Pourtant, si des réseaux de trafic d'êtres humains s'engraissent comme des porcs grâce à une traite négrière moderne, les politiciens européens, eux, se font élire à coups de slogans xénophobes et de mesures "anti-immigration". L'avènement de Frontex et de ses deux mandats, " protéger les frontières et sauver des vies", n'est qu'une autre forme du cynisme de ces pompiers pyromanes.
J'ai toujours du mal à réaliser : les canots qui prenaient la mer en Grèce étaient de meilleure qualité, deux fois moins longs, et transportaient beaucoup moins de personnes. Les gens aussi sont différents, beaucoup viennent de l'Afrique subsaharienne, la plupart n'ont qu'un short et rarement un t-shirt. Loin des côtes, c'est une vision de misère au beau milieu de la Méditerranée.
... Assumer une ligne politique radicale est un repère que je veux garder. Ne pas oublier qu'il y a des ennemis, des responsables, que la situation méditerranéenne n'est pas juste un " drame humanitaire ". Garder à l'esprit que le sauvetage seul n'est pas une réponse profonde tout en ayant conscience de sa nécessité. Je repars avec cette volonté encore plus forte d'allier le geste à la parole, dans la durée.
Tirer une personne de la mer rend puissant, on se sent doté d'une forme d'invincibilité. Mais cette puissance est fragile autant qu'elle est volatile. La réalité, violente, peut reprendre le dessus à tout moment.
Maintenant, tout commence, ou tout s'effondre. Toucher le but sans les siens, accompagnée seulement de la douleur et d'un futur enfant dans le ventre. J'imagine le débarquement comme une deuxième naissance. Une sorte de passage dans une autre dimension. Aussitôt libérés de la mer, les voilà prisonniers de la terre.
Quinze jours de mer c'est peu. Pourtant, je sens que ceux qui débarquent habitent le navire. Embarqués comme individus, ils reviennent comme un groupe.
Bien que les eaux internationales n'appartiennent à personne, le Etats sont responsables de la coordination des sauvetages dans ces zones.
Depuis que l'attention médiatique s'est emparée de Lesbos, la côte où se concentrent les arrivées est un vrai cirque humanitaire : on dénombre plus d'une centaine d'acteurs différents, de très jeunes ONG sans expérience, d'autres plus grosses. Énormément de volontaires affluent et ils n'ont pas souvent de formations adéquates. En gros, il y a trois catégories : les poids lourds avec beaucoup de moyens, mais qui ne savent pas toujours comment les utiliser efficacement; les petites ONG et associations en recherche de visibilité médiatique, qui ont beaucoup de bénévoles mais qui n'ont pas les ressources nécessaires. Et puis il y a les volontaires indépendants et des activistes anarchistes, rassemblés autour du camp autogéré de Platanos. Étonnamment, il fonctionne plutôt bien.
Un copain médecin qui s'intéresse au stress post-traumatique m'explique : "Suite à des expériences choquantes, ton cerveau s'abîme. Comme tu pourrais te casser un pied ou t'ouvrir une plaie. Le cerveau a pris un coup et comme pour les autres organes, il va falloir du temps pour se réparer. En attendant, il envoie des signaux pour dire qu'il va mal. Les images dans la tête, les cauchemars, du stress et plein d'autres symptômes sont ces signaux. Selon les pays, on considère qu'il faut entre un mois et demi et trois mois pour se remettre d'une expérience traumatisante. Si les troubles persistent au-delà de trois mois, le stress post-traumatique s'est installé et il faut te faire soigner. ". Du coup, je décide de vivre avec ces trucs, d'attendre trois mois et puis on verra.