L'incroyable capacité de Hopper à nous toucher découle en partie de son talent à représenter l'architecture extérieure en même temps que le for intérieur de ses personnages.
" Notre architecture natale, par son hideuse beauté, ses toits fantastiques, qu'ils soient pseudo-gothiques, mansardés, coloniaux, mixtes ou que sais-je encore, par ses couleurs vives ou sa douce harmonie de peintures usées, ses bâtiments accolés les uns aux autres le long de rues interminables, (...) tout cela revient encore et toujours, comme ce devrait être le cas dans toute représentation honnête des scènes américaines. Les grands réalistes européens ne se sont jamais donnés trop de mal à dépeindre l'architecture de leur terre natale dans leurs œuvres. "
EDWARD HOPPER.
Sans recourir à la moindre figure humaine, Hopper est capable de transmettre, à travers une rangée d'immeubles tout à fait ordinaires, une impression de vie omniprésente et d'activité humaine insouciante. L'action, le drame même, semble plus subtilement inhérente parce qu'elle n'est justement pas manifeste.
En peignant des paysages architectoniques, des ponts, des chemins de fer et d’autres objets inanimés, Hopper se dévoile beaucoup. Il semble caresser les immeubles de son pinceau — la texture du verre, de l’acier, de la brique, du bois et de la pierre est fidèlement rendue. Les visages, en revanche, peuvent être rigides et fastidieux : ils laissent transparaître une tendre maladresse, comme si l’artiste était gêné à l’idée de les toucher.
Si Hopper n'avait pas goût à peindre les portraits des personnalités riches et célèbres, il gardait également ses distances avec les attractions touristiques et les grands sites de la ville. L'artiste a créé son propre paysage urbain en se passant de ce qui a fait la renommée de New York : les gratte-ciels. La ville verticale, et son pendant pictural qui est la peinture " en portrait", laissaient Hopper de glace, comme il n'hésitait pas à le dire lui-même : " Je suis désolé qu'il n'y ait pas un seul tableau vertical dans mon œuvre. " Hopper a peint plusieurs ponts de New York — les plus grandes structures horizontales qu'il ait pu voir —, mais jamais le plus connu, le Brooklyn Bridge. Le Woolworth Building, le Jefferson Market, le Chrysler Building ou l'Empire State Building sont également inexistants dans son œuvre.
Ainsi, la divergence entre l’inanimé et l’animé est subsumé par le paradoxe de Hopper : le vide prend tout son sens, le silence s’articule, la banalité devient intense, la simplicité mystérieuse et la frivolité noble.