Baptiste Virot

- Ecoutez Monsieur, si vous acceptez le principe du divorce aujourd'hui, les choses seront assez simples. Si vous refusez...
- Je ne veux pas divorcer.
- Vous savez, il suffit à Madame de quitter le domicile conjugal, et au bout de deux ans elle demandera le divorce pour altération définitive du lien conjugal ! Mais il faudra reprendre la procédure à zéro et ça va vous faire de nouveaux frais et c'est votre avocat qui empochera !
- Elle ne partira pas de la maison. Elle veut la garder. Dieu merci, quand on s'est mariés, on a fait un contrat de séparation des biens ! C'est la seule chose qu'on a en commun, moitié-moitié... Elle sait qu'elle ne pourra plus aller au ski : l'appartement, c'est avec mes salaires qu'on l'a acheté. Et mes bons placements financiers, elle en verra pas la couleur, elle risque pas de partir avec. (...) En tout cas, elle peut pas partir. Mon avocat m'a dit que d'un point de vue patrimonial c'est trop risqué pour elle, qu'elle serait sûre de perdre la maison. Il m'a dit : 'Quitter le domicile conjugal c'est comme perdre sa tour aux échecs.'
- Oui, enfin du coup vous la contraignez à faire un divorce pour faute... Ça veut dire qu'il va falloir déballer vos petites histoires, qu'elle montre que vous avez... je sais pas... que vous l'avez trompée, que vous dilapidiez l'argent du ménage... Elle va aller demander des attestations aux amis, à la famille, aux enfants... Enfin bon, si ça vous dérange pas...
- ... glppp ... [ il visualise ses 'écarts' ]

- La correctionnelle c'est vraiment pas de tout repos. On n'est plus du tout dans la discussion [comme aux Affaires familiales]. Mais plutôt dans la punition. Le juge doit représenter l'autorité. C'est intéressant aussi mais beaucoup plus loin de l'humain ! C'est un peu ça qui me manque : trouver des compromis, essayer de résoudre des situations qui sont peut-être banales mais plus délicates à traiter ! On arrive parfois à voir plus clair dans la vie des autres que dans la sienne...

[ une juge aux affaires familiales ]
- Ma vocation à la base c'était juge pour enfants. Ici aussi c'est dans le concret que j'ai l'impression de les aider. En aidant les parents, on aide les enfants.

(p. 40)

T'inquiète, mon binôme, a fait trois ans qu'on bosse ensemble et bin lui il juge tout de la même façon. Tak la loi di ça ! Tak c'est prévu comme ça ! Y a pas de place pour les sentiments. Parfois, il laisse à peine les avocats parler. Bon d'un côté, ça traîne pas hein. Y a des dossiers traités en deux minutes chrono ! Bon tous les juges mecs sont pas comme ça hein. Mais disons que le mien préfère garder sa distance avec les histoires des gens. C'est un peu comme s'ils avaient l'impression de mettre les mains dans le caca quoi !

C'est pas que je veux pas payer, c'est mes enfants, mais bon… Quand je les ai le week-end, je leur paye des trucs ! L'autre jour, j'ai payé le cinéma et les pop-corn. […] Ben oui je veux bien payer pour mes enfants, bien sûr que je peux payer quelque chose… Tu veux que je te dise 150€ par enfant ? 200€ par enfant ? Mais comment je vais faire ? Comment je paye les crédits ? Les habits, la bagnole et tout ?! Bien sûr que je vais payer ! Je vais payer, mais je vais crever !

Madame la présidente, je voudrais quand souligner que monsieur l'a abandonnée alors qu'elle était enceinte. Elle a dû porter toute la responsabilité sur ses épaules et tirer un trait non pas juste sur sa carrière, mais sa vie privée… sa vie tout court.

Les affaires familiales, ça prend aux tripes. T'es obligée de mettre un peu de ta personne dedans parce qu'en face c'est des gens comme toi avec des problèmes de couple. Vous savez beaucoup de mecs passent aux affaires familiales parce que ça leur permet d'avancer dans leur carrière. Mais la plupart des JAF sont pas mal investis, et pas que des nanas. Le juge Ybert qui bossaient avec nous est super, et contrairement à ce qu'on peut penser, il prenait un temps dingue à motiver ses décisions. Il n'hésitait pas à demander des enquêtes sociales, ne serait-ce que pour revoir les gens, voir comment ils s'en sortaient avec leurs gamins. Il faut voir le temps que ça prend avec 800 dossiers par an. Ils me font marrer aussi SOS Papa, à prétendre que les juges femmes favorisent les femmes. Quand les gens sont d'accord entre eux, on ne pas s'amuser à foutre la merde et remettre leur choix en cause. Comme si on avait le temps et les moyens de les convaincre que la résidence alternée, c'est mieux pour les enfants. Et quand on voit tous les dossiers où ça arrange bien le père que la mère ait la garde, juges hommes ou juges femmes, on n'a pas vraiment de marge de manœuvre.

Alors voilà ça fait maintenant plus d'un an… voire plusieurs années qu'on ne communique presque plus avec mon mari. On a deux enfants et on habite encore ensemble dans la maison familiale, mais je dors dans la chambre d'amis. Enfin, j'habite dans la chambre d'amis. Je souhaiterais divorcer et avoir la garde des enfants. Mon mari pourrait les prendre comme ça se fait habituellement, un week-end sur deux. […] Mon mari est un peu… disons… dépressif. Il est pilote de ligne et se retrouve en arrêt à cause de la dépression. Quand il était en exercice, il était rarement présent. Mais maintenant, même en étant là, il n'est pas d'un grand soutien pour s'occuper des enfants. En plus, l'aîné est intellectuellement précoce, il a besoin de beaucoup de présence. Il y a ses championnats d'échecs. J'ai dû reprendre mon travail d'aiguilleur du ciel. Depuis que mon mari a été arrêté, il ne touche plus ses primes. Il a été arrêté de vol suite à une chute de patinette.

Votre honneur, si vous permettez, j'aimerais quand même remettre les choses un peu au clair : monsieur veut la résidence des enfants non pas pour se les accaparer, mais parce qu'elles le veulent aussi. Lors du départ de madame, les filles n'ont pas supporté. La grande a fait une fugue car elle était choquée que l'amant de sa mère soit son professeur. Ce dernier a deux enfants d'un premier mariage, alors vous imaginez si elles doivent partager une chambre avec des inconnus ! Elle a fait à un moment donné un choix de vie que ses filles ne sont pas obligées d'accepter. Les filles ont besoin de stabilité qu'elles trouveront avec leur papa : monsieur est organisé, il est présent et peut assumer les enfants.

Ça me rend malade à chaque fois de savoir qu'il y a des enfants derrière toutes ces histoires.