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Citation de Brize


Extrait de la seconde préface :
[…] ce qui me frappe le plus en songeant à l’histoire de ma famille, c’est une éternelle tendance à l’innocence, une innocence qui semble inimaginable, même mesurée à l’aune de l’enfance. Le cousin de ma femme, qui n’a que six ans, a déjà perdu, lui, cette innocence. Il se trouve que certains petits camarades du cours préparatoire ont refusé un jour de jouer avec lui parce qu’il a la peau noire, comme il l’a raconté à ses parents en rentrant de l’école. Apparemment, ses parents, nés et élevés à Chicago et à Gary, ont pour leur part perdu leur innocence depuis longtemps, et s’ils ne montrent aucune amertume […], on décèle cependant une note de chagrin dans leur voix quand on les écoute se demander s’ils ont bien fait d’aller s’installer à l’extérieur de la ville, dans une banlieue principalement blanche, afin d’éviter à leur fils d’être pris dans d’éventuelles fusillades entre gangs et de fréquenter, à coup sûr, une école aux moyens insuffisants.

Ils en savent trop, nous en avons tous trop vu, pour prendre la brève union de mes parents – un homme noir et une femme blanche, un Africain et une Américaine – pour argent comptant. En conséquence, certaines personnes ont beaucoup de mal à me prendre pour argent comptant. Quand on ne me connaît pas bien, qu’on soit noir ou blanc, et qu’on découvre mes origines (et c’est généralement une découverte, car j’ai cessé de mentionner la race de ma mère à l’âge de douze ou treize ans, quand j’ai commencé à flairer que, ce faisant, je cherchais à m’attirer les bonnes grâces des Blancs), je vois la fraction de seconde d’adaptation, le regard qui cherche dans mes yeux quelque signe révélateur. Ils ne savent plus qui je suis. En secret, ils devinent le trouble intérieur, je suppose… le sang mêlé, le cœur divisé, la tragédie du mulâtre pris entre deux mondes. Et quand je leur explique que, non, cette tragédie n’est pas la mienne, ou tout du moins pas la mienne seule, c’est la vôtre, fils et filles de Plymouth Rock et d’Ellis Island, c’est la vôtre, enfants d’Afrique, c’est la tragédie à la fois du cousin de ma femme âgé de six ans et celle de ses camarades blancs, vous n’avez donc pas à chercher ce qui me perturbe, tout le monde peut le voir au journal télévisé, le soir… et si nous pouvions au moins reconnaître cela, le cycle tragique commencerait à se rompre… quand je leur dis tout cela, eh bien, je suppose que je parais incurablement naïf, cramponné à de vains espoirs […]. Ou, pire encore, j’ai l’air de vouloir me cacher de moi-même.
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