Bastien Perchet

La solitude faisait partie de lui, ses proches le lui avaient souvent fait remarquer, parfois sur le ton du reproche, mais il le savait mieux que quiconque. Il vivait comme ça depuis sa plus tendre enfance : juxtaposant un côté très sociable, et un autre très solitaire. Il n’était pas devenu écrivain pour rien, il appréciait ces deux facettes de manière égale : l’une pour vivre, l’autre pour exorciser ce que la vie avait de mauvais, de néfaste. Lui avait les mots quand d’autres préféraient la musique, le sport ou la peinture. Écrire des histoires pour oublier les soucis du quotidien, déverser les sentiments qui le traversent sur des lignes pour éviter de le faire dans la réalité. Les mots comme une arme psychologique, un bouclier pour faire barrière à la souffrance.

Le voyant les accompagna jusqu'à la porte en les tirant par le bras avec une force insoupçonnable. Avant de les pousser dehors, il s'exclama :
— Faites attention à vous ! Faites bien attention !
Puis il s'adressa directement à Robin :
- Qu'avez-vous fait là-bas ? Que diable avez-vous fait ?
Le bois claqua devant les visages estomaqués du couple complètement déboussolé.

Ce qui est drôle avec l’alcool, c’est que plus on boit, plus on a le sentiment de bondir dans le passé. Le premier verre reste toujours sérieux, on trinque, on discute de son travail, de sa famille. Au second, on parle de sexe, de sa jeunesse. Au troisième, on commence à rire pour un rien, à perdre le contrôle de ses gestes. Le quatrième, on retourne au début de son adolescence, l’âge où l’on découvre la vie. Ils en étaient à ce stade, jouant à l’adolescent prépubère qui cherche à connaître l’autre tout autant que soi-même. Pour ce qui est des autres verres, il y a deux catégories : ceux qui reviennent au premier stade de la vie, ne sachant plus marcher ni parler, ils vomissent ou urinent dans leurs pantalons et il y a ceux qui dégénèrent, devenant incontrôlables et violents.

- Je ne comprends toujours pas le rapport.
- Rob… le rapport, c'est qu'après une mort, c'est plusieurs quilles qui tombent en même temps. Tu vois ce que je veux dire ? Personne n'y pense quand ça arrive. Personne ne songe à la femme du mec à qui tu viens de trouer le bide, à son gamin, sa famille, ses amis. En fait, la vengeance, c'est le fléau de l'humanité. Tu butes un type et c'est son frère, son père, sa mère, qui voudra ensuite ta peau. Et l'engrenage ne s'arrête jamais. La folie non plus. Et si les gens ne se vengent pas, ils risquent de devenir comme la majeure partie des épaves qui arpente ma ruelle pour s'échouer dans mon bar.

Pas un silence pesant. Un de ces silences qui remplacent les mots qu’on ne sait pas dire parce qu’ils sont trop forts, trop chargés en émotion, mais aussi trop usés. Dans ce cas, les regards valent mieux que cent discours.

La lampe de chevet créait une ambiance tamisée et chaleureuse que Robin glaça en une seule phrase :
- Tu crois qu'elle va grandir dans quel genre de monde ?
Mélinda comprit qu'il faisait allusion à leur future fille.
- Le même que celui dans lequel nous sommes, répondit-elle en haussant les sourcils, avant de poser son livre, les pages tournées vers le bas.
Robin souffla bruyamment.
- J'ai peur pour elle. Plus le temps passe, plus j'ai l'impression qu'un jour, tout va voler en éclats.

Une toute dernière fois, Robin caressa sa chienne et lui murmura quelques mots à l'oreille. La pauvre bête ne comprenait pas, penchait la tête d'un côté puis de l'autre, la queue entre les jambes.
Au moment de quitter la maison, Joseph tapota l'épaule de Robin sans dire un mot. À sa manière, le vieil homme exprimait son émotion de voir cet homme partir, ce dernier lui rappelant combien il regrettait de ne jamais avoir eu de fils dans sa vie.

C’est simple, vous êtes écrivain. L’inspiration vient soit du vécu personnel, soit d’une imagination débordante, ou des deux dans la meilleure des hypothèses. Dans votre cas, je suis certaine que ce sont vos sentiments qui se reflètent dans vos œuvres. Vous devez avoir le flair pour cerner les gens. Je vous imagine très bien écrire des histoires thématiques, des fictions relayant beaucoup de votre propre vécu…

Alors qu’il s’essoufflait, les paroles de Bill résonnèrent dans sa tête comme une sentence : « La vengeance, c’est le fléau de l’humanité. Tu butes un type et c’est son frère, son père, sa mère, qui voudra ensuite ta peau. Et l’engrenage ne s’arrête jamais. La folie non plus. » Il avait raison depuis le début…

Personne n'est prêt à affronter la mort d'un être cher. La tristesse n’est que le prélude, car un mélange âpre et rugueux s'installe ensuite, mêlant incompréhension, haine et rage. Certains ne parviennent jamais à s'en remettre. En réalité, personne ne s'en remet véritablement…