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Jean Lopez et Benoist Bihan - Conduire la guerre : entretiens sur l'art opératif


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Introduction
On pourrait croire que la pensée stratégique s’élabore sur la base d’une analyse précise et juste des enseignements de l’histoire ; qu’elle est, selon la formule tant répétée, « un art fondé sur une science ». Il n’en est pourtant pas réellement ainsi. « Penser la stratégie » […] doit donc commencer par une exploration : celle des raisons pour laquelle cette discipline, malgré plusieurs millénaires de pratique, reste caractérisée par la médiocrité générale de nombre de ses théoriciens, à quelques heureuses et remarquables exceptions […].
Certes, reconnaissons tout d’abord la difficulté considérable que représente l’élaboration théorique d’une discipline qui, si elle est une « praxéologie » – une science de l’agir – échappe à être réduite à une science sociale ordinaire par la spécificité de son objet premier et fondamental, la politique et sa « poursuite par d’autres moyens » : la guerre. Le domaine à embrasser est colossal ; la profondeur d’analyse nécessaire n’a d’équivalent que l’ampleur du champ de vision exigé. Art élitiste, donc, la stratégie, qui ne serait réservé qu’à d’improbables génies surgis de l’histoire ? Voire.
Constatons d’abord que, si l’exercice de la stratégie est bien un art, et offre toute sa place au génie, cette « libre activité de l’âme » décrite par Clausewitz, ce génie empirique n’a jamais été amoindri lorsqu’il s’est conjugué à une forme de théorisation de sa pratique : Napoléon n’est pas moins grand d’avoir étudié Hannibal, César, Turenne et Frédéric II, mais aussi les nombreuses cartes géographiques du Dépôt de la Guerre et les écrits des théoriciens les plus en pointe de son temps : Bourcet, Du Theil… Comme dans les beaux-arts, la maîtrise théorique magnifie, et ne dégrade pas, l’inspiration et la créativité stratégiques. Cela signifie aussi que l’on peut accéder à une compréhension authentique de la stratégie comme l’on peut apprécier et comprendre en profondeur un tableau sans être soi-même peintre, ou un opéra sans savoir diriger un orchestre ou chanter Carmen. La rareté du génie n’explique donc pas à elle seule la pauvreté de la pensée stratégique et la faiblesse de nombre de ceux qui se piquent actuellement de sa théorie.
Il nous semble au contraire que la clé d’explication vient, au moins en partie, d’une autre direction qu’avait déjà identifiée Clausewitz : celle des sources de la connaissance stratégique. Cette dernière, par nécessité, repose sur l’histoire, qui est le matériau expérimental d’une discipline qui relève des sciences de cet ordre. Chaque conflit, chaque crise, chaque guerre sont pour le stratégiste le fondement expérimental de sa pensée, le ferment de sa théorie, la source à laquelle il va puiser sa propre créativité conceptuelle. Ce qui semble une évidence est toutefois rarement vérifié en pratique, et l’affirmation de Clausewitz demeure aussi vraie aujourd’hui qu’à son époque : « Il est rare, cependant, qu’on sache tirer un pareil parti des exemples historiques, et, le plus souvent, l’usage que l’on en fait dans les théories blesse bien plutôt l’esprit qu’il ne le contente. »
Trop souvent, en effet, ce n’est pas de l’histoire que procède la théorie stratégique, mais de son interprétation. Un fait n’est que trop rarement pris pour ce qu’il est, mais au contraire sorti de son contexte, orienté dans un sens tel qu’il n’est pas utilisé pour fonder la théorie, mais pour justifier celle-ci. […] La stratégie souffre de cette même maladie nommée biais de confirmation.
Un second travers cognitif vient aggraver le premier, en rendant difficile à nombre d’auteurs, y compris les mieux intentionnés, de simplement déceler le moment où ils s’en rendent coupables. Il s’agit de celui qu’en heuristique on nomme biais de disponibilité, c’est-à-dire le fait de n’avoir recours qu’aux informations immédiatement disponibles pour étudier un problème. Or, bien plus que d’autres disciplines, l’étude stratégique souffre aujourd’hui de la pauvreté de ses références historiques. Elle le doit sans doute au déplacement du socle de formation intellectuelle de ses praticiens du domaine de l’histoire – discipline qui, il est vrai, a largement tourné le dos à l’étude de la polémologie – à celui des sciences politiques et des relations internationales, qui usent et abusent d’exemples historiques, mais sans jamais réellement vérifier ceux-ci, et surtout n’ont pour l’essentiel recours qu’à un nombre limité d’exemples, toujours les mêmes, souvent empruntés à un cadre historique précis – l’époque contemporaine – mais aussi à une historiographie largement obsolète, comme si l’histoire était une discipline morte, où la connaissance n’était pas soumise à révision régulière.
Cela pose, on s’en doute, un ensemble de problèmes. Le principal est évidemment de remettre en question la validité d’un certain nombre de conclusions théoriques lorsqu’elles sont tirées d’exemples factuellement inexacts. Mais le recours à des exemples faux ne fait pas qu’invalider certaines conclusions, ce qui en soi ne serait pas problématique dans une science expérimentale dès lors qu’elle obéit à une révision paradigmatique régulière. […] En stratégie, hélas, on ne manque pas d’exemples de conceptions erronées qui perdurent malgré leur invalidité manifeste, sous prétexte d’être appuyées sur « les leçons de l’histoire ». […] Le problème, ici, est moins que puisse s’installer une erreur que le fait que cette erreur ne soit presque jamais corrigée faute de culture et de débat historique au sein de la communauté stratégique. Absence de culture historique suffisante ou refus de se confronter à ses préjugés sur l’histoire, le résultat est le même : la théorie est appauvrie, dérive vers l’erreur et, lorsque l’erreur conduit à des désastres, décrédibilise l’idée même de stratégie.
Cela signifie que faire de la stratégie ne suppose pas seulement d’utiliser l’histoire comme source d’exemples illustratifs et édifiants, alors même que la majorité des « stratégistes » se limitent à cet usage. Au contraire, faire et penser la stratégie signifie en comprendre les ressorts et la logique pour en tirer des conclusions théoriques justes, c’est-à-dire qui demeurent justes même lorsque les exemples pris initialement comme « matériau expérimental » s’avèrent incomplets, ou sont relativisés par les progrès de la recherche. Cet objectif n’est pas inaccessible, loin de là, mais suppose cependant quelques prérequis qui sont, hélas, souvent absents. Le premier est évidemment d’être conscient de l’existence des biais précités, et de se méfier d’y tomber. Le second est d’admettre que l’histoire stratégique n’est pas un simple catalogue d’exemples, mais bien la base de l’élaboration de toute forme de stratégie théorique, et que sa connaissance et sa compréhension doivent donc être l’objet d’attentions permanentes : c’est la compréhension des processus historiques qu’il faut rechercher, et non l’illustration par des vignettes d’un propos finalement anhistorique.
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