Bernard Bobin

Il finit par s’assoupir et entrer dans un monde de chimères. Il était devenu la proie de ses souvenirs, l’enfant sans grands souvenirs en fait, mais marqué par des angoisses inconscientes, subliminales. Ces bribes débridées. Il effaçait d’un coup des décennies de vie et replongeait dans des miasmes obscurs.
L’obscurité qui le cernait était effrayante, épaisse, bruissante, ahurissante et il sentait le matelas de son lit aussi mouvant et inquiétant qu’une houle marine. Des vagues déferlaient sur le sable comme autant de pleurs mal contenus. Il se sentait pris, pincé, happé par des tourbillons sans tenue ni retenue. Des hordes de petites créatures, on lui dirait plus tard qu’il s’agissait de Lilliputiens, s’ils existaient, le trituraient, le griffaient. Piqûres, mordillements, claques insonores et tout n’était que violence dans un silence assourdissant. Sueur, frissons, ruissellements glacés et toujours cette houle qui le tiraillait et le rejetait titubant, le submergeait à la limite de l’étouffement.
Il se battait contre ces autres, si absents qu’ils ne l’étaient jamais.
Il s’éveillait chaque fois trempé, croyant se voir hurler sans entendre aucun son, sans même savoir si c’était lui dans cette obscurité intrigante, enlisante. Il s’éveillait avec une sensation de brûlure aux mollets, sans être certain qu’il s’agissait bien des siens tant il sentait L'Autre tambouriner pour s’enfuir ou l’enfouir.

Au début, il y a des années maintenant, il avait effectivement cru que L'Autre s’était perdu. Il avait cru qu’il avait enfin égaré, étouffé, jugulé, cette présence secrète qui, depuis toujours, n’avait cessé de le chercher et de le contrer. Les cartes étaient redistribuées; en tout cas une carte maîtresse s’était estompée.

- Il y a des moments où tu as l’air d’entendre ou d’écouter quelqu’un, ou de le chercher, de l’attendre. Enfin, c’est mon impression. C’est vrai, je ne te l’ai jamais dit. Parfois on dirait que tu cherches ton double.
- C’est marrant Sophie et curieux… Je crois que je comprends.

Résumé de présentation du livre.

Justin Roland est à la recherche de son jumeau jamais connu. Ce faisant, progressivement, délaissant la folle ronde des pensées qui le colonisent, il cède à la présence envahissante d’un peintre dont il peine à cerner l’identité.
Cette quête têtue et irrationnelle, menée sur plusieurs décennies, a pour toile de fond, l’évolution de notre quotidien.
On y constate le développement de l’individualisme, avec, en parallèle, une érosion régulière, plus ou moins consciente, plus ou moins consentie, de la liberté individuelle. Le tout sous couvert d’un devoir imposé d’altruisme.

Courte biographie.

Bernard BOBIN, né à Paray-le-Monial, se prend très tôt de passion pour les études littéraires comme en témoigne son cursus achevé à l’Université de Dijon. Professeur d’anglais dans le secondaire, il rejoint l’enseignement supérieur après soutenance d’une thèse sur William Styron. C’est à Dijon, après Besançon, qu’il termine sa carrière universitaire. Il y réside désormais et y cultive son amour de la langue française.