Citations de Bertrand Dicale (39)
Dans le flot continu de la musique à la radio, dans le désordre d'un baladeur MP3, dans l'océan des ressources d'un service de streaming, quelques chansons-parfois une seule-trouvent les mots ou déploient une émotion abstraite qui s'accorde pleinement à l'instant. Un élan, un soutien, un encouragement, une consolation.
Gainsbourg est un rebelle. Sa poésie est une arme. Il la lance avec la hargne du désespoir contre toutes les formes du mensonge et de l'hypocrisie. Son œuvre appartient aux plus hautes lignées de la chanson française.
François Mitterand
Gainsbourg déserte peu à peu la réalité de son parcours terrestre. Il entre dans la mince cohorte des mythes.
"Qu'est ce que je fous là ? Ma musique, c'est Chopin.."
En play-back, Serge Gainsbourg mime donc ses chansons, et les mime avec son sens du rythme très particulier. En effet, on le voit souvent réagir d'un mouvement du menton ou de la tête, puis des reins, à un temps fort de la rythmique... mais après celui ci, comme s'il ne savait pas l'anticiper. L'effet de décalage est souvent curieux et définit même une sorte de signature visuelle très singulière.
Personnalité ambiguë dans un temps sans ambiguïté, Georges Brassens y jouit d'un statut d'homme de gauche qui, s'il n'est pas usurpé, doit être largement nuancé et tempéré. Il est de gauche, certes, mais d'une gauche qui, par exemple, ignore la condition ouvrière, qui est alors l'alpha et l'oméga de tout discours sur la justice sociale. La gauche de Brassens n'a pas non plus grand souci de l'exercice du pouvoir, ni d'aucune lutte sociale.
Raconter l'enfance d'un artiste, c'est y chercher des présages.
Poète et anar, savant et fredonnable, lettré et populaire, Georges Brassens est devenu l'incarnation de l'idéal français de conciliation des contraires.
Nous avons le même hymne pour les Lumières et pour nos ténèbres.
Sur la Marseillaise
Aujourd'hui, le sexe n'est plus un enjeu. On le métaphorise, on le stylise, on l'idéalise [...]. C'est autre chose qui trouble, qui heurte, qui libère - des images de soumission, de douleur, d'angoisse, de perdition, de psychologie déréglée par et dans la sexualité. [...] De publicités hot en séries télévisées décommandées aux mineurs, de youPorn.com en audaces de Rihanna, rien n'est plus mainstream que le sexe vu de face. Le chanson n'a pas grand chose à ajouter.
P 625
Chanter le sexe, ce n'est pas seulement brailler La Digue du cul au fond d'un gymnase pour faire rougir les filles de quatrième quand le prof d'EPS a le dos tourné. C'est une affaire infiniment plus sérieuse, qui mobilise depuis quelques centaines d'années les meilleurs auteurs de la chanson française.
P620
Chaque époque a besoin d'un passé, et d'un passé qu'elle retrouve au présent de l'indicatif. On oublie certains chanteurs, et parfois même de leur vivant parce qu'on a plus besoin d'eux. Leur intelligence, leur sucre, leur délicatesse, leur audace, leur sagesse, leur outrance ne répondent plus à l'état de nos consciences dans l'instant. [...]
On oublie les chansons qui ne nous parlent plus, fussent-elles sublimes et portées par des voix incomparables. On n'écoute que ce dont on a besoin. On n'oublie par; on efface. Et alors, certains morts meurent plus que d'autres.
P496
Il [Miossec] a débarqué la trentaine passée [...] décrivant de très près une société qui n'offre même plus de débouchés aux bons élèves dociles, qui a fait des femmes plus fortes que les hommes, qui n'espère même plus en l'amour durable, qui a laissé le sida éteindre les illusions fleuries et libertaires des années 70. Pessimiste? Même pas. Juste les yeux ouverts.
P 447
Elle [la Marseillaise] rappelle à cette nation que marcher dans la nuit, c'est toujours aller vers le jour. Nous avons le même hymne pour les Lumières et pour nos ténèbres.
P. 436
Un homme voyage, c'est-à-dire qu'il convoque le lointain. Un homme s'aventure, c'est-à-dire qu'il échappe à sa biographie. Un homme raconte, c'est-à-dire qu'il rêve.
[Dans le chapitre consacré à Bernard Lavilliers, p. 412]
Quand Napoléon III et sa police ont raison des goguettes, un certain nombre de leurs habitués se résigneront au vin silencieux des débits de boisson, mais beaucoup d'autres - tant qu'à risquer la prison! - basculeront dans l'action politique. Et la Commune de 1871 est peut-être aussi l'explosion en actes, furieuse et précipitée, des chansons que le peuple avait été empêché d'écrire.
P. 348
Longtemps, Serge Gainsbourg a été ainsi: inclassable, incompris et même inaudible. Aussi incroyable que cela puisse paraître aujourd'hui [...] cet artiste-là n'a pas toujours été un génie. Il a même été longtemps un raté, un faiseur, un mondain, un personnage plus remarqué pour sa barbe de trois jours que pour ses chansons.
P. 338
Lui aussi sait qu'il faut connaître la nuit pour aimer vraiment la lumière.
[Chapitre sur Michel Delpech, p. 256]
Il compte parmi les chrétiens qui trouvent un verset décisif au chapitre 6 de la première Épître de Paul aux Corinthiens: "Tout m'est permis, mais tout n'est pas utile; tout m'est permis, mais je ne me laisserai asservir par quoi que ce soit."
[chapitre sur Daniel Darc, p 237]
Depuis, l'on peut raconter que la censure n'habite plus le quartier, qu'on ne l'a plus vue depuis longtemps, qu'on l'a priée de déguerpir. En fait, on lui a seulement rapetassé une robe présentable. Elle est souterraine, secrète, faux cul, ondoyante. Elle ne décrète plus, ne donne plus de grands coups de tampon violet. La censure ne fait plus que de petites moues entendues, signes de l'entre-soi d'une moralité postmoderne précautionneuse et "responsable". Aujourd'hui, elle ne fait plus que murmurer, tout en regardant ostensiblement dans le vague, comme un pick-pocket consciencieux. Mais elle n'est pas moins efficace que jadis.
P 179