Bertrand Lavier

Je me définis toujours comme artiste, non comme peintre ou sculpteur. Et indépendant. Je me sens aussi d'avant-garde, car ce terme est maintenant tellement décrié qu'il va dans le sens de l'indépendance. Il y a un tel désarroi dans les idées et au niveau du marché qu'on a tout intérêt à brouiller les pistes, à dire que l'avant-garde n'existe plus et que tout est possible à l'endroit comme à l'envers...

Une oeuvre réussie, c'est une oeuvre qui m'empêche de dormir et qui va faire partie de mon musée imaginaire.

B.M. - Il est de bonne guerre que je tente de vous forcer dans vos retranchements, même si je sais très bien qu'il est des limites que la logique de votre art vous interdit de franchir. Il me plaît en tout cas de penser que l'oeuvre de Bertrand Lavier procède d'une certaine vision désespérée des choses. Je considère d'ailleurs qu'il n'est pas d'art qui ne renvoie à un malentendu de nature. L'art le plus souvent naît de presque rien, d'une crispation, d'un rictus… Il y a dans vos oeuvres quelque chose de l'ordre du rictus. Ce n'est pas, à proprement parler, la franche rigolade, c'est quelque chose de très tendu, de très ténu…
B.L. (dubitatif) - Il faudrait que je voie la définition exacte de rictus…
B.M. - C'est une affaire d'interstice ! Vos oeuvres se situent sur le fil du rasoir, dans un équilibre précaire : à chaque instant, elles peuvent basculer d'un côté comme de l'autre. Finalement, cela se passe le plus souvent à un coup près.
B.L. (comprenant couperet) - De deux choses l'une : ou nous n'avons pas envie de nous couper (ou de nous faire couper), et alors nous sommes sûrs de ne pas vouloir comprendre et nous nous rabattons sur des têtes de chapitre que nous croyons avoir digérées après une belle sieste ; ou nous acceptons le fil du rasoir et dans ce cas, plus nous coupons, moins nous le voyons! Encore que tout ceci soit très compliqué. Je pense, quand moi, faire un art visuellement assez spectaculaire…
B.M. - Je me place ici d'un point de vue strictement qualitatif. Quand j'avance l'idée que votre travail se passe à un coup près, j'entends bien sûr par là que ce coup est décisif. Dans les grands affrontements d'échec, le gain ou la perte d'une partie se mesurent généralement à très peu de choses; cela se passe toujours à un coup près.
B.L. (Comprenant toujours couperet) - On ne donne pas un coup de couperet deux fois! Vous me menez sur des voies pour le moins inattendues. Il est vrai que mon art n'a rien de rassurant. Permettez-moi toutefois de me méfier de ce faux désespoir de circonstance, de ce pessimisme rassurant qui semble ces temps-ci avoir le vent en poupe!

B. L - Je ne crois plus aux avant-gardes, c'est un cycle qui s'est bouclé. Lorsque les avant-gardes étaient dans leurs moments les plus forts, il y avait un certain nombre de percées qui étaient clairement définissables et remarquables. Maintenant on a, pour des raisons qu'on évoquera peut-être, considérablement raboté tout cela, et fait cohabiter un certain nombre de choses, à la fois académiques, réactionnaires, modernistes, ludiques... C'est très tentant de croire toujours aux avant-gardes. C'est dynamisant. Mais je crois que la situation actuelle de l'art contemporain est devenue plus complexe que cela. Pour la saisir, il faut passer de la loupe au microscope électronique.

Finalement, je reste convaincu que les grandes oeuvres sont celles qui sont capables de séduire à la fois les esprits raffinés et les imbéciles.

Si l'on veut faire un prélèvement sur l'époque, on va au centre de création industrielle ou au au Musée des arts décoratifs. Si l'on veut savoir où en était l'art de cette même époque contemporaine, alors on va au musée. Et on s'aperçoit qu'on n'y trouve pas les mêmes choses.

En règle générale, la logique du travail que je fais implique qu'une idée en entraîne une autre. J'ai un travail d'élagage énorme à faire pour ne garder que les idées les plus juste et les plus efficaces.

L'art conceptuel, qu'on peut voir au départ comme une forme de résistance au marché, a engendré des étalagiste, des designers, des graphistes, des graphistes

Je crois qu'aucun artiste n'est indispensable ou alors ils le sont tous... C'est une réflexion écologique.

mais on ne voit que lorsqu'on est prêt à voir