Tous les groupes de San Francisco voulaient faire la première partie d'Otis ! Le premier soir, ce fut le Grateful Dead. Janis Joplin s'est pointée à trois heures de l'après-midi le jour du premier concert pour être sûre d'être au premier rang. Tout le monde voulait absolument être présent. Je n'ai jamais revu quelque chose de semblable. Tous les musiciens sont venus. C'était le seul, le vrai, l'unique. Si tu aimais le rhythm'n'blues, le rock'n'roll, blanc ou noir, ou le jazz, tu venais voir Otis. (Bill Graham à propos des concerts d'Otis Redding de décembre 1966)
Il est rentré dans son pays maintenant – mais qu'a-t-il laissé derrière lui après avoir sillonné ce pays ? À chaque concert, il est arrivé en retard. À chaque concert, il a empoché l'argent des organisateurs et des spectateurs. De quel droit ce dieu descend-il ainsi sur ce pays ? J'ai grand plaisir à révéler au public que Mick Jagger n'est pas le fils de Dieu. Je n'ai pas envie de tirer sur quelqu'un qui se trouve à quinze mille kilomètres. Mais vous savez ce qui me rend le plus triste ? Que ce salopard soit aussi un grand artiste. (Bill Graham en 1969 après la tournée des Rolling Stones et Altamont)
Bill ne gérait pas son affaire avec autant de classe à New York que sur la côte Ouest. Je l'ai vu s'impliquer personnellement dans des bagarres. Je trouvais que ce n'était vraiment pas nécessaire. Je ne dis pas ça de façon hypocrite : il m'arrivait parfois de me bagarrer, moi aussi. Si quelqu'un montait sur scène, au lieu d'attendre qu'un videur le sorte, je lui filais personnellement un coup de pied. C'est d'ailleurs pour ça que j'ai fini au poste cette fois-là, après l'incendie – parce que j'avais agressé un policier.
Mais si quelqu'un essayait de rentrer par le toit, Bill se chargeait lui-même de l'attraper. Il leur disait "je suis le propriétaire de ce théâtre. Je m'appelle Bill Graham. N'oublie jamais ça : Bill Graham t'a jeté du Fillmore East. Note ça dans ton journal intime. Dehors !" (Pete Townshend des Who)
Peter Berg:
Graham a cessé de s'opposer à la ligne politique de la Mime Troup, parce qu'il avait compris qu'il y avait là un marché nouveau. Et il s'y est jeté à corps perdu. Je ne lui en veux pas. Il a fait preuve d'un certain génie dans l'histoire. De tous les gens impliqués dans la Mime Troup, c'est sans doute lui que l'histoire retiendra en priorité. La première soirée de soutien avait été un genre de trip initiatique pour lui. Après ça, son regard a changé : il s'est adouci d'un certain point de vue, et durci d'un autre. Adouci par rapport aux gens bizarres : avant, il restait sur ses gardes par rapport à eux, mais du jour au lendemain, il s'est mis à les apprécier. Mais il s'est durci aussi : le contenu de ce qu'on faisait, qui n'était pas bon selon lui, il l'a complètement laissé de côté.
Il y eut une réunion décisive entre les deux soirées de soutien, pendant laquelle il a soudain déclaré : "écoutez, toutes ces prétentions politiques que vous avez, ça commence à me fatiguer. Vous me demandez, en tant que manager, de vous trouver de l'argent. Je peux vous en trouver. Beaucoup. Il existe un créneau, là. Je l'ai vu." Et la deuxième soirée de soutien a été la sienne. Il s'y est investi à fond. C'est ce soir-là qu'il est devenu "Fillmore Bill".