Même sans avoir jamais eu affaire à eux, je savais que les Waffen-SS faisaient la guerre en recourant à des méthodes particulièrement brutales. Dans la Wehrmacht, on en parlait officieusement, en affichant distance ou dégoût. Mais je n’avais encore jamais entendu parler (peut-être parce que je n’avais jamais posé de question à leur sujet ?) de l’exécution de juifs. Même sous forme de simple allusion. Dans la période qui suivit leur déportation, je ne parviens pas à me souvenir d’avoir jamais pensé à eux ou d’avoir jamais parlé d’eux, que ce soit avec des gens de mon âge ou avec des adultes. Chez ceux qui n’avaient pas de connaissances parmi eux, sitôt qu’ils étaient loin des yeux… Ils avaient tôt fait de sortir de la tête. À moins que l’on ne gardât ses pensées pour soi – car montrer de la pitié ou, a fortiori, de la sympathie, pouvait être dangereux.
Chez moi, l’écroulement du Reich ne faisait
pas du tout naître de sentiment de fin du monde. La sensation
de faire partie des vaincus ? Je n’arrivais pas à la développer
au fond de moi. Au contraire, j’éprouvais de la pitié pour les
vainqueurs, qui devraient probablement porter encore longtemps
casque et fusil. Au départ de l’hôpital militaire, je me
sentis délivré de toute attache pesant sur ma personne. J’avais
survécu à cet État qui avait jusque-là tracé mon destin. Je me
trouvais désormais en dehors de toute structure organisée, ne
ressentant plus de devoir qu’envers moi-même et mes propres
aspirations.