Camille Svilarich

Dans ce contexte antiterroriste naissant, coïncidant avec l'engouement des réseaux militants pour Internet, les militant.e.s américain.e.s prirent progressivement conscience des risques encourus avec leurs activités militantes considérées comme des pratiques terroristes. Jusqu'alors peu inquiétés par l’organisation préalable de leurs actions en ligne, plusieurs personnes firent l'expérience d'interpellations préventives et de décisions judiciaires restreignant leurs activités, entre surveillance accrue, assignation à résidence et menace de peines alourdies. A partir de 1998, la part du budget fédéral consacré à l'antiterrorisme augmenta considérablement, et les services de renseignements multiplièrent les restrictions à l'encontre d'anarchistes au motif de suspicion de menaces intérieures. (p. 93)

le phénomène des black blocs s'ancre dans l'impasse du dialogue, du désespoir d'un rapport de force politique défavorable aux instances dirigeantes, dans l’exercice symbolique d'une résistance davantage visible qu'effective.
Il me semble, pour conclure, qu'il faille non pas considérer le phénomène des black blocs depuis sa violence, mais depuis l'image des violences qu'il donne à voir. Violences socioéconomiques, violences policières, violences symboliques sont autant de violences attribuées au néolibéralisme et face auxquelles les black blocs revendiquent une contre-violence nécessaire et pour autant limitée, ou modérée dans un effort de pacification. (p. 107)

Pour résumer ces précisions préliminaires : le Black bloc est une tactique, les black blocs sont des formations historiques contingentes, et les personnes qui y participent sont les protagonistes de ces formes d'action. [...]
Il ne s'agit pas d'une organisation structurée durable dans le temps, mais bien d'une formation éphémère, limitée précisément au seul temps de l'action collective. Sa composition est en permanence fluctuante, elle regroupe des personnes diverses et variées qui prennent part spontanément à l'action. (pp. 10-11)

Il s'agissait avant tout de démystifier le Schwarzer Block en expliquant sa fonction tactique. L'absence d'organisation structurée interne ne se justifiait ainsi pas par un goût du chaos qu'on leur prêtait volontiers, mais bien comme relevant d'un choix politique collectif, de non-hiérarchisation et d'horizontalité. L'uniformisation vestimentaire de ses protagonistes n'était pas une marque de paramilitarisation, mais bien un choix tactique qui garantissait l'anonymat et l'égalité au sein du groupe. (p. 61)

Ce qui transparait depuis cette perspective interne, c'est le sentiment d'injustice qui traverse les militant.e.s Autonomes, entre l'exercice d'une répression policière et politique de la part du gouvernement fédéral, et en même temps, une certaine tolérance à l'égard de l'extrême droite, semblant lestée de son poids historique. (p. 40)

Leurs protagonistes revendiquent une violence politisée sans verser dans les intérêts privés de la délinquance, et sans aspiration à dominer (car tel semble être traditionnellement le dessein de la violence, pour gouverner) : une violence inclusive, commune, pour la défense des intérêts publics contre les intérêts privés. (pp. 109-110)