Capucine Auclair

Je n’avais pas trop apprécié sa façon de me regarder hier quand elle m’avait surprise dans la salle de bains. Comme je ne faisais pas très mature, elle s’était sans doute fait tout un film où Matisse s’était trouvé une gamine à entretenir contre avantages en nature… J’aurais aimé me venger, mais ce n’était pas mon genre de faire porter le chapeau à quelqu’un d’autre. J’aimais la vérité, même lorsque celle-ci n’était pas à mon avantage, et je devais avouer mon forfait à Matisse. Avec un peu de chance, touché par mon honnêteté, il ne me foutrait pas à la porte tout de suite. Après tout, je ne l’avais vraiment pas fait exprès !

Dans l’idéal, je dirais que pour faire un môme il faudrait… choisir deux personnes qui pallient parfaitement les défaillances génétiques ou culturelles l’une de l’autre. Et aussi une certaine entente pour l’éducation. Mais doit-on forcément être deux pour bien élever un gosse ? J’avoue que j’en sais rien. Dans la nature, en général, c’est elle qui s’occupe des petits… L’instinct paternel existe-t-il ?

La vie était laide, faite d’hommes et de femmes violents et sans scrupule, avides de pouvoir, de sexe et d’argent. Mais, pendant une minute, j’avais envie de croire que Matisse avait raison. Pendant une minute, je voulais oublier la réalité et me laisser aller à croire comme lui que l’amour existait et qu’il n’était pas simplement synonyme d’attirance sexuelle.

Cette poitrine pulpeuse enfermée dans un superbe bikini à strass, sa peau sans imperfection et magnifiquement bronzée, ces jambes interminables et cette chevelure noire… Une boule se forma dans ma gorge : pignons ou pas, Matisse n’avait aucune chance de résister. Impossible. Je pris soudain conscience de ce que j’étais en train de faire.

Elle était largement au-dessus des jolis faire-valoir que j’avais croisés dans cet horrible immeuble. Son rouge à lèvres rouge foncé tranchait élégamment avec ses longs cheveux noirs et sa robe-pull grise ultra-moulante mettait en valeur ses courbes et ses formes généreuses. « Une bombe », comme auraient dit mes voisins.

Du moment où il m’avait touchée, tout s’était apaisé. Toutes les craintes de la journée avaient disparu, et je trouvais la vie absolument magnifique. Ses lèvres vinrent retrouver les miennes. Je n’avais jamais vraiment apprécié les baisers, pourtant, quand c’était lui, c’était tellement différent, tellement… bon.

Oui, j’adore cette sensation rassurante, apaisante quand on est l’un à côté de l’autre, ce sentiment d’être bien avec quelqu’un, cette connexion… C’est un truc que je ne connaissais pas. J’imagine que c’est ça, un véritable ami.

En réalité, j’avais dix-huit ans, jamais un seul mec ne s’était intéressé à moi et, forcément, j’étais aux abois ! Mais c’était peut-être juste raccord avec l’apogée de ma puberté, tu vois, les hormones et rien d’autre.

Je n’aimais pas les préjugés liés à ma condition de femme ou, simplement, à mon apparence chétive, alors Isabella allait devoir garder sa place de bonniche destinée à servir le mâle supérieur.

Je m’étais toujours considérée comme un être humain avant d’être un genre, alors, forcément, je ne correspondais pas tout à fait à leur idée de ce que se devait d’être une femme.