Romain Gary- Promenade à Nice.
Clémence était frileuse, sans doute parce qu’elle brûlait de l’intérieur. Une flamme incandescente l’habitait. À la moindre baisse de température, la fraîcheur envahissait ses membres. C’était sa manière de réagir à la tentative de l’environnement de l’imprégner de sa tiédeur. Le sang se dirigeait vers le cœur.
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L’amour ! Deux mille ans que l’on se gargarise de ce concept extravagant. Des sermons, des livres, des œuvres d’art, des films, des chansons. L’amour est partout, dégoulinant. L’amour de son prochain, de sa famille, de l’âme sœur, l’amour de ses enfants. On le présente comme l’alpha et l’oméga. Pourtant, il déclenche des guerres, attise l’envie, la jalousie, crée des attentes, renforce la vanité. C’est un miroir complaisant. Un remède absurde à l’insoutenable solitude.
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Le soleil se lève. Je n’ai pas dormi. J’entends les oiseaux de l’aurore, les mêmes que j’entends lors de mes longues insomnies. Ils annoncent le jour et je suis encore du côté de la nuit. Je m’épuise à franchir le fossé. Et ils chantent, et ils chantent, ils s’interpellent, ils se questionnent, ils se répondent. Ils se comprennent. Un nouvel ordre est révélé. Et je reste invariablement exclu de cette renaissance, captif d’un autre espace-temps, d’un univers parallèle où le chaos n’en finit pas. Mais peut-être pour la première fois ce matin ai-je atteint l’autre rive.
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Une maison de famille sans famille et sans personne, ça ne sert à rien, sinon à cultiver la solitude.
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Tendre ma carte de crédit ou des billets. C’était ma manière à moi d’être généreux. Mais leur (ses enfants) consacrer du temps, de l’attention, les écouter, les soutenir, essayer de leur faire plaisir autrement, je ne le savais pas.
(page 160)
C’est triste une balançoire à l’abandon. Le vestige d’une forme d’insouciance, le spectacle amer d’un paradis perdu.
(page 240)
C’était un autre type de fonctionnement dans le monde des affaires. Créer un service peu onéreux au début, le rendre indispensable, puis imposer des tarifs élevés.
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Au début, c’était plus facile. Le moindre petit mensonge animait ton courroux. Calme comme tu l’étais cette fois-ci, je devais aller toujours plus loin. Plus tu te montrais compréhensive, plus je me surpassais dans la goujaterie. Mais mes efforts étaient vains. Elle restait impassible.
(page 209)
Tempus et Fugit dormaient. Le commissaire prépara du thé puis s’installa dans son bureau. Il alluma sa lampe Tiffany aux vitraux colorés qui donnaient un semblant de vie à l’obscurité. Il sortit les cahiers où figuraient des numéros indiquant la chronologie à suivre. Il saisit le premier et commença à lire.
3 mai 1992. Trois jours. Trois jours et trois nuits. Voilà trois jours et trois nuits que je suis enfermé dans cette cave.
Levigan longea la Seine jusqu'à Notre Dame, ce vaisseau majestueux échoué sur l'île de la Cité. Sa façade carrée comme le chiffre quatre,les quatre éléments terrestres,les quatre points cardinaux.les quatre saisons, flanquée de ces deux tours"qui couvrent la ville de leur ombre et de leur bronze et proclament Dieu à l'horizon" comme l'écrivait Claudel ,et ses trois niveaux. Trois symboles de la Trinité. Au niveau supérieur, la grande galerie. Au niveau intermédiaire, la galerie des rois et de la rosace, figure parfaite définissant les choses celestes, inscrites dans le carré pour évoquer le mystère de l'incantation. ..