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5/5 (sur 3 notes)

Nationalité : Italie
Né(e) à : Rome , 1938
Biographie :

Carlo Bordini (né à Rome en 1938) est poète et romancier. Militant trotskyste dans les années 1960, il a enseigné l’histoire moderne à l’Université de Rome La Sapienza. Ses poésies complètes sont parues chez Luca Sossella en 2010.
Les plus récents : Sasso, Scheiwiller, 2008 ;
I costruttori di vulcani - Tutte le poesie 1975-2010 - Luca Sossella, 2010, avec une note de Roberto Roversi et une préface de Francesco Pontorno.

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Carlo Bordini
POÉSIE, LA SEULE QUI DISE LA VÉRITÉ

J’aime la poésie parce que lorsque j’écris je sais toujours d’où je pars, et je ne sais jamais où j’arrive. J’arrive toujours en territoires inconnus, et j’en sais plus après qu’avant. J’écris ce que je sais, mais je le sais pendant que je l’écris, et pour moi la poésie est toujours la source de continuelles révélations. C’est comme si, durant l’écriture, il y avait en moi de brusques ruptures de l’inconscient. En ce sens je suis assez convaincu que le mot précède la pensée, qu’il est un véhicule de la pensée. On n’écrit pas ce que l’on sait, mais on le sait après l’avoir écrit.

Parfois j’écris des choses dont je ne sais absolument pas ce qu’elles signifient; je le comprends après, ou parfois, ce sont les autres qui viennent me l’expliquer. Je suis d’accord, en ce sens, avec ce qu’écrit Perniola: « Le poète n’est pas le meilleur artisan, mais le meilleur outil. » Je ne crée pas, je suis créé. Je n’écris pas, mais je suis écrit. Quelquefois, je pense que la principale qualité que devrait avoir un poète serait celle de ne pas trahir ce qui lui est dicté par des considérations banales (avec ce qu’il imagine être, ou qu’il croit devoir être, par exemple). Je pense en ce sens qu’il est très difficile d’être spontané: la spontanéité est cachée sous une série de couches de rigidités intellectuelles, de pseudo-connaissances idéologiques, de velléités banales; la poésie brise tout cela, va au cœur des problèmes. Atteindre la spontanéité est un geste qui requiert d’infinies médiations techniques, et surtout d’autres relevant de la sensibilité, de l’honnêteté intellectuelle.

Je crois que la poésie (comme toute forme d’art) est la tentative, avec des moyens imparfaits, d’atteindre la perfection. Il y entre toujours ainsi quelque chose d’artisanal, d’imparfait, comme une prière est artisanale. Rien de préfabriqué ou en série. Les architectes de l’époque romane faisaient toujours la partie droite d’un édifice un peu différente de la partie gauche, parce qu’ils considéraient que la perfection peut être atteinte seulement par Dieu. (Un exemple du fait que la parole précède la connaissance: avant d’écrire cet article je n’aurais jamais imaginé, à propos de l’art, que j’aurais parlé de Dieu).

Tout ce qui concerne le domaine de l’esthétique (non seulement la poésie, mais l’architecture, la mode, la musique) est ce qui maintient la cohésion d’une société, en ce qu’il crée des raisons communes de vivre et touche à la représentation que l’humanité se fait d’elle-même. Apparemment l’art ne sert à rien, parce qu’il n’a pas de connexions immédiates (utilitaires) avec la réalité. En réalité tous les artistes, des poètes aux fabricants de cravates, aux dessinateurs de bandes-dessinées, contribuent d’une manière ou d’une autre à créer une autoreprésentation et une idée de soi de l’humanité. Ce sont souvent les seuls à dire la vérité, et l’humanité ne s’en aperçoit que trop tard: les poètes ne peuvent pas sauver le monde, parce que le monde s’en apercevra seulement après.

Ajout fait longtemps après:
Les artistes sont ceux qui vont le plus au fond des choses: je crois que toutes les formes d’art représentent, chacune à sa manière, en comparaison aux vérités de la politique, de l’idéologie et du sens commun, quelque chose de différent, une sorte d’hypervérité parfois difficile à comprendre, mais qui dépasse les schémas déterminés auxquels l’humanité s’abandonne quelquefois, non sans paresse. Elle peut ouvrir la vie à de nouveaux horizons. Chaque artiste modifie, fût-ce imperceptiblement, la manière avec laquelle l’humanité se regarde elle-même dans sa propre existence.



Article publié sur L’Unità le 1er mai 2002, repris en postface à Sasso, Scheiwiller, Milan, 2008. Traduit par Olivier Favier.
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Carlo Bordini
III
Olivier Favier. — Dans le poème Poussière vous parlez très souvent de déchets, et vous les assimilez même aux blessures. Mais de ces déchets, qui sont ce qu’il reste de la catastrophe, vous écrivez que pourrait naître, peut-être, une nouvelle forme de vie. Pouvez-vous expliquer ce que vous pensez à ce propos ?

Carlo Bordini. — D’après les orientations les plus récentes de la physique, les planètes ont été formées par les déchets formés à la suite des explosions des étoiles, qui se sont ensuite compactés. Ce qui signifie, métaphoriquement, sur le plan humain, qu’aux blessures apportées par la vie (qui morcelle les personnes, crée des déchets, et détermine la rupture de l’unité classique) on peut en quelque sorte répondre en faisant de ses propres déchets une force. En les compactant dans une nouvelle unité. Tel est le sens du poème. Quelque chose sur la vie artificielle, ou sur la civilisation, et aussi sur l’idée que la faiblesse peut être une force. Et aussi, ou surtout, sur la possibilité d’une renaissance. Cette idée peut devenir aussi un élément stylistique : à travers la rupture du langage, justement, on peut recomposer une unité. Les fragments, les déchets d’un discours cohérent, que ce soit en poésie ou en prose, peuvent bien exprimer l’état des choses.

Je voudrais aussi ajouter quelque chose d’autre qui concerne la poésie dans son étrange rapport avec la science : j’ai été très impressionné par l’article de la revue Science qui parle de la structure de l’ADN. Le génome humain, une fois déplié, mesurerait deux mètres, et pourtant il peut entrer dans le noyau d’une cellule qui a un diamètre d’un centième de millimètre sans s’enchevêtrer ou faire des nœuds. Les scientifiques ont découvert comment se produit ce phénomène impossible en apparence : le génome se replie jusqu’à former une fractale, c’est à dire un objet géométrique dont la structure répète la même forme à des échelles différentes. Il me semble en fin de compte que la poésie a quelque chose de commun avec la structure de la fractale, parce qu’elle répète et exprime, symboliquement au niveau du microcosme, ce qui existe au niveau du macrocosme. La Comédie de Dante peut être perçue comme une fractale, parce qu’elle répète tant au niveau de son articulation globale que de sa structure le chiffre trois. Et je crois que cela se répète et explose dans l’art de la Renaissance. Je dois ajouter qu’on ne peut pas réduire cela à un schéma, à une formule mathématique. Dante est capable d’exprimer dans le microcosme le hurlement et l’horreur de la vie qui s’exprime dans le macrocosme réel.
Francesco Pontorno. — Quand vous avez réalisé avec Antonio Veneziani cette créature anthologique sous certains aspects digne de Frankenstein qu’est Du fond. La poésie des marginaux, vous pensiez vraiment que tout le monde pouvait être poète ?

Carlo Bordini. — En un certain sens, oui. Récemment j’ai lu une phrase de Toscanini, citée par Leo de Berardinis : « Il faut être démocratique dans la vie et aristocratique dans l’art ». Je trouve que c’est une phrase très belle. Mais à cette époque la poésie était réellement diffusée, elle faisait partie de la vie. Elle circulait partout. Ce qui se produisait était poétique. Naïvement poétique. Et tragique.

Francesco Pontorno. — Vous avez écrit en trois nuits un livre de poèmes d’amour, Stratégie. Vous avez aussi écrit un roman, Gustavo, dans lequel un homme tombe amoureux d’une femme qu’il a quittée, et qui est devenue pour lui un fantôme. Vous avez en outre évoqué un amour terrible dans votre Manuel d’autodestruction6. Dans tous ces livres l’amour est vu comme une passion qui confine au traumatisme, où le traumatisme est toujours présent…

Carlo Bordini. — J’ai voulu montrer comment les fractures amoureuses ont une répercussion en profondeur, comment elles ne sont en rien des processus indolores. Les désamours sont des processus compliqués. L’amour vit en effet dans la proximité du trauma ; souvent il habite en lui. Cette chose m’est si personnelle que j’ai du mal à en parler. Sinon par personne interposée. Dans le roman que je suis en train de terminer, par exemple, malgré le titre, l’amour, l’amour comme trauma, a une place très importante. Si je n’exprimais pas certains traumatismes, écrire ce roman n’aurait pour moi aucun sens.

Olivier Favier. — Pourquoi écrivez-vous ?

Carlo Bordini. — J’écris pour donner un ordre à ma vie. Pour ne pas devenir fou.

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LA SIMPLICITÉ

Même si je ne comprends pas grand chose à la photographie, j’ai toujours pensé que Ghirri était un génie. Je le lui ai dit une fois, en fait, que je pensais qu’il était un génie. Il s’est un peu détourné et il a dit « allons donc », mais on voyait qu’il y croyait et qu’il était content, il a fini par dire: « Mais bien des gens ne me comprennent pas. » À cette époque l’idée que quelqu’un ne le comprenne pas me semblait impossible, et quoi qu’il en soit je lui ai dit vraiment ainsi: « Tu es le seul génie que je connaisse. »

J’ai commencé à penser qu’il était un génie quand j’ai vu son livre Paysage italien, celui des éditions Electa. Jusqu’alors j’avais pensé que ses photos étaient très belles; mais en les voyant toutes ensemble dans ce livre, en voyant le montage qu’il avait fait dans ce livre avec sa femme Paola, j’ai compris que derrière ses photos il y avait une très forte, omniprésente, éclatante conception du monde, et que tout ce qu’il faisait répondait à cette conception, qu’il faisait avancer avec une lucidité et avec une cohérence, qui me firent justement venir à l’esprit l’idée du génie, c’est à dire de quelqu’un qui ne se contente pas d’avoir de grandes capacités expressives ou de faire des choses remarquables dans le domaine artistique, mais qui a une idée du monde, qui a une idée radicale et révolutionnaire du monde, et la développe avec une extrême facilité. Et cette conception du monde, à moi qui ne comprends pas grand chose à la photographie, m’a toujours semblé être celle-ci: Ghirri a continuellement frôlé la banalité, il a appliqué la section dorée dans ses photographies, il a toujours risqué que ses photos soient prises pour des cartes postales, et il l’a fait, justement, pour nous montrer ce qu’il y a derrière la carte postale et que la carte postale ne nous montre plus. Je ne sais comment mieux exprimer cette chose: c’est comme si Luigi Ghirri avait voulu nous montrer, toujours, ou au moins disons-nous, après la phase expérimentale de sa photographie, dans l’âge mûr, l’âge d’or de son œuvre, c’est comme s’il avait voulu nous montrer ce que la réalité aurait dû être. Je ne sais s’il y a une idée platonique derrière cela, mais Ghirri m’a toujours fait penser à un homme du Quattrocento, pour ce sentiment d’harmonie, le caractère classique dont il a baigné son oeuvre entière, montrant des choses qui ne sont pas classiques, et les faisant devenir classiques: mais au fond, ce caractère classique n’est pas autre chose qu’une manière de voir les choses; en connaissant un peu mieux sa photographie, l’équilibre qui existe dans ses clichés m’a impressionné et continue de le faire, cette idée du monde qui se fait sans effort, le nombre trois qui est toujours présent dans ses photos, le nombre parfait, le nombre de la section dorée, toutes ses photos peuvent se diviser en trois parties, ou en deux parties, elles ont toujours un centre, ainsi il y a ces nombres magiques: un, deux et trois; elles sont en apparence statiques et immobiles et composées comme le sont les statues de Phidias et de Praxitèle et les madones de Botticelli et comme l’est tout l’art classique. Ainsi je me suis toujours représenté Ghirri comme un grand alchimiste, comme quelqu’un, au fond, qui montrait le monde comme il aurait dû et comme il aurait pu être, mais c’est là aussi, un peu, l’idée de l’idéalisation classique de la réalité. Qu’ensuite, derrière sa façon de montrer le monde comme il aurait dû être, derrière cette manière d’être classique, il y ait une très forte polémique, une très forte position politique, une protestation très forte contre ce qu’est le monde et ce que nous sommes en train de le faire devenir, c’est là, selon moi, la source de son caractère classique, de ce caractère classique si profondément « italien ».

Tel est, je pense, ce qu’il y a derrière cette apparente, stupéfiante « simplicité », cette idée d’un monde simple, qui se crée seul, et qui n’a aucune, aucune possibilité d’être différent.
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Carlo Bordini
HAUTE SIMPLICITÉ, ENTRETIEN AVEC CARLO BORDINI


Par Olivier Favier et Francesco Pontorno.1

Si tu mesures dans le monde, dans ton cœur, la déception
tu sens que désormais elle ne mène pas
à une nouvelle aridité, mais à une vieille passion.

Pier Paolo Pasolini, La terra del lavoro.



Olivier Favier. — Luca Sossella m’a écrit dernièrement : « Je partage la pensée de celui qui ne parvient pas à lire un texte contemporain sans le mesurer à la biographie et à la biologie de celui qui l’écrit. » Je suis parfaitement d’accord avec cette idée, devenue hérétique après Proust et la sémiologie. En effet, votre œuvre entière me semble reposer sur ce défi, de faire de sa vie le champ même d’une réflexion impitoyable sur la vie. Elle suit un fil de pensée dialectique qui était déjà celui de la Renaissance, dans le sens où la réflexion n’est pas autre chose qu’un va-et-vient entre microcosme et macrocosme. Le risque inclut l’idée d’obscénité, qui devient l’un des fondements de votre poésie : pour vous, il me semble, la poésie dit ce qui normalement devrait rester « hors de scène ». Le poète serait ainsi la dernière figure du héros, quelque chose entre le guerrier et l’explorateur, une figure liée, en Italie, à l’expérience pasolinienne. Dans un tel contexte, les zones d’ombre n’en ressortent que davantage. Vous avez parlé de la passion jusqu’à l’indescriptible, passion amoureuse et passion politique, mais aussi du quotidien. Mais vous n’avez presque rien dit de l’enfance. Votre œuvre ne s’arrêterait que sur les choix de vie, les choix véritables en somme, la seule chose que, tout compte fait, l’on peut et l’on doit assumer ?

Carlo Bordini. — Je crois que oui. Au moins dans mon cas. J’ai refoulé mon enfance, et toute ma vie a été une tentative pour dépasser ce qu’elle a été. Je ne parle pas de mon enfance parce qu’elle a été un trou noir, un trou noir d’où sortir pour essayer tout doucement de se reconstruire ou, plutôt, de se construire. Au fond, toute ma vie a été cela. Et aussi mon écriture.

Olivier Favier. — Vous parlez souvent d’Apollinaire et vous le citez comme le poète qui vous a le plus influencé. Dans quel sens ?

Carlo Bordini. — Je crois qu’Apollinaire est le seul poète à avoir laissé sa trace, sa musique dans mon souvenir. J’aime sa lucidité qui se conjugue avec un style rêveur et visionnaire, j’aime qu’il soit en même temps un poète narratif, un poète essayiste et un poète expérimental. Je pense que Zone est un poème qui, relu maintenant, à quelques cent années de distance, nous explique encore avec lucidité le monde dans lequel nous vivons, et nous enseigne à être tragique sans mélodrame, à raconter le réel en le faisant devenir irréel, à unir le vécu et le lyrisme à l’imagination. J’aime le long alexandrin d’Apollinaire, son parfum d’avant-garde. Ce qui me plaît en outre chez Apollinaire c’est l’apparente simplicité de son vers, qui prend une force olympienne.

Zone est une des grandes synthèses poétiques du XXe siècle. C’est une des grandes interrogations que l’homme s’est permis de faire sur son destin. C’est le poème du traumatisme d’être modernes et de ne plus pouvoir être classiques, de ne plus pouvoir être chrétiens, d’être entré dans la civilisation des machines, dont Apollinaire a donné des images beaucoup plus fortes que celles des futuristes. Lucidité et émotion se conjuguent dans sa poésie, à mon avis, avec une force rare.
Francesco Pontorno. — Pasolini est le seul poète sur lequel vous avez écrit deux articles. Pourquoi ?

Carlo Bordini. — Pasolini a contaminé sa poésie avec de nouveaux langages, qui viennent du bas, de la vie, avec le langage d’essayiste des nouveaux mouvements, et il a pris des risques, parce qu’il a brisé les schémas de la tradition littéraire italienne, un fardeau qui pèse depuis longtemps sur une bonne part de notre poésie. La vocation au langage académique dont nous ne réussissons pas à nous libérer et qui a toujours été brisée par les plus grands avec des choix iconoclastes, toujours mal digérés par les gardiens de la tradition. Pasolini a aussi pris le risque d’écrire des poésies laides parfois, et il est vrai que certaines de ses poèmes le sont, à côté d’autres très beaux, mais c’était le prix à payer ; parce qu’à la base de son travail il y avait l’idée de ne pas englober dans la tradition du langage académique l’esprit de ces nouveaux langages, mais de créer une langue nouvelle. J’ai toujours perçu le travail de Pasolini, surtout du dernier Pasolini poète, celui qui dépasse et qui brûle ce qui restait en lui de décadent et d’esthétisant, comme très proche du travail analogue accompli par Pirandello, qui a mis à bas, remis à zéro, toute la tradition du langage académique qui étouffait la dramaturgie italienne et ce faisant, a créé une nouvelle langue théâtrale.

Olivier Favier. — Vos points de référence poétiques — nous en avons cité quelques uns — sont peu nombreux, mais obsédants. La trace de certaines œuvres d’Apollinaire, d’Eliot et de Guido Gozzano se retrouve à des moments très différents de votre œuvre. Vous m’avez dit une fois que la poésie de Pound vous faisait penser à un océan. Il me semble que toutes ces expériences poétiques, vues par vous, marquent un besoin de dépassement des limites « classiques », normalement acceptées par le langage poétique. N’est-ce pas le cas, par exemple, de Zone ou de La Terre vaine ?

Carlo Bordini. — Apollinaire, Eliot, Gozzano, sont des poètes dont la langue est marquée par de forts éléments narratifs, ce qui n’est pas contradictoire avec d’autres éléments d’expérimentation et d’innovation. Gozzano est le père de la poésie italienne contemporaine, celui qui a essayé de nous libérer de D’Annunzio et qui a adopté une langue ordinaire, mais splendide. J’aime celui qui brise les conventions, qui corrompt, qui ne se soucie pas de la tradition et qui innove. Et j’aime aussi celui qui décide d’écrire dans la langue du quotidien. Gozzano a écrit dans la langue du quotidien à un très haut niveau.

Olivier Favier. — On pourrait aussi dire que votre poésie est en partie une forme de réponse à ces lectures jamais oubliées. Mais votre réaction n’a jamais été une réponse générationnelle, elle ressemble beaucoup plus à un dialogue hors du temps —semblable à celui opéré par les classiques de la Renaissance avec les grands poètes grecs et latins. Il semble que vous ne vous soyez jamais soucié de faire partie du milieu poétique italien officiel, d’être vu dans les groupes, de prendre part aux événements. Vous avez dit souvent, en outre, que vous ne vous sentiez pas à votre aise dans la tradition littéraire italienne. Qu’est-ce que cela signifie ?

Carlo Bordini. — J’ai choisi d’être chercheur en histoire pour être d’autant plus libre et indépendant des modes et des tendances qui parcourent le monde littéraire, et qui sont souvent non seulement stériles, mais aussi fallacieuses. J’ai préféré faire une longue réflexion personnelle. Étudier l’histoire, du reste, m’a beaucoup enrichi.

Pour ce qui est de ne pas me sentir du tout à l’aise dans la tradition littéraire italienne, je dois dire avant tout que le XXe siècle a été pour la poésie italienne un siècle d’or. Malgré cela, j’ai toujours été frappé par le fait que la critique littéraire italienne soit encore liée à l’idée qu’en poésie il existe des matériaux nobles et d’autres qui ne le sont pas. Ce sont des idées qui ont été dépassées dans tous les autres domaines de l’expression artistique : dans la peinture, la musique, les plus grandes contaminations ont été acceptées, on a accepté la musique concrète, l’idée de faire des tableaux avec des sacs, etc. Dans une bonne part de la poésie italienne la langue littéraire et le langage académique trouvent encore leur point de rencontre et de compromis.

Il y a en outre une autre considération à faire : le plus grand poète italien, le père de la poésie italienne, Dante, avec lequel nous torturons nos étudiants pendant des années, est un poète isolé en Italie. Les poètes italiens ne se réfèrent pas à Dante. Il y a eu de grands poètes du XXe siècle qui ont appris l’italien seulement pour lire Dante ; des poètes soucieux du destin de l’humanité, des poètes qui se posaient de grandes questions éthiques, je veux parler d’Eliot et de Pound. En Italie, le seul poète qui se soit senti proche de Dante c’est Pasolini.

En somme, il me semble que la prédominance, profonde qui plus est, de l’élément apollinien sur l’élément dionysiaque et une certaine survivance du langage académique parcourent l’ensemble de la poésie italienne. Je ne dis pas que c’est un mal en soi, mais je ne me retrouve pas beaucoup dans cette tradition.
Olivier Favier. — Vous avez écrit que « les grands artistes ne sont pas seulement doués mais qu’ils font aussi un autre parcours, ils choisissent de faire un autre parcours, toujours intérieur, et quelquefois aussi extérieur ». Cela serait, par exemple, ce qui fait la différence entre Dante et les autres poètes, aussi remarquables puissent-ils être, du Dolce Stil Novo ?

Carlo Bordini. — J’ai l’impression que la distance entre Dante et les autres poètes du Dolce Stil Novo est devenue vraiment immense, démesurée, quand Dante a décidé de suivre un autre parcours, c’est à dire d’aller dans l’au-delà et d’en revenir. Un grand artiste, naturellement, doit être doué, doit avoir du talent ; mais je ne crois pas que cela suffise. Un grand artiste est celui qui décide de faire un voyage. Un voyage en enfer ou au paradis. Enfer et paradis comme métaphore, et enfer et paradis intérieurs. Qu’il s’appelle Proust, Pasolini, Dante ou Baudelaire, c’est toujours quelqu’un qui a décidé de faire un voyage. Les grands artistes ont toujours beaucoup de courage et ils finissent parfois, nous le savons bien, par y laisser leur peau.
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Carlo Bordini
II

Francesco Pontorno. — Marco Giovenale a écrit avec justesse : «Bordini a su et sait dissoudre en un même condensé, sans rien perdre, les sels de trois flacons qui ne vont pas toujours ensemble, en cette fin et en ce début de millénaire : éthique, politique, écriture de recherche.» Croyez-vous que l’engagement puisse quelquefois constituer une dérive de la personnalité de l’artiste ?

Carlo Bordini. — Pour ce qui est de l’engagement, je crois que quelquefois le devoir être prévaut sur l’être et le détruit. Cela m’est arrivé très souvent à moi aussi. J’ai appris à me méfier des idéologies et du sens du devoir. La réalité est infiniment plus grande et plus vraie que la pensée. Par réalité j’entends aussi ce que nous sommes capables de penser et de sentir librement. Ce discours mériterait d’être approfondi. Je crois que si l’on examinait tous les écrits des auteurs qui ont fait de la littérature civique, engagée (et il y en a eu beaucoup dans les cent cinquante dernières années) on aurait des surprises, et l’on découvrirait que seuls ont fonctionné ceux qui étaient en dehors des systèmes, ceux qui avaient en eux quelque chose d’hérétique ou quelque élément relevant de l’hérésie (terme de prédilection de Pasolini).

Francesco Pontorno. — Votre expérience trotskiste, qui fut également celle de beaucoup de jeunes de votre génération, a laissé en vous une lacune, par rapport à la majeure partie des poètes italiens de votre âge. Une lacune culturelle qui n’a pas permis à votre formation universitaire d’être conforme, une lacune biographique qui semble fonctionner comme une cloche d’air, dans laquelle vous avez pourtant indubitablement vécu, quoique loin de la littérature et de la poésie. À part certains thèmes, ou par exemple un poème intense comme Poème à Trotsky, que reste-t-il dans votre poésie de cette vieille passion ?

Carlo Bordini. — Je suis en train d’écrire un roman qui a pour titre Autobiographie d’un trotskyste. Je l’ai commencé dans les années soixante-dix et c’est seulement maintenant que je parviens à le terminer. Cette expérience politique, qui a été en partie une fuite hors de la réalité, et en partie une fuite dans l’utopie, a eu sur moi une très grande influence, tant positive que négative. Ce qu’il en reste ? Je crois que je ne serais pas celui que je suis si je n’avais pas fait cette expérience.

Olivier Favier. — Vous avez écrit un hommage au photographe Luigi Ghirri, l’année de sa mort, intitulé La simplicité2 . Dans ces deux pages je vois la clé non seulement des merveilleuses photographies en couleurs du maître de Reggio Emilia, mais aussi de votre poésie. Cette manière de vous définir en définissant l’autre, vous l’aviez déjà éprouvée dans votre premier essai sur Pasolini, en 1976, Un courage à moitié. Parlant de la simplicité, vous avez dit beaucoup de ce que vous pensez de la poésie, de l’oralité, du binôme centre-périphérie, du caractère classique qui n’est pas un classicisme. Et vous avez trouvé finalement cette phrase : « la poésie est un plat de pauvres ». Une idée mûrie, me semble-t-il, au cours de votre voyage en Colombie. Votre histoire ne pourrait-elle pas être celle de la simplicité conquise ?

Carlo Bordini. — Une poétesse serbe, Duška Vhrovac, m’a dit récemment que la simplicité est le point le plus haut, non le plus bas. C’est le point d’arrivée, non celui de départ. Je crois que la simplicité peut être une chose très complexe, une architecture harmonieuse qui apparaît dans sa simplicité en ce qu’elle est formée à la façon d’une harmonie. Je crois que l’art classique est ainsi, par exemple. Quant au fait que la poésie soit un plat de pauvres, je ne sais pas, je suis impressionné par le fait que dans une époque aussi technologique que la nôtre la poésie puisse encore exister, qu’on puisse encore écrire avec un stylo à bille. Je suis impressionné par le fait que dans les pays pauvres il y ait plus de poésie que dans les pays riches. C’est ce que j’ai constaté durant mon voyage en Colombie, et cela m’a beaucoup impressionné.

Je ne sais pas quoi vous dire sur la simplicité conquise, c’est un problème trop personnel et c’est pourquoi je n’en sais rien. Je voudrais revenir sur mon expérience colombienne en revanche, et de manière plus générale, sur la plus grande importance accordée à la poésie et à la culture en son entier, qu’on peut voir facilement dans les pays pauvres, dans les périphéries du monde, dont je soutiens qu’ils sont à notre époque meilleurs que ce qui est supposé être le centre. Je voudrais souligner le sens du sacré qui entoure encore la culture de ces pays. Dans ces pays, le sens du sacré est très fort. Beaucoup plus que chez nous. C’est un sens du sacré qui ne passe pas à travers des intégrismes. Chaque société probablement a besoin d’un sens du sacré, et je l’ai vu à l’œuvre en Colombie. Des gens qui pleurent parce qu’ils écoutent un poème, par exemple. Un sens du sacré qui ne passe pas à travers une religion, mais à travers une recherche du sens de l’existence.

Il m’est arrivé à différentes reprises en Colombie de rencontrer des gens qui après une lecture me demandaient ce qu’était pour moi la poésie, comment j’écrivais des poèmes, etc. Je suis convaincu que ces personnes avaient apprécié, bien sûr, la poésie qu’ils venaient d’écouter, mais surtout qu’ils voulaient comprendre ce qu’il y avait derrière la poésie. Autrement dit, la poésie était pour eux la partie émergée de l’iceberg d’un monde qu’il voulait connaître, découvrir. Il ne s’agissait pas de découvrir mon monde intérieur, mais de découvrir une clé d’interprétation de la réalité. Le sens du sacré, c’est cela. C’est cela le sens du sacré que nous avons perdu.
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LES DROITS INHUMAINS


Les hommes naissent grégaires et divisés en classes. L’instinct grégaire doit être encouragé et stimulé pour maintenir l’équilibre de la société.
Tous les hommes doivent être encouragés à cultiver l’hystérie et la xénophobie pour maintenir la structure grégaire de la société et la cohésion des classes, des nations et des genres, qui seuls peuvent assurer un développement équilibré de la société humaine.
Les hommes ont ainsi le droit d’être:
-trompés
-frappés
-tués
-persécutés
-empoisonnés
-exploités
-poussés les uns contre les autres
indépendamment de leur nationalité, religion, race ou couleur, pourvu que cela rentre dans un plan de socialisation et d’agrégation de la société humaine.
Tous les hommes ont le droit au maintien de leur vie, à la liberté humaine et à la sécurité personnelle, compatiblement avec les exigences de socialisation et d’agrégation de la société humaine et avec les exigences de l’économie et de la politique de chaque pays.
Nul ne peut être détenu ou exilé sans justification valable (voir point précédent).
Tous les hommes ont le droit de cultiver leurs propres illusions, de s’évader de la réalité par des moyens idéologiques, religieux, électroniques, hédonistiques, pornographiques etc. pourvu que ces méthodes soient considérées comme justes par leurs communautés d’appartenance. Les hommes ont le droit d’avoir des leaders et des chefs reconnus.
Puisque tous les hommes ont le droit de cultiver leurs illusions, personne ne peut être poursuivi pour elles, sinon pour des cas avérés de force majeure. En pareil cas il devient nécessaire, pour le bien-être de la société humaine, de détruire les illusions appartenant aux individus ou aux catégories d’individus, les responsables de cette destruction sont tenus de reconstruire de nouvelles illusions pour les dits individus et les dites catégories.
Les hommes ont le droit de devenir fous, d’égorger leurs semblables, pourvu que cela soit justifié en termes de société humaine et d’équilibre.
Chaque homme a le droit, s’il en a la possibilité, de suivre ses programmes télévisés préférés et, dans les limites de ses possibilités matérielles, d’employer son temps libre et de passer ses vacances comme il le souhaite et de se consacrer aux hobbys qui lui sembleront convenir le mieux à sa personnalité.
Les hommes ont en outre le droit d’exploiter et d’affamer leurs semblables, s’ils s’en montrent dignes, s’ils en ont la capacité et si leur action n’est pas éphémère mais fondée, capable d’être mise en relation avec d’autres dans les limites de la société humaine.
Les hommes sont réunis en factions luttant les unes contre les autres et ont le droit d’y appartenir. Chaque homme a droit d’appartenir à une faction, à une ethnie, à une religion, et de haïr ceux qui n’en font pas partie.
Les hommes ont le droit d’opprimer leurs femmes et leurs enfants, (par exemple: de mutiler leurs filles, pourvu que cela ne soit pas arbitraire mais repose sur des principes reconnus par la société).
Les hommes ont le droit de mener des guerres, pourvu que :
1. celles-ci soient justifiées.
2. qu’ils en aient les moyens et les possibilités.

Ils peuvent tuer des animaux, empoisonner des territoires, désertifier des régions, pourvu que cela soit fait dans les limites des règles convenues par la société humaine et n’empêche pas les autres hommes et les autres groupes d’hommes de poursuivre les mêmes activités.
Ils peuvent trahir, mais à leurs risques et périls: la trahison, si elle ne réussit pas, ne sera pas considérée comme justifiée, et fera l’objet de poursuites.
Ils peuvent falsifier l’histoire, pourvu qu’ils aient la force de le faire durablement.
Ils peuvent tenir en esclavage d’autres hommes, pourvu que cela ne se produise pas en désaccord avec d’autres factions ou groupes qui gardent d’autres hommes en esclavage.
Ils peuvent répandre des idées fanatiques.
Ils peuvent créer des religions et des croyances, et, si cela ne trouble pas l’équilibre de la société humaine, ils peuvent combattre les religions et les croyances.
Ils peuvent feindre de s’entraider et d’aider le genre humain.
Ils peuvent voler, pourvu que cela n’empêche pas d’autres hommes ou groupes d’hommes de faire la même chose.
Ils peuvent torturer, même si une telle action doit être nécessairement justifiée par des idéologies, des cas de force majeure, des raisons religieuses ou des états d’urgence,
ou des exigences fondées de maintien de l’ordre public ou, quoiqu’il en soit, par des raisons supérieures.

Tous les hommes peuvent ainsi torturer leurs semblables, pourvu que cela soit justifié par les circonstances, l’idéologie ou la conviction commune.

Les hommes ont le droit de tuer leurs semblables, pourvu que cela soit autorisé par les circonstances (maintien de l’ordre, guerres, révolutions, patrouilles de police, conflits ethniques), ou justifié par les objectifs de bonheur humain ou par des considérations religieuses ou éthiques.

Dans les cas où les actes de massacre collectif ou individuel se révèlent particulièrement convenir aux besoins de la société et du moment, les hommes qui ont pris part à de tels massacres peuvent être considérés comme des héros ou des saints; leurs victimes, cependant, ont pareillement le droit d’être considérées comme des martyrs de la partie ayant subi les massacres.

Les hommes, devant les horreurs que les conflits armés et les conflits d’intérêt comportent, ont le droit de garder leur santé mentale. Ils peuvent ainsi:
refouler les conséquences de leurs actes;
considérer comme inévitable leur propre iniquité;
penser être dans le juste;
penser agir pour le bien de l’humanité;
penser que le mal est de toutes façons inévitable;
considérer les êtres humains, dans l’ensemble des êtres vivants, comme les seuls ayant des droits.

Tous les hommes ont le droit d’éprouver de bons sentiments.

1999

I DIRITTI INUMANI

Gli uomini nascono gregari e divisi in classi. Il gregarismo va incoraggiato e stimolato per mantenere l’equilibrio della società.

Tutti gli uomini devono essere incoraggiati a coltivare l’isterismo e la xenofobia per mantenere la struttura gregaria della società e la coesione delle classi, delle nazioni, dei ceti, dei generi, che soli possono assicurare uno sviluppo equilibrato della società umana.

Gli uomini hanno quindi il diritto di essere:

– ingannati
– picchiati
– uccisi
– perseguitati
– avvelenati
– sfruttati
– aizzati gli uni contro gli altri

indipendentemente dalla loro nazionalità, religione, razza o colore, purché questo rientri in un piano di socializzazione e di aggregazione del consorzio umano.

Tutti gli uomini hanno il diritto al mantenimento della vita e alla libertà e alla sicurezza personale, compatibilmente con le esigenze di socializzazione e di aggregazione del consorzio umano e con le esigenze dell’economia e della politica di ogni paese.

Nessuno può essere detenuto o esiliato senza una valida giustificazione (vedi punto precedente).

Tutti gli uomini hanno il diritto a coltivare le proprie illusioni, e ad evadere dalla realtà in modi ideologici, religiosi, elettronici, edonistici, pornografici, ecc., purché questi metodi siano considerati leciti dalla loro comunità di appartenenza. Gli uomini hanno diritto ad avere dei leaders e dei capi riconosciuti.

Poiché tutti gli uomini hanno il diritto a coltivare le proprie illusioni, nessuno può essere perseguitato per le proprie illusioni, tranne che per cause di comprovata forza maggiore. Nel caso si renda necessario, per il benessere del consorzio umano, distruggere le illusioni appartenenti a individui o a categorie di individui, i responsabili di questa distruzione sono tenuti a ricostruire nuove illusioni per i suddetti individui e le suddette categorie.

Gli uomini hanno il diritto di impazzire, di sgozzare i propri simili, purché questo sia giustificato in termini di convivenza umana e di equilibrio.

Ogni uomo ha il diritto, se ne ha la possibilità, di seguire i propri programmi televisivi preferiti e, nell’ambito delle sue possibilità materiali, di impiegare come vuole il proprio tempo libero, di trascorrere come preferisce le proprie vacanze e di dedicarsi agli hobby che gli sembrano più confacenti alla propria personalità.

Gli uomini hanno inoltre il diritto di sfruttare ed affamare i propri simili, se se ne dimostrano degni e se ne hanno le capacità e se la loro non è un’azione effimera ma fondata e capace di mettersi in relazione con altri nell’ambito del consorzio umano.

Gli uomini sono riuniti in fazioni in conflitto fra loro e hanno diritto di appartenervi. Ciascun uomo ha diritto di appartenere a una fazione, a un’etnia, a una religione, e ad odiare coloro che non vi fanno parte.

Gli uomini hanno diritto ad opprimere le loro mogli e i loro figli, (per esempio: a mutilare le proprie figlie) purché ciò non sia arbitrario ma sia basato su principi riconosciuti dalla società.

Gli uomini hanno diritto a condurre guerre, purché:
1. queste siano giustificate.
2. ne abbiano i mezzi e le possibilità.

Possono uccidere animali, avvelenare territori, desertificare regioni, purché questo sia fatto nel’ambito delle regole convenute dal consorzio umano e non impedisca ad altri uomini e ad altri gruppi di uomini di perseguire le stesse attività.

possono tradire, ma a proprio rischio e pericolo: il tradimento, se non avrà successo, non sarà riconosciuto come giustificato, e sarà quindi perseguitato.

possono falsificare la storia, purché abbiano la forza per farlo durevolmente.

Possono tenere schiavi altri uomini, purché questo non avvenga in disaccordo con altre fazioni o gruppi che tengano schiavi altri uomini.

Possono diffondere idee fanatiche.

Possono creare religioni e credenze, e, se questo non turba l’equilibrio del consorzio umano, possono combattere religioni e credenze.

possono fingere di aiutarsi e di aiutare il genere umano.

Possono rubare, purché quest
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POUSSIÈRE

Je serai toujours un peu moins que celui que je suis,
et même, beaucoup moins. Poussière. J’ai beaucoup perdu.
Ce que l’on perd est irrécupérable, et si on le récupère il
est désormais dispersé, il ne rentre plus dans l’ordre préétabli
des choses. Je suis content
s’il ne reste de moi qu’une légère
enveloppe. J’ai perdu
beaucoup. Dans cette légèreté,
ce qui importe le plus est l’absence des aigus,
que tout soit rond et recueilli. Cela
suffit. Tout ce qui est dévasté peut devenir rond,
rond encore. Comme un vase. C’est encore possible.
La poussière peut être récupérée. La poussière était autrefois
décombres. La poussière n’est pas décombres désormais,
elle est lente friable. La poussière
est un peu moins, mais elle peut être
rassemblée. Les blessures peuvent devenir poussière, recueillie
et ramassée sur elle-même. Je suis content
de ne pas comprendre les choses. Leur
raison. Il y a des choses que j’ignore, et je suis
content. Elles apparaissent comme des mystères,
tranquilles. Par exemple,
la jeune femme que je vois toujours, m’aime-t-elle
ou non? Je ne le sais pas. Je suis content
de ne pas le savoir. Je suis content de ne pas savoir
si je l’aime, ou mieux, je sais que je ne l’aime pas, que je pourrais
l’aimer; je suis content
de ne pas savoir si j’aurais pu l’aimer. Ce mystère
me rassure plus que son amour.
Il est beau de ne pas savoir. Ne pas savoir, par exemple,
combien je vivrai,
ou combien vivra la terre.
Cette suspension
remplace l’éternité.

(…)
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DANGER


Bien sûr quand tu as compris désormais
que nous de l’occident nous vivons sur la mort quotidienne de milliers de gens dans le tiers monde, et qu’il y a les guerres, les gens qui meurent de faim,
c’est une chose que je ne parviens pas
à m’ôter de la tête, quand je pense à ces choses je dis,
je ne parviens pas à m’ôter de la tête que je devrais être plus heureux, que je devrais aller mieux, est-il possible je me dis que nous vivions dans le monde privilégié du monde et que nous ne parvenions pas à profiter de la vie, mais nous restons là attroupés à engraisser comme des vers,
dans ce mutisme abstrus, et la seule solution est d’aller faire du sport,
comme disait le sublime Henry Kane
« tous ceux qui ne vont pas faire du sport ont du ventre »

autrefois je baisais comme un dieu, mais maintenant je reste muet, et seul, et je me promène,
avec une veste au col en fausse fourrure,
quand tu sais où mènent toutes ces routes tu ne sais bien que tu ne peux aller nulle part,
ce n’est pas possible de porter dans son ventre les mêmes déchirures, le contact qui se fait et se défait,
brûle est ardent et te provoque par intermittence des élancements, il vaut mieux aller faire du sport, la pire des choses est la deuxième partie de la torture,
refaire le chemin en sachant les sensations qui viendront, les diverses extases profondes, comme un puits, l’eau le coussin et l’espérance, leur courir derrière ne pas vouloir l’appeler ne pas y penser; et tout vivre comme dans une grande pensée, le danger;
tu sens le danger qui s’approche et s’insinue dans ton ventre, et puisque tu sais parfaitement désormais ce que c’est c’est seulement du danger: cela n’a rien d’aventureux:
le docteur m’a dit que je dois mâcher plus lentement les aliments; mais c’est trop tard désormais;

toutes ces choses sont écrites sous un signe hivernal, torrents de pluie gros nuages noirs il y a des choses qu’on doit écrire l’été, d’autres l’hiver, et cela ce sont des choses écrites l’hiver, la peur;
ce sont des sensations qui passent comme dans l’éther comme des nuages qui passent,
tu ne peux qu’en ramasser un morceau, le reste s’en va;
mais comment peux-tu rassembler ta peur,
et l’emmagasiner, ce n’est pas possible,
la troisième partie de la torture est la pire,
quand tu sais la peur et sa répétition, et que tu es en mesure de repenser aussi à la deuxième;

danger comme une bande dessinée, ne t’enfonce pas dans ces choses déchirées, violentes, apprends à te retenir, j’ai
appris:

un de mes amis a toujours mal à la tête -comme un roman-photo, mais je n’ai jamais essayé de faire tenir toute la réalité dans un système, c’est pourquoi je n’ai pas mal à la tête,
et maintenant je marcherai longtemps dans les prés mouillés, avec des chaussures imperméables, de fer, la quatrième partie de la torture
c’est le silence, la conscience de toi, et alors tu peux avouer parce que personne ne te le demande, tu es libre, le mal est seulement

tu sais que tu peux le vaincre;
tu es fort, homme, et au fond, tout compte fait, j’ai appris à mâcher lentement;
il avait cette pâleur malsaine qu’ont seuls les prêtres et les révolutionnaires, et il disait; tu vois comment tout le monde pourrait être heureux, pendant que tout le monde dansait,
on voyait qu’il était très tendu, il était pâle, il attendait la réunion du prochain comité central des chimistes-
j’ai eu environ trois phases de torture comme lui, parmi les marguerites violettes;

maintenant le mal est seulement danger, et c’est l’hiver -j’ai des vêtements très chauds, il pleut, j’ai peur; je devrais fumer moins mais ce n’est pas possible dans des moments comme ça,

c’est le petit matin maintenant sous peu j’irai accomplir un étrange travail occidental-
j’apprends à me laver à l’eau chaude, et à ne pas penser trop;
j’ai à présent la conscience d’être regardé, maintenant, je marche en me sentant regardé, c’est l’hiver;
maintenant c’est l’hiver, il fait beau, le printemps prochain sera encore hiver, il fera beau;

(…)
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Bien sûr quand tu as compris désormais
que nous de l’occident nous vivons sur la mort quotidienne de milliers de gens dans le tiers monde, et qu’il y a les guerres, les gens qui meurent de faim,
c’est une chose que je ne parviens pas
à m’ôter de la tête, quand je pense à ces choses je dis,
je ne parviens pas à m’ôter de la tête que je devrais être plus heureux, que je devrais aller mieux, est-il possible je me dis que nous vivions dans le monde privilégié du monde et que nous ne parvenions pas à profiter de la vie, mais nous restons là attroupés à engraisser comme des vers,
dans ce mutisme abstrus, et la seule solution est d’aller faire du sport,
comme disait le sublime Henry Kane
« tous ceux qui ne vont pas faire du sport ont du ventre »

autrefois je baisais comme un dieu, mais maintenant je reste muet, et seul, et je me promène,
avec une veste au col en fausse fourrure,
quand tu sais où mènent toutes ces routes tu ne sais bien que tu ne peux aller nulle part,
ce n’est pas possible de porter dans son ventre les mêmes déchirures, le contact qui se fait et se défait,
brûle est ardent et te provoque par intermittence des élancements, il vaut mieux aller faire du sport, la pire des choses est la deuxième partie de la torture,
refaire le chemin en sachant les sensations qui viendront, les diverses extases profondes, comme un puits, l’eau le coussin et l’espérance, leur courir derrière ne pas vouloir l’appeler ne pas y penser; et tout vivre comme dans une grande pensée, le danger;
tu sens le danger qui s’approche et s’insinue dans ton ventre, et puisque tu sais parfaitement désormais ce que c’est c’est seulement du danger: cela n’a rien d’aventureux:
le docteur m’a dit que je dois mâcher plus lentement les aliments; mais c’est trop tard désormais;

toutes ces choses sont écrites sous un signe hivernal, torrents de pluie gros nuages noirs il y a des choses qu’on doit écrire l’été, d’autres l’hiver, et cela ce sont des choses écrites l’hiver, la peur;
ce sont des sensations qui passent comme dans l’éther comme des nuages qui passent,
tu ne peux qu’en ramasser un morceau, le reste s’en va;
mais comment peux-tu rassembler ta peur,
et l’emmagasiner, ce n’est pas possible,
la troisième partie de la torture est la pire,
quand tu sais la peur et sa répétition, et que tu es en mesure de repenser aussi à la deuxième;

danger comme une bande dessinée, ne t’enfonce pas dans ces choses déchirées, violentes, apprends à te retenir, j’ai
appris:

un de mes amis a toujours mal à la tête -comme un roman-photo, mais je n’ai jamais essayé de faire tenir toute la réalité dans un système, c’est pourquoi je n’ai pas mal à la tête,
et maintenant je marcherai longtemps dans les prés mouillés, avec des chaussures imperméables, de fer, la quatrième partie de la torture
c’est le silence, la conscience de toi, et alors tu peux avouer parce que personne ne te le demande, tu es libre, le mal est seulement

tu sais que tu peux le vaincre;
tu es fort, homme, et au fond, tout compte fait, j’ai appris à mâcher lentement;
il avait cette pâleur malsaine qu’ont seuls les prêtres et les révolutionnaires, et il disait; tu vois comment tout le monde pourrait être heureux, pendant que tout le monde dansait,
on voyait qu’il était très tendu, il était pâle, il attendait la réunion du prochain comité central des chimistes-
j’ai eu environ trois phases de torture comme lui, parmi les marguerites violettes;

maintenant le mal est seulement danger, et c’est l’hiver -j’ai des vêtements très chauds, il pleut, j’ai peur; je devrais fumer moins mais ce n’est pas possible dans des moments comme ça,

c’est le petit matin maintenant sous peu j’irai accomplir un étrange travail occidental-
j’apprends à me laver à l’eau chaude, et à ne pas penser trop;
j’ai à présent la conscience d’être regardé, maintenant, je marche en me sentant regardé, c’est l’hiver;
maintenant c’est l’hiver, il fait beau, le printemps prochain sera encore hiver, il fera beau;

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Carlo Bordini
POÉSIE, LA SEULE QUI DISE LA VÉRITÉ

J’aime la poésie parce que lorsque j’écris je sais toujours d’où je pars, et je ne sais jamais où j’arrive. J’arrive toujours en territoires inconnus, et j’en sais plus après qu’avant. J’écris ce que je sais, mais je le sais pendant que je l’écris, et pour moi la poésie est toujours la source de continuelles révélations. C’est comme si, durant l’écriture, il y avait en moi de brusques ruptures de l’inconscient. En ce sens je suis assez convaincu que le mot précède la pensée, qu’il est un véhicule de la pensée. On n’écrit pas ce que l’on sait, mais on le sait après l’avoir écrit.

Parfois j’écris des choses dont je ne sais absolument pas ce qu’elles signifient; je le comprends après, ou parfois, ce sont les autres qui viennent me l’expliquer. Je suis d’accord, en ce sens, avec ce qu’écrit Perniola: « Le poète n’est pas le meilleur artisan, mais le meilleur outil. » Je ne crée pas, je suis créé. Je n’écris pas, mais je suis écrit. Quelquefois, je pense que la principale qualité que devrait avoir un poète serait celle de ne pas trahir ce qui lui est dicté par des considérations banales (avec ce qu’il imagine être, ou qu’il croit devoir être, par exemple). Je pense en ce sens qu’il est très difficile d’être spontané: la spontanéité est cachée sous une série de couches de rigidités intellectuelles, de pseudo-connaissances idéologiques, de velléités banales; la poésie brise tout cela, va au cœur des problèmes. Atteindre la spontanéité est un geste qui requiert d’infinies médiations techniques, et surtout d’autres relevant de la sensibilité, de l’honnêteté intellectuelle.

Je crois que la poésie (comme toute forme d’art) est la tentative, avec des moyens imparfaits, d’atteindre la perfection. Il y entre toujours ainsi quelque chose d’artisanal, d’imparfait, comme une prière est artisanale. Rien de préfabriqué ou en série. Les architectes de l’époque romane faisaient toujours la partie droite d’un édifice un peu différente de la partie gauche, parce qu’ils considéraient que la perfection peut être atteinte seulement par Dieu. (Un exemple du fait que la parole précède la connaissance: avant d’écrire cet article je n’aurais jamais imaginé, à propos de l’art, que j’aurais parlé de Dieu).

Tout ce qui concerne le domaine de l’esthétique (non seulement la poésie, mais l’architecture, la mode, la musique) est ce qui maintient la cohésion d’une société, en ce qu’il crée des raisons communes de vivre et touche à la représentation que l’humanité se fait d’elle-même. Apparemment l’art ne sert à rien, parce qu’il n’a pas de connexions immédiates (utilitaires) avec la réalité. En réalité tous les artistes, des poètes aux fabricants de cravates, aux dessinateurs de bandes-dessinées, contribuent d’une manière ou d’une autre à créer une autoreprésentation et une idée de soi de l’humanité. Ce sont souvent les seuls à dire la vérité, et l’humanité ne s’en aperçoit que trop tard: les poètes ne peuvent pas sauver le monde, parce que le monde s’en apercevra seulement après.

Ajout fait longtemps après:
Les artistes sont ceux qui vont le plus au fond des choses: je crois que toutes les formes d’art représentent, chacune à sa manière, en comparaison aux vérités de la politique, de l’idéologie et du sens commun, quelque chose de différent, une sorte d’hypervérité parfois difficile à comprendre, mais qui dépasse les schémas déterminés auxquels l’humanité s’abandonne quelquefois, non sans paresse. Elle peut ouvrir la vie à de nouveaux horizons. Chaque artiste modifie, fût-ce imperceptiblement, la manière avec laquelle l’humanité se regarde elle-même dans sa propre existence.
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