Caroline Preston

Écoutez, mes enfants
Votre père est mort.
De ses vieux manteaux
Je vous ferai des vestes
De ses vieux pantalons,
Des culottes courtes.
On trouvera dans ses poches
Ce qu'il avait l'habitude d'y mettre
Des clés et des pièces de monnaie
Recouvertes de tabac ;
Dan aura l'argent
Pour le déposer à la banque ;
Anne recevra les clés
Qu'elle fera cliqueter.
La vie doit continuer
Même si des hommes bons
Doivent succomber ;
Anne, mange ton petit déjeuner ;
Dan, avale tes cachets ;
La vie doit continuer,
Mais la raison je l'ai oubliée.

(Edna St. Vincent Millay)

Scott Fitzgerald a tout faux.
Les étudiants ne discutent pas de films, de livres, des endroits où ils ont été danser, des filles qu'ils ont pelotées ou embrassées, et encore moins de ce qu'elles portent.
Non, ils parlent football, hockey, confréries, alcool de contrebande et automobiles.

« Si vous voulez être écrivain, ne vous laissez pas dévorer par votre famille », me prévient-elle. « Fuyez.»

L'avenir d'une diplômée de Vassar

85% des diplômées de la promotion de 1924 déclarent que leur ambition professionnelle est de devenir « épouse et mère ».

-Alors, Miss Pratt, qu'est ce qui fait qu'une fille de Vassar se croit qualifiée pour
écrire des histoires sur de vraies gens qui savent ce que souffrir veut dire ?
-Je crois que j'en connais un bout sur la tristesse, Mr Macfadden. Mon père est mort jeune, laissant ma mère subvenir seule aux besoins de trois enfants.
-La grande majorité de nos articles racontent des histoires de coeurs brisés. Que savez-vous là-dessus ?
Je réfléchis un court instant. Dis n'importe quoi, mais décroche ce boulot !
-J'ai fréquenté un homme qui s'est révélé marié. Voilà une histoire tout droit sortie de True Story. Il a l'air satisfait !
-Mais vous êtes-vous repentie ?
-Oui, monsieur, tout à fait.
-C'est très bien, ça c'est une bonne fille. Péché, souffrance, repentance. C'est
notre mot d'ordre. Vous êtes embauchée.
Il se tourne vers une étagère remplie de livres tous écrits par lui et en sort Être femme et épouse.
-Ceci pourrait vous être utile, Miss Pratt. N'hésitez pas à revenir vers moi si vous avez des questions.

Les lèvres de l'acteur bougent, mais la voix est décalée de 2 secondes
et l'enregistrement grésille.
Nous sommes d' accord - le cinéma parlant n'est qu'un feu de paille et les films muets sont bien plus romantiques.

- C'est la vie Phil. On casse avec quelqu'un dont on pensait être amoureux. On épouse quelqu'un dont on pensait ne jamais être amoureux. L'amour est imprévisible. Crois-moi, tu t'en rendras compte un jour;"

Bien que les filles de Vassar se considèrent comme des femmes modernes, elles reprennent le discours de leurs mères et de Jane Austen sur les hommes.

1. Il vient d'une si bonne famille (il est extrêmement riche).

2. Il a l'air très enthousiaste (il s'apprête à faire sa demande).

3. Il n'est pas très gentil (il essaie de drôles de choses avec la jeune fille qu'il fréquente, et/ou il n'est pas très riche).

Elle me raconte les horreurs de clan Volkonsky. Aucun des hommes n'a jamais travaillé et ils s'en sortent grâce aux aumônes d'autres Russes blancs. Sa belle-mère affirme que travailler est "ordinaire".

Greenwich Village 1924-1925

Je me trouve une chambre.
A louer : 1 chambre meublée - eau froide - réfrigérateur - plaque chauffante. 18 $ / par mois. 14 Washington Mews. Contacter Ms Mc Voy.

Washington Mews : une allée derrière ce qui était autrefois le magnifique Washington Square (penser Catherine Sloper). Ce sont d'anciennes étables converties en maisons/ateliers. Isabelle Mc Voy est une ancienne cantatrice (à en juger par les photos au mur, elle est toujours restée dans les chœurs). Je ne sais pas où est Mr Mc Voy, s'il a jamais existé.

Le jour suivant, je donne ma démission à Mr. Macfadden.
"Alors, vous êtes fiancée ?" me demande-t-il, l'air ravi - son guide pour trouver un mari a forcément marché !
"Non", lui dis-je. "Je vais à Paris." Je sors avant qu'il n'ait le temps de me demander : "Qu'allez-vous faire là-bas ?" ou : "De quoi vivrez-vous ?" Questions auxquelles je n'ai aucune réponse...

L'avenir d'une diplômée de Vassar:
85% des diplômées de la promotion de 1924 déclarent que leur ambition professionnelle est de devenir "épouse et mère", un petit nombre de jeunes filles sérieuses souhaitent être médecins et assistantes sociales. L'une d'elle a même l'intention de créer un syndicat. En dessous de "Future profession" j'écris"Artiste affamée". Et je prends mon envol.

Et moi, tout en bas de l'échelle, avec les autres filles sans fortune qui ont été à l'école publique (même si aucune d'entre nous n'admettrait être boursière).

Et moi, diplômée de la promo de Vassar 1924 et lauréate du prix Addison, j'apprends à souder et fixer des tuyaux.