Deni Ellis Béchard, Aurélie Lanctôt,
Catherine Dorion font état de résistance dans leurs ?uvres et leurs propos, face aux forces du monde.
Pourtant l’obsession demeure. Bâtir. Bâtir dans la contrainte, malgré la contrainte, comme un bonzaï dont le tronc s’épaissit parce qu’on l’oblige à rester petit. « C’est normal, il faut s’y faire et persévérer. » Cette façon de penser normalise et banalise toutes les torsions du ventre. Elle réduit au plus petit nombre possible les passions à vivre : une à la fois, et chaque fois poussée, dans le temps, à son étirement maximum. C’est une politique de pauvreté maximale.
Il me semble pourtant que nous n’avons pas grand-chose à perdre. Nous allons mourir dans quelques dizaines d’années.
Quelle est cette force qui nous garde immobiles, alors que nous n’avons qu’une seule minute dans cet immense champ ?
Cette force, c’est elle, bien plus que Couillard ou Trump ou la finance mondiale, qui empêche tout, qui détruit tout, qui envoie le meilleur de la vie aux poubelles avant même qu’on ait pu y gouter.
Ils ne sont grands que parce que nous nous sommes autotransformés en carpettes.
Elle, elle attend son salut de lui. Quand il se fout d’elle, elle se ratatine. Quand il revient vers elle, elle se sent vivre. Elle reste là, toutes vannes ouvertes, sa vitalité s’écoulant vers lui à mesure qu’elle est produite, à l’image de ces pays pauvres dont les citoyens les plus vifs et les plus utiles s’envolent systématiquement vers le Nord.
Colette Peignot, la blonde de Georges Bataille, écrit : « La vie à deux vide de sa substance l’un des deux. »
Nancy Huston écrit : « Selon la formule d’un ami québécois, quand deux êtres s’aiment, ils ne font bientôt plus qu’un ; le tout est de savoir lequel des deux. » Henry Miller affirme que « rares sont les hommes capables d’envisager leurs rapports avec une femme sous l’angle d’une lutte féconde ».
Rares les femmes aussi. Quand l’un domine et que l’autre s’écrase, le mouvement s’arrête ; reste une relation morte.
Ils ne sont rien si nous nous désengageons de leur monde de destruction et de merde.
Que nous libérions notre agenda, que nous le vidions de sa substance nauséabonde, que nous repoussions doucement mais fermement les contrats absurdes et les « il faut / il ne faut pas » qui nous sucent la moelle et la vaillance, que nous nous réappropriions ce temps qui jadis appartenait à ceux que nous aimions et à ceux que nous allions mettre au monde.
Que nous nous retrouvions quelque part dans le vrai monde sans en souffler mot aux journalistes, que nous repoussions doucement mais fermement leurs caméras et leurs questions stériles, que nous nous regardions longuement les uns les autres, à la lueur du feu si possible, jusqu’à ce que le désir vienne au monde et renverse l’immobilisme de pierre et l’abattement et la sècheresse affective et l’envie de nuire à ce qui est beau.
Si l’école de mes enfants se mettait héroïquement à opérer coute que coute, en vase clos, de gros changements extrêmement originaux en se foutant du ministère, il y aurait des représailles. En même temps, il y aurait de l’action, une action qui ouvrirait une réflexion, peut-être même une victoire. Tout ça deviendrait enfin intéressant.
Mais nous n’en sommes pas encore là. Notre profond respect des règles travaille contre nous. Ce n’est pourtant pas dans la limite du permis que se jouent les renversements. Il faut se mesurer aux frontières avec toute la force de notre corps. Lutte féconde.
Le désir est révolutionnaire et c’est pour ça que les conformistes lui tapent systématiquement dessus comme dans le jeu de la taupe et du marteau. Aplatir le désir partout où il pousse. S’assurer que le peuple avorte à mesure de ses solidarités en gestation.
C’est à la dure qu’on apprend à mentir. Ou à entreposer nos désirs dans une boite noire qu’on se jure de ne jamais ouvrir. Pas avant le jour de l’écrasement, du moins.
Comment espérer accomplir quelque chose de différent si, toujours, nous épousons la forme exacte de ce qui est déjà là ?
Gabrielle se roule en petite boule en criant, les mains sur les yeux, mais elle n'entend même pas son propre cri tellement il se perd dans la masse des slogans, des tambours et des hurlement de la foule. Des voix inconnues se rapprochent, lui crient dans l'oreille.
- Ça va?
- Penche ta tête! Penche ta tête vers l'arrière!
On lui empoigne la tête, on la tient. Une autre voix crie:
-Ouvre tes yeux! Ouvre tes yeux!
Élections : là où le désir populaire à dû s'engouffrer dans un entonnoir gros comme le trou de cul d'une gerboise pour finalement s'écrasé, désorienté, sur un gouvernement de bois mort (...)
Les rabat-joies professionnels. Trop heureux de dire aux vivants qu'ils étaient la seule alternative, alors qu'ils conciliaient chacun de leurs gestes avec la ligne d'un parti beaucoup plus grand qu'eux, celui d'une classe sociale dominante mondiale qui n'en a rien, mais rien à foutre de nous, sauf de nous voir nous échiner toute la semaine à travailler dans des industries dont personne n'a réellement besoin, et toute la fin de semaine à magasiner dans de grandes surfaces excitantes, exténuantes et déprimantes comme la coke.
Ce n’est pas la nature de l’union qui est importante, encore moins sa durée. C’est sa richesse dans le présent, c’est sa touffeur humaine, c’est cet aliment infiniment nécessaire à l’humain que l’union porte en elle, cet aliment de cohumanité, de meute qui se lie en direct, l’aliment les autres sans lequel nous ne serions pas des humains.