Citations de Catherine Herszberg (87)
… le directeur
- Nous sommes dans un système de condamnation à la mort sociale. D’abord par l’exclusion économique et après par l’exclusion totale. Le mec fou, quand il est condamné, il faut bien le mettre quelque part. On est dans l’industrialisation de la peine, mais on ne peut pas rallumer les fours crématoires.
… le soignant
- Je vais sans doute vous choquer, je choque tout le monde en disant cela, mais au rythme où ça va, on finira par rouvrir les chambres à gaz.
J’ai déjà vu des experts certifier que des types totalement fous simulaient. Ceux-là oublient qu’ils sont médecins et se prennent pour des juges. « Comme certains juges se prennent pour des médecins, la confusion est à peu près totale.
… les rets pervers dans lesquels sont désormais pris les psychiatres en détention. Passés derrière les murs pour soulager une souffrance psychique extrême, leur présence en prison retire désormais aux juges tout scrupule quand ils y expédient des hommes et des femmes dans une souffrance psychique extrême ! Qu’importe la taule pour ces malades ; ils y trouveront des psychiatres pour soulager leurs maux.
Ca ne plaisante pas une grille dressée de plus de 30 mètres carrés, ça soumet, c'est fait pour ça.
Depuis quelques temps, Château-Thierry reçoit des détenus venus directement du CNO (centre national d'observation ndlr). Ça n'arrivait jamais, assure la psychiatre, c'est de plus en plus fréquent. "On nous envoie les longues peines qui sont au-delà de la tolérance des autres prisons, et ça va de la chose la plus conne à la plus insensée." La plus conne, ce pourrait être ce psychotique qui fait des impositions de mains et jette des sorts aux surveillants qui prennent peur. La plus insensée, c'est cet homme qui entre dans le bureau de Sylvie Aigrot, se précipite sur le radiateur comme s'il s'agissait d'un téléphone, entame une conversation la tête dans le radiateur avant d'envoyer des satellites dans l'espace. Le psychiatre, elle, l'a envoyée direct en HO (hospitalisation d'office ndlr). Quelques temps plus tard, l'hôpital psychiatrique l'a rappelée. Certes l'homme est fou, a dit le médecin hospitalier, il est même si fou qu'on ne peut rien pour lui, alors on vous le renvoie. "Ça met en colère d'y repenser, s'énerve Sylvie Aigrot, je ne veux pas voir cet homme en prison, je n'ai jamais vu un homme aussi fou que celui-là!" Trop fou pour être hospitalisé; il risque d'immobiliser un lit pendant des années. "C'est pour ça qu'on voit peu de psychotiques aussi délirants à l'hôpital, une bonne partie d'entre eux est en prison...!"
... en prison rien ne donne envie de vivre, et c'est sans doute l'une des raisons qui expliquent qu'on y meurt beaucoup.
Sylvain T., c’est cet homme qui entre dans les murs des cellules à Fresnes, supplicié par des insultes, des ordres, des menaces, des bêtes, des ronds, des fils, des sigles… et qui n’a trouvé qu’une parade pour leur échapper – un peu : répéter à voix haute le mot « absous ».
[Concernant l’article 122-1]
La démence, c’était absolu, brut d’acception, trop brut même, au point que l’identité du sujet s’y abîmait tout entière. En cette fin du XXe siècle, la perception de la folie modifiée par les connaissances acquises sur les maladies mentales impose d’en finir avec la démence du début du XIXe siècle. Le discernement, c’est en effet beaucoup plus subtil. Tellement subtil qu’on ne sait trop s’il s’agit d’une notion morale ?... philosophique ?... clinique ?... En outre, déterminer si ce concept – dont on ne peut attester avec certitude de quel champ de la pensée ni du savoir il relève – est aboli ou seulement altéré impose parfois aux experts psychiatres des acrobaties cérébrales.
J'ai débarqué à Fresnes au début du mois de décembre - un mauvais mois pour la prison. La lumière est trop chiche pour passer les fenêtres grillagées, les jours trop courts et surtout trop glacés pour revigorer les chairs. Au mois de décembre, le corps contraint du prisonnier se replie davantage encore. Le corps du visiteur aussi. Car il fait froid l'hier en prison ...
plus de 35% des prisonniers sont du point de vue mental "manifestement malades, gravement malades, voire parmi les patients les plus malades"
... une question fondamentale qui gêne le "citoyen" Landais, il le dit, "plus que le directeur de prison" : "Quel sens peut avoir une peine chez une personne qui ne comprend même pas qu'il s'agit d'une peine ?"
Trop fou pour être hospitalisé ; il risque d'immobiliser un lit pendant des années. "C'est pour ça qu'on voit peu de psychotiques aussi délirants à l'hôpital, une bonne partie d'entre eux est en prison !..."
Je n'ai pas fait de commentaire, mais songé aux effets pervers d'un univers hors-norme - tout est hors norme en prison, la violence, la réclusion, le bruit, l'arbitraire, la misère, la perversité... et même la folie. C'est même d'une telle démesure que pour la supporter il faut nécessairement la réduire en la rabattant sur un ordre plus familier. Dès lors le quotidien peut devenir acceptable et c'est sans doute l'une des conditions qui permettent de travailler en détention. Au risque de passer la limite sans même s'en apercevoir et commencer doucement à tolérer l'intolérable. Là où le "hors normes" devient la règle commune, comment préserver intacte une capacité d'indignation ? Comment songer encore à s'émouvoir ? La question, pourtant cruciale, n'a de réponse qu'au singulier.
C'est comme ça chez nous, m'expliquera un gradé, "celui qui soulève un problème, il en est responsable, alors personne n'en soulève".
La hantise de l'évasion est telle que les détenus endurent souvent à l'hôpital des conditions de vie plus pénibles qu'en détention. Enfermés à l'isolement, voire attachés, priés de promenade, de visites, d'accès à la salle de télévision, à la salle de repas commune... ,sans que leur état de santé justifie l'une ou l'autre de ces mesures.
On est devenu la poubelle de la société; on récupère ceux dont elle ne veut plus.
Soigner en prison, c'est bien sûr alléger la souffrance. C'est même, pour certains, engager un travail sur soi. Mais soigner en prison, et ça c'est inévitable, c'est aussi remettre d'aplomb le détenu pour qu'il puisse sans heurts réintégrer la cellule.
"Quand on réussit, avec un type totalement délirant en cellule d'isolement qu'on piquait trois fois par jour et qui nous crachait dessus, à établir une conversation normale, oui, je dis qu'on l'a bien soigné. D'autres ne diraient pas ça ; tout dépend de ce qu'on entend par soigner." [Monique Jung]
Comme le relève le patron du Centre national d'observation, "s'il y a 21% de psychotiques en prison, ça montre bien qu'il y a une volonté politique pour les mettre là, non ?".
Quel est le sens de la peine [...] pour ce jeune homme qui s'obstine à attendre le bus dans le couloir de la 1ère division ? Ou cet autre envoyé au mitard après s'être énervé très fort contre les surveillants qui refusaient de lui rendre son vélo pour rentrer à la maison ? Quelle justice est à l'oeuvre à travers la peine pour ces hommes malades, jugés sans avoir vu de médecin, incarcérés sans le comprendre.