Les couples sur internet : Catherine Lejealle, invitée de RFI.
Longtemps, nous étions protégés par des verrous aussi bien financiers que techniques qui nous préservaient des usages intensifs. Mais ils sont désormais levés. Les forfaits mobiles incluent des SMS/MMS illimités et une navigation illimitée sur Internet. Plus personne n’économise le nombre de SMS, ni ne cherche à optimiser les cent soixante caractères qui étaient débités par SMS envoyé. Vous rappelez-vous l’époque où pour écrire un « b » il fallait taper deux fois mais très rapidement sur la touche 2 ? Avouons qu’à cette vitesse il nous était difficile d’envoyer des dizaines de SMS ! Aujourd’hui avec la reconnaissance dite T9, les mots nous sont proposés dès lors qu’on en tape les premières lettres.
Contrairement à l’abus de tabac ou d’alcool qui suppose un arrêt complet, pour l’hyperconnexion, il ne s’agit absolument pas de supprimer mais d’utiliser autrement et mieux les objets permettant de se connecter. Ainsi, nous ne sommes pas dans une logique du tout ou rien mais dans une logique d’autrement et surtout de mieux. Par conséquent, le programme commence par un check-up complet de votre rapport aux connexions afin de déterminer les usages qui vous rendent service ou vous font plaisir (pour les privilégier) et ceux qui vous polluent et vous stressent (pour les limiter).
Un régime drastique pour rentrer dans un maillot de bain que le premier parfum de fondant au chocolat fera échouer ? Pas du tout ! D’ailleurs, ceux qui résisteront aux sirènes des sonneries pendant tout le repas auront droit à un super dessert. Ulysse s’était fait enchaîner au mât pour ne pas céder aux sirènes. Allez-vous devoir éteindre lesdits objets pour vous faciliter l’exercice ? Annoncez ensuite que dès ce week-end vous allez ressortir le bon vieux Monopoly et faire une partie avec eux pour vous désintoxiquer collectivement de Candy Crush. L’union fait la force et le soutien mutuel est toujours utile.
Comme le Petit Poucet à l’aide de ses cailloux, vous pourrez à tout moment parcourir le chemin en sens inverse et vous dire : « Ah oui, j’en étais là ! Maintenant, je ne le ferai plus. J’ai donc vraiment progressé. Je m’en félicite et je continue. » Quand on grandit d’un ou de deux millimètres, on ne s’en rend pas compte et pourtant on a grandi. Pour le changement, c’est pareil. On en prend pleinement conscience qu’une fois certains progrès accomplis, et encore on les minimise. On oublie d’où on est parti.
Lorsque l’on propose à Valentine d’éteindre son mobile, sa tablette et son ordinateur une fois que tout le monde est rentré le soir, elle s’exclame que ce n’est pas possible.
Ce paradoxe apparent s’explique en faisant appel aux théories du comportement du consommateur. Les études montrent que l’utilisateur retient davantage les mauvaises expériences que les bonnes. Il survalorise ce qui ne va pas et parle davantage des déboires autour de lui que de ce qui fonctionne bien. Nous oublions que vivre sans mobile c’est aussi se compliquer la vie pour la microcoordination dans la vie courante. Vous cherchez une rue et vous n’avez pas de plan, le mobile est là. Vous n’avez pas le code d’un immeuble ou alors il a changé, vous êtes condamné à attendre, voire à rentrer chez vous. Grâce au mobile qui nous suit partout, l’information est toujours disponible, à jour et gratuite.
L’addiction (ou assuétude) est un terme médical très fort qui ne se définit pas par un niveau précis (à 3 h d’appels par jour on est addict et à 2 h 59 on ne l’est pas), mais par une perception de souffrance.