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Citations de Cécile Campergue (197)


Chez les convertis au bouddhisme tibétain, les discours et pratiques mêlent bien des contradictions (absence de dogme affirmé et soumission au maître, déritualisation et participation aux rituels liturgiques quotidiens, rationalisation des enseignements/bouddhisme comme “science de l'esprit” et croyances et pratiques aux divinités protectrices, etc.). Il n'est pas rare d'entendre des fidèles critiquer leur religion d'origine (la religion catholique essentiellement, jugée trop rigide, dogmatique, ritualiste, autoritaire) et les voir se soumettre à l'autorité des lamas (même s'ils ne sont pas leurs maîtres ...) !
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« Et si la religion était un jeu de négations ! », Ethnographiques, nov 2003: http://www.ethnographiques.org/2003/Piette
p. 277/78
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« Le tantrisme tibétain en France », “Un Bouddhisme occidental ?” - Cécile Campergue, Éditions L'Harmattan © 2017
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Le fait que le bouddhisme tibétain soit pleinement entré dans l'économie capitaliste est un élément à prendre en compte pour comprendre certaines évolutions majeures car cette économie convient tout à fait au développement mondial des différentes lignées. Même si bien des lamas critiquent la modernité occidentale, le capitalisme libéral et le matérialisme, ils profitent entièrement de ces caractéristiques : le bouddhisme tibétain gagne du terrain dans des pays riches ou dans des enclaves riches des “pays en voie de développement*”.
Dans mon travail de thèse, je formulais cette interrogation : comment une religion riche et complexe, largement idéalisée, constituée de façon bureaucratique et même “aristocratique”, “ce qui est opposé à la représentation démocratique qu'en ont la majorité de ses adeptes occidentaux” a pu trouver un si large écho en Occident ? Une religion liée à un contexte théocratique et féodal, très hiérarchisée, aux rites et aux pratiques reliées à un monde invisible, trouve un succès certain dans un Occident sécularisé, désenchanté diront certains. Le mythe du Tibet magique, la cause tibétaine et la figure emblématique du Dalaï-Lama, l'attrait pour les religions orientales qui mettent en avant la place du corps et l'expérientiel participent à la compréhension du succès du bouddhisme tibétain en Occident.
Les lamas, ces virtuoses du religieux, sont les détenteurs des biens de salut, ce qui les isole …
p. 273
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Mais cette séparation des pouvoirs n'est peut-être pas encore pour aujourd'hui. Viendra-t-elle après la mort du Dalaï-Lama ? Ce dernier reste évasif sur le futur de sa lignée, ne souhaitant pas que les élites politiques chinoises s'immiscent dans la recherche de sa future incarnation et il laisse parfois entendre qu'il ne se réincarnera pas.
p. 269
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Dhagpo Kagyu Ling est sous l'autorité de Jigmé Rinpoché, frère du Sharmapa, désormais secrétaire général du Karmapa Thayé Dorjé (récemment marié). L'administration centrale tibétaine a émis un communiqué avec de brèves condoléances sur la mort de Shamar Rinpoché.
Cette querelle de pouvoir liée au système des tülkou est directement reliée aux prérogatives religieuses, économiques et politiques. L'exil et la diffusion massive du bouddhisme tibétain dans d'autres aires culturelles, avec pour corollaire la présence de millions de fidèles Karma-Kagyü dans le monde (et d'une multitude de centres) ont contribué à renforcer les différends au sein de la lignée. L'allégeance à un maître et la nécessaire dévotion à une lignée d'incarnations sont des éléments nécessaires pour comprendre les choix effectués par certains, choix qui répondent aussi à des caractéristiques pragmatiques, surtout au niveau du clergé.
Le tibétologue Samten G. Karmay critique ce système d'alliance entre le politique et le religieux et le système des tülkou, arguant que les Tibétains doivent tirer des leçons du passé, d'un système « source de tant d'instabilité politique et de désunion ». Il rappelle que l'institution des tülkou a été à l'origine de schismes, d'intrigues politiques et de querelles entre écoles et note l'existence actuelle de deux panchen-lamas, deux Karmapa... ainsi que la fragilité de ce système pouvant être soumis au contrôle des Chinois comme l'a bien montré Jagou. Il plaide pour la séparation des pouvoirs et la laïcisation de la communauté tibétaine exilée.
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(voir : http://camisard.hautetfort.com/archive/2008/09/13/religion-tibetaine-et-politique-de-samten-karmay.html)
p. 268/69
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Finalement, ce qui est reproché au Dalaï-Lama, c'est son œcuménisme envers les autres lignées tibétaines, dans un but politique notamment, dans le combat pour le Tibet autonome et l'unité nationale. Shugden, réputé pour préserver la pureté de la lignée Guéloug, contribue au sectarisme et à la fragilité de l'unité nationale, sociale et politique de la communauté tibétaine si importante à sa survie. Le Dalaï-Lama a finalement utilisé son autorité politique « pour traiter ce qui était et qui aurait dû rester une question purement religieuse » comme le note Ardley. Cependant, le politique et le religieux étant inextricablement liés ...
p. 252
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Shugden est considéré comme un protecteur du Dharma (chos skyong) pratiqué par des maîtres Guélougpa mais aussi par des maîtres Sakyapa. Selon la version des adeptes de Dorjé Shugden, c'est au temps du Ve Dalaï-Lama que la propitiation de Dorjé Shugden par le Dalaï-Lama s'accentue. À l'époque, le futur Ve Dalaï-Lama a un rival nommé Drakpa Gyaltsen (1618-1655) qui sort vainqueur d'un débat avec ce dernier et qui est retrouvé mort par la suite. Le Ve Dalaï-Lama a pensé que Drakpa Gyaltsen s'était réincarné en Dorjé Shugden pour attenter à sa vie et il aurait fait appel à des maîtres Nyingma pour l'aider à le détruire. Puis, il comprit qu'il s'était trompé et écrivit un texte apologétique à son égard. Dorjé Shugden est considéré finalement comme le protecteur de la lignée Guéloug, de sa pureté doctrinale. Pour certains, Shugden ne tolère pas que des lamas Guélougpa étudient ou reçoivent des enseignements d'autres lignées, notamment des Nyingmapa, ce que fait le Dalaï-Lama actuel qui défend plutôt une logique œcuménique dont l'objectif premier est de créer une unité en exil pour éviter à la fois la fragmentation du bouddhisme tibétain et celle de la communauté tibétaine exilée.
p. 237
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L'institution des Dalaï-Lamas et le règne hiératique qui l'accompagne permettent de comprendre les rivalités entre factions rivales ; de la noblesse tibétaine dans l'élite administrative (mais aussi dans l'élite religieuse), des factions rivales mobilisant l'appartenance régionale et religieuse (lignée). La place des Occidentaux dans certaines affaires tibétaines est loin d'être négligeable et elle a même pu contribuer à accentuer certaines rivalités religieuses et/ou politiques, renforçant ainsi le phénomène, déjà présent, de sectarisme des écoles dirigées par un ou plusieurs maîtres. Deux grandes affaires, dont la première, reliée à une déité, qui se présente comme étant de nature religieuse et l'autre, concernant la reconnaissance du hiérarque Karma-Kagyü (le Karmapa) se présentant comme de nature politique, contribuent à mettre en lumière une certaine continuité du chos srid zung 'bre1*, « l'indissociable union du religieux et du politique ».
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* Qui caractérise, entre autres, le gouvernement tibétain central avant 1959. Cette expression est employée pour montrer une certaine continuité poursuivie en exil dans laquelle la sphère religieuse n'est pas complètement séparée de la sphère politique.
p. 235
(voir :
http://camisard.hautetfort.com/archive/2008/04/30/l-institution-des-dalai-lama1.html)
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Plusieurs disciples et “anciens” s'étonnent : les enseignements dispensés par certains maîtres tendent à poser une vision négative du samsara, entendu comme la vie ordinaire, vie de famille et professionnelle dont il faudrait s'extraire, alors même que ces maîtres et leurs organisations vivent et jouissent des apports financiers provenant de ces vies samsariques ordinaires*, paradoxe qui n'est pas propre au bouddhisme tibétain.
Dans les critiques de bouddhistes de longue date, beaucoup insistent sur la qualité de la relation qu'ils avaient avec leur lama tibétain de la première génération, distincte à bien des égards de celle avec des lamas occidentaux ou des lamas tibétains de la nouvelle génération. Cependant, il faut prendre des précautions avec leurs récits qui ne sont que des reconstructions normatives du passé énoncées face à des événements présents. Il y a derrière cette différence revendiquée un désir d'évoquer qu'ils ont connu d'authentiques maîtres, bien rares à leurs yeux aujourd'hui.
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— * J'ai entendu plusieurs fois des maîtres poser une vision critique de la vie ordinaire dans le monde. Reprise, réinterprétée et parfois amplifiée par des pratiquants vivant dans des centres, certains font une différence entre une vie dans un centre, pleine de sens, et une vie en dehors, pleine d'ignorance. Cette vision manichéenne est caractéristique de plusieurs fidèles vivant dans des centres communautaires.
p. 222
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HÉTÉROGÉNÉITÉ DES MAÎTRES ET MALENTENDUS « CULTURELS »
Si lamas tibétains agissent en vertu d'un « habitus religieux », avec des « croyances et des techniques de persuasion qui leur ont été inculquées et qu'ils mettent en œuvre en ce qu'ils pensent être la vérité », ils ne sont, pour autant, « ni des manipulateurs ni des calculateurs » écrivait Obadia. Attention à cet excès de culturalisme. Pour ma part et m'en tenant à mes propres observations, je dirais que certains maîtres, et ce, qu'ils soient d'origine tibétaine, bhoutanaise ou occidentale, peuvent faire usage de procédés manipulatoires, et que, comme dans l'Himalaya par le passé (mais également aujourd'hui), certains peuvent avoir une « moralité douteuse ». Tous ne sont pas concernés par la recherche de l'Éveil, le bonheur d'autrui et la cessation de leurs souffrances mais aussi par l'obtention de « prospérité matérielle ou renommée dans ce monde » et les moyens utilisés pour cela, peuvent à la fois s'éloigner de l'éthique bouddhiste. Spiro soulignait que les bouddhistes diffèrent peu des autres personnes en général et le fait qu'ils ne souscrivent pas à toutes les doctrines normatives du bouddhisme est une indication de leur similarité avec les autres. Ce propos, que l'on pourrait qualifier de naïf car d'une grande évidence, est essentiel, car la représentation dominante des Occidentaux à l'égard des lamas (notamment Tibétains mais aussi Occidentaux) est celle d'un sage, un être éveillé aux qualités surnaturelles (omniscience, clairvoyance, etc.). Faure rappelle que la majorité des clercs en Asie est plus préoccupée par des perspectives mondaines qu'extra-mondaines, en quoi les Tibétains seraient-ils ontologiquement différent ?
p. 219
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En janvier 2008, le Conseil des lamas s'est réuni et a adressé une communication interne au conseil d'administration des centres affiliés mais n'a rien fait pour recevoir les personnes qui ont pu être “abusées” par le lama. Un communiqué officiel a été transmis en avril 2008 rappelant que Lama Yéshé Nyingpo « a menti sur une longue période au Conseil et qu'il a transgressé la Charte du Conseil, le code d'éthique des lamas du mandala de Dhagpo, à laquelle il avait pleinement adhéré ». Dans ce communiqué, on peut lire : « Ce courrier vous informe d'une situation qui demande à être abordée avec tact. C'est pourquoi je vous demande de ne pas afficher cette lettre au KTT et de ne pas la distribuer aux adhérents. Cependant, l'information n'est pas confidentielle et doit être communiquée si c'est nécessaire. La démarche la plus simple semble donc être de faire comme lors du précédent envoi : réunir le CA ou le noyau des pratiquants, lire ensemble la lettre et, dans un second temps, informer oralement les personnes du KTT qui sont personnellement concernées, s'il y en a »*. On voit bien que c'est l'entorse à ses vœux de moine qui à entraîné cette sanction, moins le fait qu’il ait pu abuser de son statut de lama (moine) pour obtenir des faveurs sexuelles de certaines disciples.
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* Communiqué Dhagpo Kagyu Ling, correspondance privée. (http://camisard.hautetfort.com/media/00/00/754533259.jpg)
p. 208
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En 2008, c'est le plus grand monastère Kagyu auvergnat qui est l'objet d'un scandale qui va secouer la communauté et entraîner des départs. Au centre du scandale, un lama moine parmi les plus prestigieux du monastère, fidèle disciple et traducteur de Lama Gendune, Lama Yéshé Nyingpo, un maître de retraite réputé pour la qualité de ses enseigne-ments et hautement respecté par toute la communauté. Ce lama a été révoqué par l'institution, notamment du fait qu'il entretenait, depuis de nombreuses années, des relations à caractère sexuel avec plusieurs de ses disciples et qu'il a donc “menti” pendant plusieurs années, en ayant brisé ses vœux monastiques. Sa révocation n'a pas été directement le fait de ses disciples (des retraitants l'ont tout de même dénoncé) mais celle de l'institution, qui l'a destitué de son titre de lama et l'a mis à l'écart du monastère en lui interdisant d'enseigner comme lama de la lignée Kagyü dans tous les centres reliés à Dhagpo. Ce dernier ne s'est pas opposé au verdict. Cette histoire a bousculé plus d'un fidèle et a suscité beaucoup d'émotions, de colères et de critiques. Pour certains, il s'agit d'un véritable scandale, d'une honte. Les autorités tibétaines ont agi de manière rapide, la gestion de l'incident s'est faite discrète afin de ne pas éveiller la curiosité des observateurs et des médias, ce qui n'a pas été du goût des personnes concernées par les “frasques” du lama-moine.
p. 207/08
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De nombreuses femmes que j'ai pu rencontrer considèrent leur maître comme un assemblage complexe d'autorité paternelle, de partenaire masculin idéal, de meilleur ami et de confident. La compétition et la jalousie entre femmes (celles-ci existent aussi chez les hommes) dans le but d'être la plus “proche du maître” sont particulièrement prégnantes. Certains maîtres ont une “cour” non négligeable de femmes qui les entoure, les sollicite, et aussi parfois, les ennuie. Certains sont quelquefois embarrassés de cette effervescence qu'ils produisent, même si elle peut être recherchée par d'autres.
4. Amours déchus : des centres en crise
RESPONSABILITÉS PARTAGÉES
Les scandales, notamment sexuels, mais aussi financiers, mettant en cause certains maîtres ont, dès les années 80, secoué la communauté bouddhique américaine et ont entraîné des remises en cause et des questionnements sur l'autorité du maître. Une conférence d'enseignants bouddhistes occidentaux s'est réunie à Dharamsala en 1993 avec le Dalaï-Lama pour aborder les situations qui portaient le discrédit sur la tradition bouddhiste. Suite à cette conférence, une « lettre ouverte à la communauté bouddhiste » fut transmise et diffusée sur Internet, signée par des enseignants présents à la conférence, dont un seul lama français, mais cette lettre ouverte n'a pas eu d'échos dans les centres français.
p. 203
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DE LA « SERVITUDE VOLONTAIRE »
Comme tout pouvoir, la relation à un maître est donc asymétrique par sa nature. Dans les relations de maître à disciple, les dispositifs institutionnels (les centres, la tradition, la hiérarchie, l'organisation interne) agissent sur les comportements des maîtres et des disciples. Les relations de dépendance, d'excès de légitimation et d'idéalisation du maître, présentes dans bien des centres du dharma sont le fait, à la fois des maîtres (authentifiés par la hiérarchie ou non, mais perçus par leurs disciples comme tels) mais aussi […](p. 196)
... de la détention d'une vérité particulière avant toute investigation. Surgit alors une injonction paradoxale : une “double pensée” (double-think). D'un côté, on doit tout tester avant de l'adopter et en même temps, ce que dit le lama doit être cru car il se réfère à un plan de réalité au-delà de notre compréhension. Les conséquences, selon Bishop, peuvent aller du mythe de l'infaillibilité et de l'omnipotence au paternalisme. C'est ce que l'on peut traduire par la double contrainte : faites l'expérience vous-même de l'enseignement mais si vous n'êtes pas en accord avec ce que dit votre maître ou vos maîtres, c'est que vous êtes dans l'illusion, dans l'erreur. Les critiques envers le maître sont perçues comme étant le reflet de l'ego et les fidèles s'abstiennent en général de critiquer ouvertement leur lama*. La résultante est une inhibition souvent excessive de l'esprit critique, pouvant amener à différents abus. Dans les centres communautaires, l'assimilation des différents niveaux hiérarchiques engendre un discours normatif et orthodoxe chez les fidèles qui concourent à adopter le point de vue dominant, justifiant ainsi leur domination (réelle ou symbolique).
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* On observe alors une culpabilité justifiant les mauvaises pensées et une peur de critiquer les maîtres, la structure d'un centre, son fonctionnement, etc.
p. 199
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Le samaya entraîne également des malentendus et peut être soumis à des procédés de sujétions : les vœux du “samaya” pris lors des transmissions de pouvoir sont l'équivalent de règles et de principes qui constituent le cadre de la pratique. Transgresser ou rompre son “samaya” entraîne “la ruine du pratiquant” selon Cornu. Il est même conseillé aux personnes de rompre tous liens avec les “briseurs de samaya” par souci de contamination. Nombreuses sont les occasions d'endommager les vœux de “briseurs de samaya” et il existe des pratiques de purification et de confession afin de les réparer. Comme toute notion développée dans un contexte textuel et culturel précis, elle admet en pratique une pluralité d'interprétations, tant chez les adeptes que chez les maîtres. Dans les faits, le “samaya” peut devenir l'instrument d'un pouvoir coercitif. Le fait de briser, d'endommager ou ne pas être à la hauteur de ses “samayas”, entraîne de la culpabilité chez certains fidèles qui interprètent parfois de manière littérale ce qui est écrit dans les textes. Par exemple, à la lecture de : « Celui qui, après s'être engagé dans l'esprit d'éveil et ses vœux les brise ne peut échapper aux renaissances inférieures », l'influence est réelle et peut amener à des comportements perturbateurs et coupables chez le disciple. Lorsque ces paroles sont prononcées par leur maître (avec des variantes), l'effet peut être encore plus pernicieux suivant l'équilibre psychologique de la personne et la motivation du maître qui les prononce. Parfois, dans un sangha donné, ce n'est pas dans les relations de maîtres à disciples que des conflits éclatent mais entre les pairs (“frères et sœurs Vajra”) ou avec d'autres maîtres. Les instructions et explications concernant le “samaya” sont souvent peu explicites et les adeptes peinent parfois à savoir ce qui relève du “samaya”.
p. 195/96
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Le pratiquant doit ensuite se visualiser lui-même en rDo-rje phag-mo, la (« Laie adamantine ») sous forme féminine. De ferventes prières (dont celle en sept branches) sont ensuite invoquées envers les différents maîtres de la lignée auxquels le pratiquant demande bénédictions et protections avec la récitation du mantra correspondant à la pratique. Lors de la phase ultime de la pratique, le lama vient se fondre en lumière et se dissout dans le disciple. Cette pratique, expliquée ici selon le texte diffusé dans les centres Karma-Kagyü, destinée à voir son lama comme un Bouddha afin de développer une dévotion pure et recueillir les bénédictions des maîtres de la lignée, sème parfois la confusion chez certains pratiquants qui ont tendance à voir dans leur lama un véritable Bouddha une fois la pratique terminée. Les interprétations personnelles, les reformulations et autres réinterprétations sont autant de caractéristiques nées de l'adoption d'une pratique religieuse issue d'un contexte culturel étranger. Les interprétations erronées ou inexactes ne sont pas toujours le fait des disciples (en position de “receveurs”, de “réceptacles”) mais également des maîtres, qui, même s'ils s'appuient sur un même texte, n'en font pas tous le même commentaire et le transmettent de manière différenciée.
p. 195
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L'ambiguïté de la hiérarchie tibétaine à cautionner certains mouvements controversés est caractéristique d'une “disposition culturelle” selon un lama tibétain rencontré à Paris, qui est celle de “laisser-faire”. Mais si “disposition culturelle” il y a, elle masque souvent des raisons et réalités bien plus pragmatiques. L'argent considérable dont disposait Lama Kunzang et dont il a fait bénéficier, directement ou non, plusieurs lamas tibétains, entre en ligne de compte. Certains sont plus ou moins liés par des contraintes matérielles à d'autres. Robert Spatz finançait des projets dans la communauté Nyingmapa en exil, il a participé financièrement à la venue du Dalaï-Lama à Paris et également à la maison d'édition Padmakara de Chanteloube ; il aurait également contribué à financer le collège monastique du monastère de Shechen. On comprend alors pourquoi les autorités tibétaines cautionnent OKC. Un autre critère à retenir : on observe une récupération des centres fondés par des maîtres occidentaux par les autorités tibétaines dont ils dépendent. L'articulation entre charisme d'ordre personnel et charisme d'institution est ici indéterminée car le détenteur d'un charisme personnel va à la fois revendiquer instrumentaliser l’institution et en même temps, il peut lui-même être instrumentalisé par cette institution. Ces procédés sont expliqués par plusieurs comme moyens habiles pour “ne pas couper les gens du vrai dharma” !
p. 188/89
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… après “l'affaire” des centres OKC, l'organisation bénéficie toujours de la considération et de la caution des autorités tibétaines. La vie communautaire a engendré la création de couples et des naissances (souvent effectuées sur le centre) ont eu lieu. Avec une volonté et un désir d'autogestion, les enfants ont été éduqués sur place. Il s'agit là d'une exception en France, l'éducation des enfants était assurée par la communauté (les parents n'étaient pas toujours présents) ainsi que tous les autres aspects de la vie sociale. La communauté survenait à ses besoins. L'organisation du Lama Kunzang mais aussi sa personne même, ont fait l'objet de critiques d'anciens adeptes, dont certains enfants éduqués au sein du centre, ce qui a débouché sur une instruction judiciaire en 1997. En 1996, ce centre a été listé dans le rapport Guyard de la commission d'enquête de l'Assemblée Nationale contre les sectes comme “secte à dangerosité présumée”. Lama Kunzang a fait l'objet d'une détention provisoire de six mois (sans qu'aucune charge ne soit retenue contre lui) après son arrestation spectaculaire du 30 mai 1997 : plus de 150 gendarmes sont venus perquisitionner à Nyima Dzong alors qu'une opération de même envergure a été diligentée dans le centre de Bruxelles et les boutiques de l'organisation. Lama Kunzang a été arrêté à son domicile. Les attaques à son égard vont de l'enrichissement personnel aux abus sur mineurs. Des témoins de l'époque, dont les récits divergent, témoignent de controverses imputables à d'anciens fidèles, qui, à cause de problèmes de couple et d'éducation des enfants, se sont retournés contre le lama. Lama Kunzang n'habitait pas sur le centre, il vivait chez lui avec femme et enfants. Lorsqu'il s'est fait arrêter, le centre de Chanteloube, auquel il était plus ou moins “relié” a été perquisitionné. Un procès (contre OKC, Lama Kunzang, sa femme et certains adeptes) a débuté en janvier 2016 (une enquête qui a duré 19 ans...) avec 23 parties civiles. Lama Kunzang n'est jamais revenu en France et vit en Espagne, ne participant pas aux audiences pour raisons de santé et son avocat a plaidé l'acquittement. Le procureur a requis 13 ans de prison à son encontre. Le prononcé, rendu le 15 septembre 2016, a condamné Robert Spatz à une peine de prison de 4 ans avec sursis et a condamné OKC (l'association ASBL) à des confiscations de plus de 4 millions et demi d'euros. Le verdict est jugé “insultant et infondé” par les membres actuels de Nyima Dzong. Effectivement, le centre existe toujours, et, en visite sur les lieux en mai 2016, il y avait 7 personnes qui vivaient là, dont un couple de pionniers qui a toujours vécu au centre depuis sa création (cette femme était alors l'institutrice). Un moine tibétain habite sur place, certains lamas tibétains viennent chaque année pour conférer des enseignements et le réseau de centres OKC est placé sous l'autorité de Rabjam Rinpoché, abbé de Shechen. Les quelques personnes qui sont restées, tentent, avec les “moyens du bord”, de faire vivre le centre.
p. 186/87/88
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TIBÉTAINS ET OCCIDENTAUX : ALLÉGEANCE, CONCURRENCE ET PRAGMATISME
En Occident, aucun maître occidental n'est à la tête d'une lignée tibétaine. La suprématie de la hiérarchie tibétaine est réelle. Si celle-ci n'a pas forcément de prise sur tous les maîtres occidentaux autoproclamés qui ouvrent leur propre centre (ou réseau de centres), le rapport qu'elle entretient avec eux est plutôt de type pragmatique. C'est-à-dire qu'elle maintient des liens, parfois assez fort, avec le centre dont il est question, même si les autorités tibétaines jugent le maître des lieux comme un usurpateur ou du moins, un maître qui n'en est pas un*. Ce dernier, s'il a ouvert un centre et qu'il est un grand mécène, peut donc être cautionné par la hiérarchie tibétaine. Ce pragmatisme a par exemple permis de reprendre la main sur les centres fondés par Trungpa aux Etats-Unis alors dirigés par un américain, Thomas Frederick Rich (Osel Tendzin) que Trungpa avait nommé « regent Vajra » en 1976, ce qui était une première (un occidental détenteur d'une nouvelle lignée). Il sera destitué quelques années après son intronisation alors qu'il avait consciemment transmis le virus du Sida à plusieurs membres de la communauté (se croyant protégé spirituellement !), entraînant un véritable scandale dans l'organisation et au-delà. A la mort de Trungpa en 1987, et juste avant la mort de Thomas Rich en 1991, la hiérarchie tibétaine place en 1990 le fils de Trungpa, Ôsel Rangdrôl Mukpo à la tête de l'organisation.
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* Les usurpateurs peuvent évidemment aussi être tibétains (népalais, bhoutanais, indiens).
p. 185/86
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Alors qu'une certaine fonctionnarisation du titre de lama est réelle (synonyme de rémunération), tant dans les centres comme Karma Ling ou du « Dhagpo Mandala », cette professionnalisation n'est pas du goût de tous. Du fait de l'inflation des titres dans certains centres, le simple fait qu'un Occidental porte ce titre de lama est controversé au sein même de la lignée Kagyü. Ainsi le Xlle Drukchen Rinpoché, hiérarque de la lignée Drukpa-Kagyü se montre très critique : « En ce qui concerne le terme de lama, l'utilisation qui en est faite est trop large. “Lama” est l'expression que l'on ne doit utiliser que pour un maître spirituel totalement qualifié et réalisé, et reconnu comme tel [...]
Pour éviter une fâcheuse confusion aux conséquences nuisibles, la première chose à faire est de renoncer au terme de “lama” pour les Occidentaux ». Cette position, plutôt radicale, peut sous-entendre qu'un Occidental ne peut obtenir la “réalisation” d'un Tibétain. On peut s'interroger sur les motivations des lamas tibétains à renoncer à l'usage du terme lama pour les Occidentaux. Peut-être perçoivent-ils une concurrence à éviter ; d'autres remarquent certains abus qui tendent à donner une mauvaise image de leur religion et veulent y mettre un terme. C'est aussi le point de vue de Dzongsar Khyentsé Rinpoché, petit-fils de Düdjom Rinpoché, cinéaste et maître Nyingmapa, qui critique certains maîtres et ceux qui les suivent. Comme nous l'avons déjà évoqué, certains maîtres tibétains revendiquent leur légitimité et font de leur tradition et de leur identité culturelle et religieuse, un moyen de contrôle pour la transmission du Dharma, revendication relayée par de nombreux fidèles qui n'accordent du crédit qu'aux seuls Lamas tibétains.
p. 180
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Lors du décès de Lama Guendune en 1997, l'accès au statut de lama s'est vu modifié. En effet, lorsque celui-ci était encore en vie, la majorité des pratiquants qui avaient effectué les deux retraites sous sa direction s'est retrouvée de facto portant le titre de lama à sa sortie. Ces deux premières générations de lamas européens étaient appelées localement et de manière ironique les “gogols” par plusieurs anciens, signifiant que Lama Guendune avait transformé ces “drogués”* en lamas. Un nouveau titre, droupla est apparu pour qualifier les personnes ayant fait une ou plusieurs retraites. Ils peuvent, eu égard à leur activité et leur engagement, devenir des lamas mais il existe une période probatoire de trois ans pendant laquelle le futur lama potentiel est suivi par un ou plusieurs tuteurs qui jugent de sa qualité d'enseignant et l'accompagnent dans sa formation. La personne qui postule au titre de lama doit en faire la demande (l'équivalent d'une lettre de motivation est demandé) après avoir effectué ses deux retraites, auprès du Conseil des Pairs. Être lama dans le Dhagpo Mandala ne confère pas le pouvoir de donner des initiations tantriques (à …quelques exceptions près).
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* L'usage de substances pyschoactives (cannabis, héroïne, amphétamines, cocaïne, psychotropes) est très fréquent dans le récit des convertis au bouddhisme tibétain, dont plusieurs lamas.
p. 179
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