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Citation de Partemps


— La revoir ! répliqua Sempronius, elle ! cet instrument de tyrannie paternelle ! jamais je n’eus cette envie, et je ne l’aurai jamais. Mon éducation, qui se fit à Athènes, me jeta d’abord loin de Rome. Puis, un jour, j’enfourchai un cheval, comme centurion de cavalerie dans la légion impériale et je fus commandé pour le service des frontières de la Pannonie. Depuis, j’ai vécu en Asie Mineure. Je n’ai jamais vu Rome ; mais un mot vous suffira. J’ai vu, — ici Sempronius fit une pause, — j’ai vu l’être qui est fait pour remplir le vide de mon âme et le peupler à jamais. C’était à un banquet offert aux officiers de la légion par le proconsul Septimius, à notre arrivée à Éphèse. Tout fut, vous le présumez, noble et somptueux. Mais tout fut éclipsé par un spectacle qui eut lieu dans les jardins du palais et fut joué par les desservants du temple. C’était un drame dans le goût de ceux qu’enfantait l’imagination d’Ovide, court, mais délicieusement rendu ; c’était une fable sur le pouvoir de l’Amour. Le petit dieu figurait sous cent formes diverses, tantôt en guerrier, tantôt en poète ou en musicien, d’autres fois en roi, et d’autres fois il paraissait en marchand chargé d’une pacotille de trésors et de bijoux, le tout pour entreprendre le cœur d’une belle fille. Mais aussi quelle conquête que celle sur qui le Jeune Enchanteur essayait tous ses pouvoirs ! Je n’ai jamais rien vu, rien imaginé de plus beau, ni de plus aimable ! Tout ce que la poésie a inventé de mieux, tout ce que ma fantaisie avide a revêtu de grâce et de charme, de beauté et de noblesse, fut jeté dans les ténèbres de l’oubli. Devant moi se mouvait, vivait, regardait, souriait la Beauté essentielle, telle que Vénus s’élevant du sein des lames salées, ou Pandore descendant des portiques de l’Olympe. Je sentis alors que ma destinée était dite, mon arrêté écrit, et à jamais ! La conviction perça le profond de mon âme en un instant. Je sentis que c’était clair, brillant, acéré, lumineux, comme les flèches de la vérité. Je ne puis vous dire ni vous expliquer avec quelle anxiété toute nouvelle j’étudiai la marche du drame, et combien j’entrai violemment dans tous les intérêts de cette petite scène. Je me pris à trembler de tous mes membres, quand je la vis successivement tentée par la flatterie enivrante de la poésie, par la promesse de tout ce qui peut chatouiller le cœur de l’orgueil, par les joyaux et par l’or, que le jeune et puissant magicien de nos passions étalait sous ses yeux, entassant vision éblouissante sur vision, et faisant se succéder des tentations de plus en plus dangereuses devant la plus dangereuse des filles de la terre. Elle résista à toutes, et je sentais mon cœur battre d’une manière furieuse et inaccoutumée à chaque nouveau triomphe ; un seul stratagème restait. Les nobles palais, les bosquets dorés, les royales retraites dans lesquelles l’enchanteur avait évoqué ses visions de luxure, d’orgueil et de richesse, s’enfuirent comme des songes. La scène fut un simple jardin, avec une grande vue sur une belle montagne au bord de l’Hellespont. La jeune beauté était maintenant assise sur un amas de roses fraîchement effeuillées, et écoutait un discours que lui faisait un jeune homme dans le simple accoutrement du berger d’Ionie. Sa figure et sa contenance étaient nobles, mais ses paroles étaient la simplicité, la passion, l’éloquence même. Je n’ai jamais rien entendu d’aussi parfaitement bien dit. Il ne lui offrit ni la pompe, ni la richesse du monde, mais il mit à ses pieds un cœur débordant d’amour, de foi et d’honneur. Si elle avait résisté à cette prière, elle eût été plus ou moins qu’une mortelle. Elle ne fut ni l’un ni l’autre, elle fut femme, — vraie comme la nature, et sensible aux plus douces impulsions de la nature. J’avais triomphé dans sa résistance, je triomphais maintenant dans sa soumission. Je vis avec délices que cette beauté digne d’un être céleste n’était pas une beauté de statue. Ma joue rougit instinctivement quand la rougeur se répandit sur la sienne. Une larme qui tomba de sa paupière fut suivie par mes larmes, et il me semblait que mon âme s’en allait avec elles. Avec un soupir et un sourire, elle reconnut le pouvoir du cœur sur le cœur, et se laissa choir avec les pleurs silencieux de sa joie sur le sein de l’Ionien. À ce moment, le tonnerre roula avec fracas, la décoration s’éleva comme un nuage qui s’envole, et au lieu du simple jardin de l’Hellespont, nous vîmes les immortels bosquets d’Idalie. L’Ionien était l’Amour lui-même rendu à sa forme première, aimable, puissant, folâtre et semblable à un roi. Le jeune dieu, porté sur ses ailes de pourpre, se glissa entre les bras de la belle créature, et la couronna d’amarante en présence des nymphes, comme souvenir de sa métamorphose en immortelle habitante des bocages de l’île d’Amour.
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