Charlotte Rodrigues

-C’est qui ce voisin ? me questionna-t-il très sérieux soudain.
-Un garçon avec qui on jouait, ma sœur et moi, quand nous étions petites mais ne t’inquiète pas j’ai dit à ma mère que je voyais quelqu’un.
-Oh j’aime mieux ca.
-Monsieur est jaloux ?
-Oh oui, Ema, je n’aime pas que l’on convoite ce qui m’appartient.
-Parce que je t’appartiens, Tristan ?
-Tu représentes beaucoup pour moi, plus que ce que tu ne peux imaginer.
J’étais bouleversée par ses paroles. Je venais de comprendre que nous partagions les mêmes sentiments et qu’ils étaient très forts pour lui comme pour moi.

Son regard à lui seul me transperce, balayant toutes mes peurs en un battement de cils. Sa puissance me rassure, son assurance me tranquillise et sa solitude, semblable à la mienne, me touche.

Je ne change pas de position et reste face à ce dernier, fixant la porte des yeux. Je me raccroche à cette fichue porte pour dissimuler mon malaise. Soudain très absorbée, je ne la quitte pas des yeux, comme si une girafe à trois têtes allait débouler d’un instant à l’autre. Face à mon indifférence, j’espère qu’il va rebrousser chemin.
– Suzanne, veux-tu bien cesser de regarder cette porte ?
Sûr de lui, il parle d’une voix chaude mais son autorité me déplaît.
– Non, réponds-je, timide.
Bravo, Suzanne. Tu viens de remporter la Palme d’or de la nana la moins convaincante du monde.

- Fais-moi l'amour, Matt, me supplie-t-elle en s'accrochant à mon cou.

- Non, réponds-je fermement en écartant ses bras.

- Très bien, dit-elle en réajustant sa tenue qui est simplement mortelle et en s'écartant de moi. Si tu ne le fais pas, quelqu'un d'autre s'en chargera.

Elle me pousse pour se diriger vers la sortie.

- Quoi ? je m'époumone.

Je la rattrape in extremis alors qu'elle a déjà la main posée sur la poignée de porte. Je ne doute pas que les candidats seront nombreux et qui'ls auront probablement beaucoup moins de scrupules que moi pour coucher avec Suzanne dans cet état.

Je bloque la porte avec mon pied et, tout en la regardant j'aboie :

- Tu n'iras nulle part, ce soir. Tu rentres chez toi.

- Certainement pas. Je t'interdis de me donner des ordres. Je m'enverrai en l'air avec qui je veux ce soir, que cela te plaise ou non. Tu as laissé passer ta chance et...

Elle est mon évidence, la meilleure décision de ma vie, la moitié de mon cœur brisé…

Bimbo – comme je me plais à la surnommer depuis la veille – reste seule au bar. Je sais déjà comment tout cela va se terminer. Il règne dans l'air un mélange d'odeurs, surtout de vapeurs de bière et de transpirations d'homme, que j'ai de plus en plus de mal à supporter tellement je suis écœurée. Tout m'énerve depuis qu'elle est arrivée, il y a presque une heure. À chaque fois c'est la même chose, lorsque je vois une fille qui lui tourne autour, et cela arrive beaucoup trop souvent à mon goût.

Survivre, exister sans joie, sans peine, sans plus aucune émotion que celle de subir… subir le bonheur des autres, redouter la vie et ne plus se reconnaître dans ce monde pourri. C’est être condamné à l’errance, à l’existence sans saveur, à la lutte sans but.
Le malheur est mesquin.
Le malheur est dure.
Le malheur est tenace.
C’est mon putain de fardeau depuis dix ans…

Une minute avant la fin de l'ultimatum posé par Matt, je pousse les portes du bar. Pub Irlandais à l'image de son propriétaire, le Matthew's est accueillant, familial et sympathique. L'ambiance qui y règne est toujours agréable. Musique pop rock, bière, et la grande spécialité de la maison : le cheeseburger. Tout y est.

Cette fille est complètement barrée, dangereusement irresponsable et totalement surprenante… Elle est naturellement sexy, ingénieusement sensuelle et naïvement femme fatale.

Pour moi, ce qui fait que l’amour est incomparable, c’est quel existe mille et une façon d’aimer. L’amour se vit et se ressent. Il peut nous inspirer.