- Vous êtes en retard, lança-t-il d'un ton bougon. Je dois vous former.
- Me former à quoi ?
- Vous n'écoutez jamais rien, ou quoi ? fit-il en secouant la tête avant de s'approcher d'elle. Il ne s'agit pas de lancer n'importe quoi à la mer. Ce qu'il faut savoir, c'est ce que les créatures veulent ce jour-là. Quand le temps est calme, elles préfèrent les ossements longs et les crânes qui flottent. Quand c'est orageux, elles veulent des armures et des objets pointus. Si vous les traitez bien, si vous les respectez, elles feront pareil, à condition que vous fassiez pas vot'maline. Et vous devez être prête à l'heure pour les repas. Quand la cloche sonne, vous avez cinq minutes, pas une de plus. Sans quoi elles s'énervent et elles se mettent à manger des morceaux de mur.
Il ne lui fallut qu'un coup d’œil pour savoir ce que représentait le poster. Il y en avait de semblables à travers tout le pays : depuis des mois, ils se multipliaient comme des champignons, tous identiques, avec cette affreuse aquarelle d'une île couleur émeraude sous un ciel bleu chargé de nuages joufflus. Quelques papillons, des arbres qui ressemblaient étrangement à des sucettes : un paradis enchanteur pour des vacances sans fin.
L'affiche glissa le long de la vitre, mais l'image resta imprimée sur la rétine de Sophie, avec sa légende : Le Nouveau Continent. L'endroit où avaient fui ses parent en l'abandonnant ici.
- Et ne vous avisez pas de fourrer vot' petit nez partout, hein ? Vous le regretteriez. Cet endroit est plein de terribles secrets.
- Mais, Monsieur Caillasse, c'est exactement le genre de phrase qui pousserait n'importe qui à fourrer son nez partout !
- Ça ne me regarde pas, répéta le vieil homme avant de s'éloigner avec une expression indéchiffrable.
Elle se força à marcher vers l'île. Le sentier de roches était recouvert d'algues humides et elle glissait à chaque pas. L'odeur de varech et de poisson pourri était si nauséabonde qu'elle dut plaquer la main du son nez pour respirer. Elle pensa aux draugrs, ces marins morts qui attaquent les enfants à la nuit tombée, et elle pressa le pas.