Charly Farrow

- Allô ?
- Mademoiselle Lefevre ? Bonjour, monsieur Martin, notaire. Je suis navré de vous contacter pour vous annoncer cette mauvaise nouvelle mais votre grand-mère nous a quittés cette semaine.
Je fronce les sourcils. Les dernières traces d'alcool traînent encore dans mon esprit. Comment a-t-il eu mon numéro de téléphone ? Je n'ai pas de grands-parents. Ils sont tous décédés.
- Ma grand-mère ?
- Oui, Simone Petit. Vous êtes son unique héritière. Vous êtes l'heureuse propriétaire de la demeure familiale nommée The Rose's House.

- Vous avez failli me rentrer dedans.
- J'ai failli mourir.
Il éclate de rire. Visiblement l'ours en face de moi ne semble pas être réellement choqué de mon état. Il réplique :
- Vous les citadins, vous ne savez pas quand vous risquez réellement votre vie. Ta voiture allait trop doucement pour finir dans le ravin.
Attends mais ce malotru est en train de me tutoyer ? On est passé en un instant d'une politesse à une familiarité. Après cette journée merdique et l'autre qui rigole, j'explose :
- Non mais pardon ? Il est déjà arrivé que certains finissent au fond en allant moins vite que moi alors tu vas te calmer le campagnard !
Son sourire disparaît et ses yeux flamboient. Il grogne et siffle :
- Eh bin j'espère que la toulousaine arrivera à survivre dans LA campagne. Tu n'es pas au bout de tes peines ma jolie ! Le confort de la vie moderne va te manquer et tu partiras en pleurant, crois-moi ! […]
Il a mal pris le fait d'être traité de campagnard et se venge. J'espère bien que je ne retrouverai pas ce vieux type. Il est resté au temps des Cro-Magnon et espère me faire peur. Monsieur ne sait pas que je vivais ici avant même qu'il connaisse le nom de ce patelin.

- Madame est sa propre patronne ? Félicitations !
- Je n'ai pas de vrai petit ami, mais j'ai une bonne carrière, je ricane.
Il a au moins le mérite de baisser les yeux et de s'en vouloir. J'avoue que c'est petit de ressortit ça sur le tapis, mais il fallait bien une petite vengeance.
- Je tiens à te présenter mes plus plates excuses par rapport à mes paroles. Tu as l'air d'être une chic fille. Quand Dylan m'a parlé de toi, je t'imaginais... différente.
- Tu veux dire vieille fille moche avec des chats ? je me moque.
Il toussote avant de me faire un grand sourire. Les choses ont mal démarré avec Nathan mais ça pourrait bien s'arranger. Cette semaine va peut-être bien se passer finalement ?

Le théâtre c’est comme courir. Une échappatoire. Je ne pourrais plus m’en passer. Rentrer dans la peau d’un personnage, devenir lui, endosser ses fardeaux et exulter pendant ses victoires, j’adore. Je ne me sens jamais aussi vivant que quand je joue l’histoire d’un autre. Lorsque je suis prêt, je descends et prends place à la droite de mon père. Maman m’amène tout et je la remercie d’un sourire avant qu’elle s’assoie à gauche de papa. Elle a une tasse de thé avec du fromage blanc et des fruits rouges. Mon assiette est bien plus conséquente. Quatre œufs au plat, deux tartines beurrées, deux saucisses, un verre de jus d’oranges pressées et un chocolat chaud. Mon père refuse que je boive du café. C’est dommage, car j’adore le goût. J’en bois chez les potes. Si mon père savait, il serait fou. Comme je ne fume pas et bois uniquement en soirée, j’estime avoir le droit à du café de temps en temps. Mon père voudrait me diriger, que je sois tout ce qu’il n’a jamais été. Il surveille attentivement mes repas. Pendant les vacances, lors des apéritifs, je n’avais pas le droit ni à une bière et encore moins à des gâteaux apéritifs. Je ne sais pas s’il a fait exprès, mais il n’a pas arrêté de prendre mes préférés, les petites boules à la tomate. Pendant qu’il les mangeait, il me disait qu’un sportif doit avoir une diète stricte pour préserver son corps. Je me demande s’il s’apercevait que ça pouvait s’apparenter à de la torture ce qu’il me faisait subir. Si j’avais osé lui dire, il aurait ri en disant de m’endurcir, que les hommes encaissent sans se plaindre. Mon père est de la vieille école. Je devrais peut-être le remercier, grâce à lui, je suis devenu tolérant. Je refuse de lui ressembler. Je me suis construit en opposition avec lui.

"Ils ne sont peut-être que des voix dans mon esprit mais je m'en fiche. Ce sont mes voix, mes hallucinations et elles ont fait tellement pour moi. Je ne regrette pas de les connaître."

Les gens peuvent te décevoir. La nourriture jamais. Bon tout dépend où tu vas, mais généralement, il est plus simple de tomber sur un bon plat que sur une bonne personne.

Voilà le bilan. Il n’est pas horrible. Il est en attente.
Pendant dix ans, je suis restée en marge sur le trottoir de l’attentisme plutôt que d’être sur la route de ma vie. Par peur de l’inconnu, de tester de nouvelles choses et de me planter, je n’ai rien entrepris ni osé. Je ne veux plus attendre et passer à côté de ma vie. C’est la Séraphine de vingt ans qui ne faisait rien.

Mon trajet n'est pas si long mais il me faut au moins dix minutes de marche pour aller jusque chez Camille. Pourquoi avoir décidé, aujourd'hui, de reprendre le sport ? La prochaine fois que j'ai une idée aussi brillante, il fait que le destin m'arrête !
Après avoir franchi la porte d'entrée, je dois maintenant monter les quatre étages. Pas d'ascenseur chez ma meilleure amie. Bien évidemment, ce détail avait été effacé de ma conscience. Enfin, je la suspecte même de l'avoir sciemment omis. Mon corps, lui, s'en souviendra longtemps. Mes cuisses hurlent de douleur et protestent.
Le simple fait de lever la main pour appuyer sur la sonnette est un calvaire. Porter mon sac de tri s'est également révélé compliqué. La porte s'ouvre et je gémis :
- J'ai trop mal au cul ! Ton escalier est vraiment horrible !
Quand un rire masculin et un large torse apparaissent devant moi, je bloque. […]
- Ravi d'apprendre ça…

J’espère avoir pu vous éveiller à la cause féministe. Non, être féministe, ce n’est pas forcément défiler seins nus dans la rue. Cela peut être aussi refuser la charge mentale de son foyer, porter cette jolie jupe parce que vous avez dans votre dressing sans vous restreindre à cause de gros lourds dans la rue, c’est être fière de sa sexualité quelle qu'elle soit. Vous n’avez pas besoin de mener de grands combats pour l’être. Ne vous laissez pas influencer par la féministe extrémiste que les hommes veulent vous montrer. C’est rentrer dans leur jeu et au final desservir votre propre cause. Surtout, ne blâmez pas les femmes qui veulent changer les choses et faire bouger un peu plus rapidement la situation. Car sans elles, on n'aurait pas le droit de vote ni aucun pouvoir, ou on ne pourrait pas avorter dans des conditions (étant française, je me base sur la France, en fonction des pays, c’est différent).

Tu es trop synthétique. Les profs de philo aiment qu’on enrobe les concepts. Tu n’auras jamais la moyenne.J’opine pour la forme. Ce n’est pas la première fois qu'il me donne des conseils qui se révèlent à l'opposé de ce que les profs veulent. Il est resté sur des clichés de son temps.