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Citation de Charybde2


Quand les trois premiers combattants furent transportés par bac jusqu’à l’arène, la foule fut frappée de mutisme. Les Écaillots prirent pied sur le ponton, vêtus de simples pagnes, et se campèrent dos à dos au centre, en triangle.
Ils étaient pleins d’assurance, tous bien découplés, la peau grise, livide sous la lueur du gaz.
L’un d’eux semblait faire face directement à Bellis. Il devait être ébloui par les lampes, mais elle entretint tout de même le fantasme qu’il s’agissait d’un spectacle à elle réservé.
Ils s’agenouillèrent puis procédèrent à des ablutions, en prenant dans des jattes une décoction bouillante couleur de thé vert, dans laquelle on distinguait des feuilles et des bourgeons.
Après quoi Bellis sursauta. De leur récipient, chacun des hommes avait tiré un couteau. Qu’il brandissait là, immobile et dégoulinant. Les lames étaient courbes, les tranchants incurvés comme des crochets ou des serres. Des couteaux à dépecer. Des objets destinés à inciser, à détacher la viande.
Bellis tournait la tête pour demander à Silas : « Ce sont leurs instruments de combat ? » quand le hurlement soudain de la foule attira de nouveau son attention vers la scène. Son propre cri surgit un instant plus tard.
Les Écaillots s’étaient mis à creuser des entailles dans leur propre chair.
Celui qui se trouvait juste en face de Bellis était occupé à souligner le tracé de ses muscles en de sales incisions. Ayant glissé sous la peau de son épaule le bout de sa lame, il lui fit décrire un demi-cercle, dessinant avec une précision chirurgicale une ligne rouge qui reliait deltoïde et biceps.
Le sang parut hésiter un instant, puis il fleurit – en une éructation, surgissant de cette fente comme de l’eau qui bouillonne, se déversant hors de l’homme en de gros jaillissements, comme si la pression qui régnait dans ses veines était incommensurablement plus forte que chez l’humain lambda. Le liquide se précipita le long de la peau en une marée macabre, et l’homme tourna le bras de droite et de gauche en un geste expert, canalisant son propre fluide vital selon quelque schéma impénétrable. Bellis observa, attendant qu’une cascade sanguinolente vienne souiller la plate-forme, mais au contraire ! Époustouflée, elle constata que le sang prenait.
Il surgissait par vagues des blessures de l’homme, sa substance s’accumulant sur elle-même pour monter plus haut, les bords de la plaie s’encroûtant de berges de sang coagulé : de grosses accrétions dont le rouge virait vite au marron, au bleu, au noir, puis se figeait en des dentelures cristallines saillant à plusieurs centimètres au-dessus de la peau.
Celui qui dégoulinait le long du bras était lui aussi en train de cailler. Il gonflait à un rythme inconcevable et changeait de couleur comme une moisissure foisonnante. Les fragments de la matière qui formait cette croûte se figeaient sur place tels du sel ou de la glace.
L’homme plongea une nouvelle fois son couteau dans le liquide vert et, à l’image de ses semblables derrière lui, reprit ses incisions. La souffrance le fit grimacer. Là où il venait de trancher, le sang explosait, se précipitant le long des ruisselets formés dans son anatomie pour composer une carapace abstraite.
– Ce liquide que tu vois là est un soluté qui ralentit la coagulation, murmura Silas à Bellis. Il leur permet de créer la forme de l’armure. Chaque combattant perfectionne son propre modèle de coupure, ça fait partie de leur art. Ceux qui bougent vite se fendent et dirigent le sang de façon à laisser leurs articulations libres, ils se débarrassent des écoulements en trop. Les hommes lents, puissants, s’enrobent de croûtes au point de devenir aussi gauches et aussi lourdement caparaçonnés que des artefacts.
Bellis se fit un point d’honneur de ne pas commenter..
Ces préparatifs macabres et méthodiques demandaient du temps. Chacun des hommes se trancha tour à tour dans le visage, le ventre, les cuisses, produisant un à un des téguments de sang séché : cuirasse, jambière, brassard ou heaume durci, aux bords et à la coloration irréguliers – des extrusions dictées par le hasard, évoquant des flots de lave, qui relevaient tout autant de l’organique que du minéral.
Ce processus laborieux souleva l’estomac de Bellis. La vue de ces armures cultivées si soigneusement dans la douleur l’ébahit.
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