Si vous ne vous occupez pas de la poésie
La poésie s'occupera de vous
Petits moutons broutant les pelouses mentales
Filles du samedi soir repeintes au néon
Solitudes laquées
L'aube est une blessure fraiche sous vos doigts
Et vous marchez dans les paysages cloutés
Le malheur vous pousse par les épaules
Marchez marchez la terre autour de vous
Sue à sang à l'heure ses souvenirs
Les villes lentement
Entrouvrent leurs hautes ailes de sable
Et je m'enfonce à travers vous dans l'océan
Les yeux caillés au lait des primevères
Je m'enfance avec vous dans les jardins d'enfants
Parmi les papiers gras et les épluchures de soleils
Marchez
Les terrains vagues de l'espace sont ouverts
Marchez
Jusqu'à en déchirer le temps
Jusqu'à l'hémorragie sauvage du poème
Dans le grand laminoir des mots chauffés à blanc
Patience
Ce siècle accouche tout de même ce siècle accouche
D'une virilité éruptive du chant
Dans les convulsions du malheur
Espérance, chair magnétique
Gonflant la matrice du monde
Quand elle aura muri dans sa nuit explosive
La poésie s'occupera de vous.
‒ 1 ‒
Entre les arbres et le vent, à travers toutes les clas-
sifications, toutes les formules — revenant toujours,
appelant ce qu'on a tué, où la profonde lacune dans
l'air, en nous — comme disparus,
jusqu'à devenir invisibles, jusqu'à vouloir tout
perdre.
p.20
‒ 1 ‒
La limaille jetée dans le lac, le passage à un mil-
lième de seconde. Ce qu'on voudrait dire, sans terme
ni descendance, gelant au-dessus des arbres.
Tout bruit comme un retour voilé, le cercle violet
de la substance.
Le vide scelle l'unité.
p.9
SOIR DE LUNE
Un soir de lune dans les paumes
Forêts le feu aux flancs sève sourde
Forêts aux feuilles caressées
Les cheveux en désordre
Enfants emmenez-moi jusqu’au matin des sources
À la commissure de l’ombre
C’est vrai là-bas
Quelqu’un ruisselle
Comme une écriture dérisoire
Un entêtement de la vie
À poursuivre les rites
C’est vrai là-bas
Quelqu’un chante
Dans une hémorragie d’étoiles
Que vous dire
Sinon qu'il est toujours minuit
Que vous dire
Sinon que nous peuplons la terre
De miracles furtifs et de feux allumés
Où dansent les grands chiens bergers de notre exode
Il y a tant de lunes
Que nous avons éteintes
Que vous dire
Sinon que l'homme est un vertige
Un doigt qui fait le tour du cadran de la nuit
Et pousse les aiguilles
Pour hâter l'aube
Que vous dire
Sinon qu'un mot peut être Dieu
Et que chaque poème est un matin qu'on croise
Un inconnu la nuit
Qui vous donne du feu.
Quelque chose, plus tard, dans l’embrassure. Un plateau où on résonne, imprégné ; un socle par résorption. Comme semblable, sans connaître et su. Un choc troué d’ascendance. Par millimètres, sans savoir. Ovale dans du verre, les cimes à saturation. Par un son, une seule fois, quand on regarde. Vissant dans toute la colonne, dans l’urètre. La trajectoire. La bulle dans l’éclat de verre. Crêtes où du fer se pose pour guérir. Le sol par endroits tombé d’au-delà du temps. Où les membres, puis toute la pièce traversée, le bruit du chlorure dans le temps. Écoutant s’approcher les cils des morts, précédant les pierres, les ruisseaux, neigeant dans des grottes sans entendre. Étant le fil sans contenu Dans la mousse, dans la division de l’être. Comme la rainure du plastique. Le seul bruit où rien n’entende.
Comme
un laps
d'où ici
est,
qu'il incorpore.
Où des pores
du poignet,
du presque
identique
touchant.
Et
dans eux.
Dans le pré
où
qu'est-ce qui d'entre eux
‒ qui est,
qu'ils bougent.
Et quand
dans
plusieurs fois,
dans eux
‒ mimant.
Toute muqueuse
sans
toucher.
L'inexistant
de la haie,
sa dilatation
qui
retire.
Où
sans poids.
Qui
est.
L’être de langage ne trahit pas le langage de l’être.
Langage
Quelles clés forceront le sexe du réel ? un cœur frappe
sans fin sous les roches et les marécages, noyau de nuit
palpitante, sceau de ténèbres soulevées sous les gisements
granitiques.
Langage, main coupée auscultant le silence. Ainsi l’oiseau
se cloue à la flèche des blés, les meules fondent dans la bou-
che. Un cri tourne au cou des portes battantes.
Langage, eau puisée quand l’été se suicide. Le poème est
ceci qui bat, ceci qui brûle et paraphe pour nous l’avenir :
blancheur souterraine où s’imprime la matrice de l’univers.
Celui qui va parler n'est pas tout à fait né : les affleurements qu'il sent en lui, il les craint et les hèle, il n'en sait plus les noms. Celui qui écrit mime d'abord. Il est le lapsus muet. Il est l'orphelin de la langue.