Christophe Bouton

L'avenir est imprévisible, le présent fugitif, le passé irréversible.

Dans son concept de même, l'urgence contient une forme de négation du passé. Lorsqu'elle survient elle coupe brusquement le fil qui relie l'individu à son passé le plus immédiat, à ce qu'on était en train de faire. L'urgence exige une « disponibilité » maximale des individus, une « réactivité », une « adaptabilité », une « mobilité » pour suivre le mouvement. Ces notions, tant en vogue dans le management actuel, s'opposent aux valeurs de stabilité, d'attachement, d'enracinement, de sécurité. L'urgence s'inscrit dans cette tendance plus générale qui promet la flexibilité dans les entreprises et les administrations. Dans le temps de la vie, un changement de poste, une reconversion volontaire, sont des occasions de bifurquer vers de nouveux projets, de reconfigurer son avenir. Mais encore faut-il que ces changements soient choisis ou du moins librement acceptés. La flexibilité, quand elle est forcée, revient à nier l'histoire personnelle et professionnelle des individus.

Le temps est comme une énigme, un grand puzzle. On peut parfois en assemblée quelques pièces, mais on en oublie et, quand on s'en rend compte, il est impossible de leur trouver un place. Il ne reste plus qu'à tout recommencer.

L'urgence est l'un des facteurs qui favorisent la concentration exclusive des individus sur le présent et le futur à court terme. Elle entraîne dès lors une rupture progressive entre le temps de la vie et le temps de l'histoire qui peut revêtir deux formes : le temps de l'histoire est réduit au temps de la vie ; le temps de la vie est désolidarisé du temps de l'histoire. Après moi le déluge. L'histoire des générations pasées et futures devient pour l'individu le cadet de ses soucis. Il flotte au gré des événements dans un espace anhistorique.

Le temps est un milieu invisible dans lequel se déroulent tous les changements.