Nietzsche m'a tout piqué, un clip et une chanson du Manque, avec Christophe Esnault
Sauvons les emplois
Sauvons les emplois à tout prix
(Qu’ils puissent nourrir leurs petits)
Sauvons les emplois
De ceux
& celles
Qui épluchent
Dénoyautent
Éviscèrent
Équarrissent
La planète
Pour son réveillon de Noël, le poète ouvre une boîte de sardines dès 18 heures (il a faim), poste la photo de ce repas sur Facebook, en confiant son extrême solitude et soudain, tous ceux qui n’ont jamais réagi pour ses poèmes (les cadeaux qu’il faisait pourtant chaque jour à ses 5 000 amis depuis six ans) se réveillent par centaines pour lever le pouce, commenter à n’en plus finir et l’inonder d’émoticônes.
Le poète a trouvé une liste d’adresses d’éditeurs sur un forum de poètes malgaches et il prépare déjà ses enveloppes pour son recueil qui n’est pas encore écrit.
Quand il met des bûches dans le poêle, il referme mal la porte et bientôt retentit l’alarme à incendie qui l’affirme implicitement : cet homme est en parfaite harmonie avec le cosmos et sa nature profonde de poète.
Quand certains gloussent puis se tiennent le ventre à la lecture de sa poésie, le poète dépose un cierge à l’église pour que les auteurs de ces moqueries meurent le plus rapidement possible dans d’atroces souffrances.
Dans son bain aussi le poète écrit et la crasse sur les rebords de la baignoire l’inspire tellement qu’il a compris et intégré que le Cif est ennemi du poème. Il en a bien évidemment fait un poème.
Le poète a une utilité d’envergure : celle de s’aider à se croire poète.
Pour sauver le monde, le poète veut bien écrire un autre poème.
Si le poète lisait un vrai poète, il n’aurait même pas la décence d’arrêter d’écrire.
Dans les repas de famille, le poète cache son identité de poète parce que la famille assassine sa seule naissance : celle d’être devenu poète.
À son travail, dès qu’il y a un départ en retraite, ça ne rate pas on lui demande à lui, le poète, de rédiger un petit discours et il se plie à l’exercice tellement poétiquement que l’on lui demande discrètement d’abréger parce que ça met mal à l’aise tout le monde et parce que ça gâche la fête.
Le poète a toujours de la bouloche dans son nombril et parfois il se dépoussière en plein repas sous l’œil intrigué de non-poètes.
Le poète n’aime pas se relire ou pire, retravailler ses poèmes. Il considère que ses mots jetés le sont toujours dans un ordre exact et millimétré, ceux qui émettent des réserves sur sa production sont juste de gros jaloux.
Le poète voudrait tout troquer avec des poèmes griffonnés sur du papier d’emballage, mais la boulangère n’accepte pas cette pièce unique inestimable qu’il lui propose, elle préfère quarante-cinq centimes pour la demi-baguette.
Au collège déjà le poète distribuait à ses petites camarades des pliages sous lesquels logeait un poème. Il leur ordonnait de le stocker dans leur culotte jusqu’à le déballer dans un lieu intimiste, quand elles seront seules et bientôt moites.
10
Rédiger le journal d'un sursis. Prolixité à la hauteur du retentissant ratage. Anthropophagie repliée sur elle-même. Le diariste gratte et triture son moi désenchanté. Un escabeau pour une meilleure vue d'ensemble sur les cendres alentour. L’obsession scénarise ses dernières heures et ne laisse pas l’hôpital prendre la main sur le script. Dans le laboratoire intime manier produits inflammables et révélateurs. Allers-retours jusqu’à Bruxelles pour humer le brouhaha des tavernes. Venez toutes et tous on vous trouvera des lits et vous ne manquerez de rien. Avoir des proches parmi les brigades qui flattent les artistes polis. Se pencher du bon côté pour mieux chavirer. Souffle et rythme mesurés au double décimètre. La peur de la souffrance me relie à vous. Polyhandicap sur le fauteuil roulant vers l'hier.
Chères Rillettes du Mans,
Déjà tout gamin, je mangeais vos rillettes au petit déjeuner. Je m’en faisais des tartines que je trempais dans mon bol de chocolat après l’école. Inutile d’en dire beaucoup plus, je vous suis resté onctueusement fidèle, et j’ai séduit ma femme avec un pied de porc fumant à la confrérie des Chevaliers des rillettes sarthoises, en 2004. Nos gosses se tiennent à carreau, sinon on met le frigo sous cadenas.
Je suis un écrivain à succès qui diffère sa gloire pour des raisons névrotiques, mais je sens que le prochain livre va cartonner. Mon éditeur est basé au Mans. Il a la couenne un peu molle et ne vous a pas encore proposé un partenariat. Je prends donc les devants. J’ai une idée de com’ qui égorge tout, un packaging qui affolera le groin du consommateur, un cadeau de Noël garanti sous tous les sapins. Mon livre, « Le jour où ma femme est devenue une truie nymphomane », est un pastiche d’un roman à la mode, en vachement mieux écrit, plus court (12 pages) et beaucoup moins chiatique. On offre le joli livret avec quatre pots collectors numérotés, amour des traditions et porcherie de la littérature. Ce sera tout bénef parce que le texte incite à la copulation effrénée : 9 mois plus tard vous pouvez lancer le lait-rillette protéiné.
Alors ?
habite ma douleur
déchire-la
brûle ses lambeaux
disperse ses cendres
et accroche-toi encore à mes cheveux
ensemble
mordons les heures arrachées aux vivants
Regarder derrière soi
cinq ans sans même embrasser une fille soûle
repoussant chapon déplumé en demande d’infini
un pur
claudiquant mélasse
névrose aux semelles
déchet humain égaré
(amoureux des livres)
Je n’aurais pas voulu de moi si j’avais été une fille ivre
Peau neuve mémoire vide
Ses classements dans les derniers marathons auxquels il participait étaient d'ailleurs honorables. Mais il ne courait , il fuyait.
33
Parfaire sa connaissance et croquer un fruit fendu. L'au-delà appelle au leurre l'ardillon pique à même la lèvre du langage. Figures de skate-board sur nuages de plomb. Euphorie de l'amputation. Se mettre en congé de l'abêtissement général. Quand l'abondance se fissure le meilleur ami trahit pour quelques pommes de terre germées. Rassembler ses humeurs et les aligner le long d'un barrage hydraulique. Affouiller l'âme et le sable avant de remonter vers la berge. Truite fario sous la souche saillante. L'ermite observe voleurs de châtaignes et de champignons. Corne de brume dissuade. Absolue et douteuse la liberté parle peut-être un corps-langue-délié.