Nous continuons tous ensemble notre progression, les allées passent. Nous apercevons Ludovic juché sur la seconde planche d’une clôture délimitant « l’Espace des Rhinocéros ». Il semble absorbé corps et âme par ce qu’il observe. Je m’approche avec une certaine curiosité aiguisée par le fait qu’il ne soit pas venu nous informer. Lorsque je me retrouve à sa hauteur, Ludovic, sans un mouvement de tête vers moi et le doigt pointé vers le bourbier, me chuchote, sûrement pour ne pas les effrayer :
– Des canards !
Son regard affûté, légèrement sélectif, avait focalisé sur quelques palmipèdes colocataires des rhinocéros…
D’habitude, ta main agrippe la mienne, parfois tes doigts entrelacent les miens. C’est comme une alliance contre l’extérieur, contre l’incertitude des minutes qui vont suivre. Nous parcourons ainsi le chemin qui mène à la classe.
Aujourd’hui, tu prends ma main et pourtant la tienne n’est pas la même que celle de la veille. C’est tout à coup une main qui ne transpire plus, son emprise est moins forte, ses doigts sont inertes. C’est une main nouvelle que je touche. Elle ne se joint pas à la mienne comme si cela allait de soi. Quelque chose a changé.
Le temps passe. Le jeune garçon imagine son père arrivé en haut du deuxième tronçon, remettre les dragonnes de ses bâtons et pousser fort dessus pour descendre le plus vite possible vers lui. La nuit progresse au fil des minutes. Doucement, elle s’accroche aux dernières lueurs du jour. Déjà, le relief sculpté et précis des montagnes avoisinantes tend vers des volumes informes, des masses sombres. Paul remonte la fermeture éclair de son anorak. Il éprouve la désagréable sensation d’être entouré de géants. Depuis un moment, toutes les nacelles sont vides de leurs occupants à l’arrivée du premier tronçon. Il est seul. Un frisson grimpe, vertèbre après vertèbre, la colonne du jeune garçon. Il se met à taper la neige avec la rondelle de son bâton de ski. De plus en plus fort.