Christophe Tostain

Léna.- Ecoute Anton.
Ces gens,
Ils font de belles promesses.
Ils font de beaux projets.
Leurs projets vont sauver le monde.
C'est ce qu'ils disent partout.
C'est ce qu'ils affichent partout.
Et ils veulent se faire élire à tours de bras.
Avec leurs beaux projets.
Avec leurs belles promesses.
Avec ces gens le monde sera meilleur.
Avec ces gens la vie sera meilleure.
Avec ces gens la croissance le chômage la crise la misère et que sais-je encore.
Tout sera résolu.
Car ils crient haut et fort qu'ils ont les solutions en main.
Mais tout ce que les gens touchent se putréfie.
Se gangrène d'une maladie incurable.
Leurs idées ne sont qu'un cancer qui se généralise et qui n'a pas d'autre issue que la haine
La violence.
La mort.
Ils sont la fange de l'humanité.

LE CHŒUR. – Anton regarde la télévision.
Il regarde beaucoup la télévision.
Il peut se perdre de longues heures dans les entrelacs de l’information qui tourne en boucle.
Il peut aussi se perdre dans le nouveau paysage qui se trouve devant chez lui.
Les nouveaux pavillons vides.

LENA. – Ce ne sont que des mots.
ALICE. – Chaque mot prononcé contient une faille pessimiste.

LE CHŒUR. – Vieille Europe.
Les siècles ont crevé tes yeux.
Les pompiers du Monde sont les Zeus d'aujourd'hui.
Ils te violent sans relâche.
Quotidiennement,
ils appauvrissent ta mémoire.
Quotidiennement,
ils te pénètrent.
Ils pénètrent ton vieux sexe boursoufflé,
les yeux rivés sur les machines en mouvement,
qui pompent,
fluidifient,
drainent,
stimulent,
dégorgent,
aspirent.
Tu es leur vieille putain et dans ton ventre gonflé,
tordu de contractions,
perclus de douleurs,
un nouveau monstre nourrit sa forme fœtale dans le marécage du passé,
s'abreuve de liquide amnésique.

BORIS. – On est comme des peaux meurtries.
On nous freine.
ALICE. – Recommence pas.
BORIS. – On nous saigne.
ALICE. – Boris.
BORIS. – Je ne veux pas être l’ombre de ces Monsieur Madame.
Ils ne savent que tourner autour de leur nombril.
ALICE. – Je ne veux pas t’entendre.
BORIS. – Ils nous gavent de désespoir déguisé en belles paroles.
Ils nous plastifient la cervelle avec des désirs factices.
On grandit on marche on court avec et au bout du tunnel la lumière est éteinte.
Mais on a du jugement.
Mais on est vivant.
ALICE. – Lâche l’affaire Boris.
BORIS. – J’ai des clous dans le ventre.
ALICE. – Va les vomir.
BORIS. – Ça va me déchirer la langue.

BORIS. – Faudrait refaire la déco ici.
Faudrait faire un mur-fresque où toute la famille pourrait s’exprimer.
Sur le mur on peindrait des mots des phrases des syllogismes des aphorismes.
Moi par exemple je peindrais « di dieu ni maître ni chien ni rien et puis basta ».
Et puis tu invites des gens,
ils lisent les phrases et tout de suite on peut discuter.

BORIS. – (Je ne sais plus comment dire les choses.
Je n'ai plus que de la poussière dans la bouche.
De la poussière de mots morts.)

LE CHŒUR. – Anton est le père de Boris.
Anton est un Européen de la "middle class".
Il travaille.
Il pourrait être cadre.
Comme tout Européen,
Anton est constamment piégé par le doute,
Par le désespoir marchand,
Par le mensonge,
Par l’ignorance dans laquelle on le maintient.
ANTON. – (Et le mépris de ceux qui nous maintiennent dans l’ignorance.)

BORIS. – Tu sais avec Alice on a des projets de happenings.
Des happenings anticonformistes.
Parce que tout le monde est moutonnisant,
alors nous on veut pitbulliser l’affaire,
on veut buriner le mal à la racine,
on va déposer du caca devant les immeubles des banques,
des tonnes de caca,
du caca anticonformiste.

LE CHŒUR. – Souvent la nuit,
sous les herbes folles et les pierres tombales agitées par le temps,
les mots entendent les doléances d’une jeunesse égarée.