Rire et pleurer, qui procède du même effort, sont des activités qui dévorent de l'énergie et creusent l'appétit.
C'était une étudiante appliquée, sûre de ce qu'elle ne voulait pas être, un mouton emporté dans un troupeau bêlant. S'il fallait être un animal, elle devait être le loup, pas pour sa férocité, mais pour sa totale liberté.
Après des mois de théorie, il s'avançait vers un cas concret, un peu comme l'astrophysicien qui, gavé de chiffres et d'équations, pose enfin sa rétine émerveillée dans l'optique d'un télescope.
Elle était hors de sentiments comme protégée, par une invisible, mais infranchissable armure, des sensations bassement humaines, peur, réjouissance, remords, humour ou tristesse.
Des mains claquaient sur une peau nue, avec toujours plus de violence, pour se faire entendre au-delà de la pièce, plus loin que la rue, le lac ou la cité, aussi loin que sa haine était susceptible d'être perçue ! Et la ville dehors, saoule de reproches, semblait s'être tue.
Le vieux libidineux s'en remettra sans doute, la mauvaise herbe ne meurt pas. Elle se fraie un chemin à travers le béton et les immondices, et pousse, comme disait Baudelaire, ses boutons empestés.
Il avança une main qu'elle ne prit pas. Outrée, elle pensait que ce n'est pas parce que l'on écrase des gens qu'on doit forcément se montrer familier.
L'espace à cet instant éclate autour de moi. De vastes failles se forment dans d'aveuglants éclairs,des volcans explosent en silence et des nuages sans fond m'enveloppent.C'est ici l'autre côté, celui d'où l'on ne revient pas .Mais je n'aperçois ni grand barbu ,ni petit cornu ,ni angelots ailés ,ni diablotins décidés réjouis de m'accueillir.Il n'y a que ton visage ,Marie,qui se dévoile enfin ,là, apparu de nulle part et qui embrasse tout.Ta voix me pénètre :
--Allez! Viens mon Clolclo,viens ,on va poursuivre ce que cruellement la vie a interrompu.
--Coeur.....( Page 215).
Quelques jours plus tard,Cécile débarqua dans mon bureau pour m'apprendre que les choses étaient rentrées dans l'ordre au service. Le mandarin se contentait depuis mon intervention d'être distant et odieux.
--Vous cherchez toujours à vous échapper d'ici?
--Plus que jamais ,confirmai-je.
Elle étala alors des photos devant moi.
--Nous avons acheté cette petite ferme il y a une vingtaine d'années ,pour la chasse,les champignons, la tranquillité, mais mon mari préfère maintenant la pêche et la bronzette au bord du lac Lèman.Il vient de trouver vers Thonon un cabanon quasiment dans l'eau.
Pendant qu'elle parlait ,j observais de plus près les images d'une maisonnette qui semblait perdue au milieu d'un bois.
-Elle est toute retapée. Il y a même une baignoire.
Il n y eut pas de tractations. Dès le lendemain au bar d'en face de la poste,une signature au bas d'un document manuscrit rendit l'affaire conclue.Je passai donc le mois de février et une partie de mars à remplir des cartons ,me débarrassant à la déchèterie de ce qui était devenu surperflu et commençant à emménager dans mon nouvel antre.(Pages 108/109).
EN ROUTE
J'ignorais que l'on pouvait planer ainsi sans effort,sans instrument à chevaucher ,auquel se rattacher.Que l'on pouvait voir par- dessus les toits,au travers des murs,en haut et en bas,à droite et à gauche sans même esquisser un mouvement.Que l'on pouvait surtout s'émouvoir dans cet état-là.
J'avais en effet la naïveté de celui qui meurt pour la première fois.(Page 9).