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Citation de dourvach


[Franz] va s'attarder, de décembre 1918 à mars 1919 à Schelesen, près de Liboch, dans la pension Stüdl.
LA JEUNE FILLE ET LE MENTEUR SINCERE.
Julie Wohryzek séjourne dans la même pension. Kafka l'évoque en ces termes à Max Brod le 6 février 1919 : "Une jeune fille malade, mais pas trop j'espère." Apparemment, il n'a pas complètement abandonné l'idée de se marier un jour et veut croire qu' "il n'est pas absolument criminel pour un tuberculeux d'avoir des enfants". Alors, pourquoi pas Julie Wohryzek ? " Pas juive, pas non-juive, pas allemande, pas non-allemande." Ils se reverront à Prague au cours de l'été, où Julie a ouvert un salon de modiste. Kafka a le sentiment de n'avoir jamais autant ri qu'avec elle ; elle l'étonne par sa vitalité. Il éprouve pour elle plus de pitié que d'amour, et une certaine irritation pour sa naïveté. Cependant, c'est lui qui, le premier, parle de mariage et parvient à convaincre Julie qui d'abord était réticente. La cérémonie est prévue pour novembre. Cette fois encore, il s'agit d'un projet mûrement réfléchi.
BALAYEE D'UN REVERS DE MAIN.
"Je suppose qu'elle a mis quelque corsage choisi avec recherche, comme les Juives de Prague s'entendent à le faire, et là-dessus, naturellement, tu as décidé de l'épouser. Et cela le plus vite possible, dans une semaine, demain, aujourd'hui même. Je ne te comprends pas, tu es pourtant un homme adulte, tu vis dans une ville, et tu ne trouves pas d'autre solution que d'épouser sur-le-champ la première femme venue. N'y a-t-il vraiment pas d'autres possibilités ? " Ainsi réagit Hermann Kafka quand il apprend la nouvelle. et le père proposer à son fils d'aller l'aider à rompre.
Kafka abasourdi voit se réaliser le scénario qu'il craignait le plus, et depuis longtemps =: il prête à son père les mêmes mots, à peine moins vulgaires, qu'il avait fait dire dans "Le Verdict", sept ans plus tôt, au vieux Bendemann, à propos de la fiancée du fils : " C'est parce qu'elle a retroussé ses jupes, parce qu'elle a retroussé ses jupes comme ça, cette oie répugnante [...] que tu l'es mis avec elle... "
LA "LETTRE AU PERE".
Jamais dans son souvenir son père ne l'avait humilié aussi profondément. Il ne s'est pas borné à protester contre une mésalliance (Julie était la fille d'un cordonnier, simple serviteur la synagogue). La blessure pour Kafka est d'un autre ordre : morale. La longue lettre qu'il écrit aussitôt - rappel circonstancié par Kafka, de l'incompréhension qui a, dès l'enfance, caractérisé ses rapports avec son père - a été conçue pour aboutir à la question de ses fiançailles avortées. [...]
FAITE POUR ETRE ECRITE ET NON POUR ETRE LUE.
Mais la lettre qui invitait ainsi son père à lire ses livres ne lui a pas été remise... Et d'ailleurs, Hermann Kafka l'aurait-il lue ? L'aurait-il seulement posée sur son chevet, comme il l'avait fait lorsqu'il avait reçu "Un médecin de campagne", qui lui était pourtant explicitement dédié ? L'aurait-il comprise, et ses rapports avec son fils auraient-ils pour autant changé ?
Au moment où il en commençait la rédaction, Kafka croyait naïvement pouvoir, par cette lettre, rendre à son père et à lui-même "la vie et la mort plus faciles". Au fil de sa rédaction, il a pris conscience de ce qu'aucun mot ne pourrait abolir les malentendus d'une vie entière car "la vie est plus qu'un vie entière" et "les choses réelles ne peuvent s'assembler comme les preuves dans ma lettre ". Pour autant, la rédaction de la "Lettre" a permis à Kafka de survivre, à la différence de Georg Bendemann. Il aurait pu en dire ce qu'il dira bientôt de son dernier roman : qu'elle "n'existait que pour être écrite, pas pour être lue".
Quant à Julie... La séparation d'avec elle aura lieu, mais progressivement : en novembre, Kafka renonce à l'épouser mais continue à la rencontrer. Des lettres sont échangées dont on ignore tout. La rupture définitive n'interviendra qu'en juillet 1920, la moins brutale possible, avec l'aide de la femme [Milena Jesenska] qui, à cette époque, illumine son existence.

[Claude THIEBAUT, "Les métamorphoses de Franz Kafka", 1996 , éd. Gallimard (Paris), coll. "Découvertes", 1996 - chapitre IV. "SURVIVRE", pages 92-93, 98-100]
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