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EAN : 9782070537785
144 pages
Gallimard (18/11/1996)
4.38/5   8 notes
Résumé :
La Métamorphose, Le Procès, La Colonie pénitentiaire, Le Château..., les écrits de Kafka évoquent un monde où la liberté se payait cher. Qu'en était-il en fait ? De cette Prague des années 1910-1920, tchèque, allemande et juive, qui peu à peu s'affranchissait de quatre siècles de domination autrichienne. De ce père, fils de boucher et tyran domestique, qui vendait des frivolités dans la Vieille-Ville et n'avait qu'un seul fils. Qui, de la réalité ou du génie littér... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Etrange que ce fascinant petit livre judicieusement illustré paru en 1996 n'ait jusqu'à présent suscité aucune critique... Cette merveilleuse biographie de l'humble docteur en Droit, cadre à la Compagnie d'Assurance des Accidents du Travail de Prague (écrivain amateur, à ses nuits perdues), mérite d'être traitée de pair avec le "Kafka" de Klaus WAGENBACH...

Claude THIEBAUT est professeur chargé de cours à l'Université de Picardie-Jules Verne et avait consacré en 1991 un essai passionnant à "La Métamorphose et autres récits".

Les quatre Actes de cette tragédie d'un être qui ne cherchait qu'à être heureux (I. KAFKA AVANT KAFKA / II. NAISSANCE D'UNE ECRIVAIN / III. "LE MALHEUR DU CELIBATAIRE" / IV. SURvivre) composent un ouvrage splendide, foisonnant et passionnant.

Ces quatre parties biographiques sont suivies des "Témoignages et documents" autour des thèmes prééminents de la Figure paternelle (Ah, ce terrible et si banal "tyran domestique" que put être M. Hermann Kafka !), des premiers "Fragments", de la vie quotidienne de Franz à Prague, de "L'aventure" Milena Jesenska, des éclairages successifs de Max Brod, Robert Musil, Alexandre Vialatte, Albert Camus, Daniel Biegel, Georges Lukacs, Eugène Ionesco, Alexandre Vialatte, Dino Buzzati, Marcela Salivarova-Bideau, Malcolm Pasley, Vaclav Jamek, Umberto Eco...

On est enchanté de rencontrer "Valli" la soeur généreuse en sa petite maison campagnarde de Zürau, mais aussi Hedwig Weiler, Hansi Julie Szokol, Gerti Wasner, Grete Bloch, Felice Bauer, "la jeune fille de Lemberg", Minze Eisner, Julie Wohryzek, Milena Jesenska, Dora Dymant... Franz fut bien plus un affectif insaisissable plus qu'un "serial seducer"... Si l'on perçoit une sorte de soulagement aux premières fiançailles rompues (avec Felice Bauer), on le sent lourdement culpabilisé après l'échec des secondes (avec Julie Wohryzek) ; Milena "la femme amoureuse" (retrouvée sous les traits de Frieda dans "Das Schloss" quand Julie pourrait être la timide Olga) l'aidera psychologiquement à se libérer du poids de cette "faute" (celle de pouvoir être autant "traitre et sincère à la fois")... puis sera délaissée à son tour.

L'épisode des fiançailles puis du mariage avorté avec Julie Worhyzek, jeune fille "naïve", enjouée mais pauvre, fille d'un cordonnier-gardien de synagogue-sacrificateur rituel (secrétaire au chômage lorsqu'il la rencontre, modiste lorsqu'il la quitte), assidument fréquentée durant une année et demi et qui finira par se marier avec un autre, donnera lieu pour la postérité à la fameuse "Lettre au Père" ("faite pour être écrite, pas pour être envoyée"). le sac-de-noeud affectif y est développé avec beaucoup de psychologie - en y mêlant l'inquiétante réminiscence de sa nouvelle au dénouement si tragique, "Le Verdict" ("Dar Urteil", 1912) ...

On comprend ainsi comment l'écrivain transforma Gregor Samsa immédiatement en "misérable vermine" de sa fameuse nouvelle "La Métamorphose" ("Die Verwandlung", 1912)... après la fameuse phrase du terrible "Monsieur L'Homme" (Hermann) : "Qui couche avec les chiens attrape des puces.". le bon commerçant devenu prospère était terrorisé des fréquentations de son fils, tel le talentueux Isaak Löwy, acteur (toujours fauché) et chef de la troupe pragoise de Théâtre yiddish, se produisant dans des cafés miteux... La pauvre Julie dût également apparaître aux yeux de ce Cerbère comme l'équivalent d'une prostituée voulant lui ravir son fils...

Kafka aimait ses parents et leur écrivit des lettres affectueuses jusqu'à sa fin au sanatorium de Kierling (le 3 juin 1924)...

Hermann ne prit vraisemblablement jamais la peine de lire l'exemplaire de "Ein Landarzt" ("Le Médecin de campagne"), beau recueil de nouvelles édité chez Kurt Wolff, dont la nouvelle-titre fut inspiré par le métier si difficile de son oncle Siegfried et que que Franz dédia à son père en 1920...

Abordée également, la vie politique intense de la capitale tchèque est abordée et la sensibilité de Franz pour la culture yiddish (si Julie fut l'instigatrice, Dora fut sa professeure ultime) et ce qu'on considérait alors comme les "rêves sionistes"...

La longue amitié de Max Brod y est également rappelée : Max fut à la fois l'artisan du plus fameux des "testaments trahis" et le génial et premier éditeur des trois romans inachevés de Kafka ("Der Prozess" aux éditions Die Schmiede à Berlin en 1925, "Das Schloss" aux éditions Kurt Wolff Verlag à München en 1926, puis "Amerika" aux éditions Kurt Wolff Verlag en 1927), il sauva également les manuscrits de son ami en 1939, fuyant l'Europe et les emportant avec lui dans une valise pour la Palestine !

Il vous faut lire ce petit livre dense et si peu onéreux (16,10 €) au regard de sa richesse.
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
[Franz] va s'attarder, de décembre 1918 à mars 1919 à Schelesen, près de Liboch, dans la pension Stüdl.
LA JEUNE FILLE ET LE MENTEUR SINCERE.
Julie Wohryzek séjourne dans la même pension. Kafka l'évoque en ces termes à Max Brod le 6 février 1919 : "Une jeune fille malade, mais pas trop j'espère." Apparemment, il n'a pas complètement abandonné l'idée de se marier un jour et veut croire qu' "il n'est pas absolument criminel pour un tuberculeux d'avoir des enfants". Alors, pourquoi pas Julie Wohryzek ? " Pas juive, pas non-juive, pas allemande, pas non-allemande." Ils se reverront à Prague au cours de l'été, où Julie a ouvert un salon de modiste. Kafka a le sentiment de n'avoir jamais autant ri qu'avec elle ; elle l'étonne par sa vitalité. Il éprouve pour elle plus de pitié que d'amour, et une certaine irritation pour sa naïveté. Cependant, c'est lui qui, le premier, parle de mariage et parvient à convaincre Julie qui d'abord était réticente. La cérémonie est prévue pour novembre. Cette fois encore, il s'agit d'un projet mûrement réfléchi.
BALAYEE D'UN REVERS DE MAIN.
"Je suppose qu'elle a mis quelque corsage choisi avec recherche, comme les Juives de Prague s'entendent à le faire, et là-dessus, naturellement, tu as décidé de l'épouser. Et cela le plus vite possible, dans une semaine, demain, aujourd'hui même. Je ne te comprends pas, tu es pourtant un homme adulte, tu vis dans une ville, et tu ne trouves pas d'autre solution que d'épouser sur-le-champ la première femme venue. N'y a-t-il vraiment pas d'autres possibilités ? " Ainsi réagit Hermann Kafka quand il apprend la nouvelle. et le père proposer à son fils d'aller l'aider à rompre.
Kafka abasourdi voit se réaliser le scénario qu'il craignait le plus, et depuis longtemps =: il prête à son père les mêmes mots, à peine moins vulgaires, qu'il avait fait dire dans "Le Verdict", sept ans plus tôt, au vieux Bendemann, à propos de la fiancée du fils : " C'est parce qu'elle a retroussé ses jupes, parce qu'elle a retroussé ses jupes comme ça, cette oie répugnante [...] que tu l'es mis avec elle... "
LA "LETTRE AU PERE".
Jamais dans son souvenir son père ne l'avait humilié aussi profondément. Il ne s'est pas borné à protester contre une mésalliance (Julie était la fille d'un cordonnier, simple serviteur la synagogue). La blessure pour Kafka est d'un autre ordre : morale. La longue lettre qu'il écrit aussitôt - rappel circonstancié par Kafka, de l'incompréhension qui a, dès l'enfance, caractérisé ses rapports avec son père - a été conçue pour aboutir à la question de ses fiançailles avortées. [...]
FAITE POUR ETRE ECRITE ET NON POUR ETRE LUE.
Mais la lettre qui invitait ainsi son père à lire ses livres ne lui a pas été remise... Et d'ailleurs, Hermann Kafka l'aurait-il lue ? L'aurait-il seulement posée sur son chevet, comme il l'avait fait lorsqu'il avait reçu "Un médecin de campagne", qui lui était pourtant explicitement dédié ? L'aurait-il comprise, et ses rapports avec son fils auraient-ils pour autant changé ?
Au moment où il en commençait la rédaction, Kafka croyait naïvement pouvoir, par cette lettre, rendre à son père et à lui-même "la vie et la mort plus faciles". Au fil de sa rédaction, il a pris conscience de ce qu'aucun mot ne pourrait abolir les malentendus d'une vie entière car "la vie est plus qu'un vie entière" et "les choses réelles ne peuvent s'assembler comme les preuves dans ma lettre ". Pour autant, la rédaction de la "Lettre" a permis à Kafka de survivre, à la différence de Georg Bendemann. Il aurait pu en dire ce qu'il dira bientôt de son dernier roman : qu'elle "n'existait que pour être écrite, pas pour être lue".
Quant à Julie... La séparation d'avec elle aura lieu, mais progressivement : en novembre, Kafka renonce à l'épouser mais continue à la rencontrer. Des lettres sont échangées dont on ignore tout. La rupture définitive n'interviendra qu'en juillet 1920, la moins brutale possible, avec l'aide de la femme [Milena Jesenska] qui, à cette époque, illumine son existence.

[Claude THIEBAUT, "Les métamorphoses de Franz Kafka", 1996 , éd. Gallimard (Paris), coll. "Découvertes", 1996 - chapitre IV. "SURVIVRE", pages 92-93, 98-100]
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"GERTI WASNER".
"Au sanatorium, je suis tombé amoureux d'une jeune fille, une enfant, dix-huit ans à peu près, une Suissesse, mais fixée près de Gênes en Italie, sans maturité remarquable, pleine de valeur malgré son caractère maladif, et vraiment profonde. Pour s'emparer de moi dans l'état de vide et de désolation où j'étais alors, il aurait suffi d'une jeune fille beaucoup plus insignifiante."
[Lettre à Felice, 29 décembre 1913]
A Riva, Kafka connaît un des rares épisodes amoureux qu'il ait pris au sérieux. "Pour la première fois, j'ai compris une jeune fille chrétienne et j'ai vécu presque entièrement dans sa sphère d'activité." Il a trente ans et la mystérieuse "G.W." est encore "à moitié une enfant".
Par opposition avec l'aventure sensuelle qu'il a eue avec une autre pensionnaire du même sanatorium, et avec celle qu'il aurait pu avoir avec une troisième, en opposition aussi avec les tensions contradictoires des douze derniers mois, Kafka joue à l'amour sur le mode mineur : " Cogner au plafond de ma chambre - elle habitait au-dessus de moi - en observant une espèce de code que nous n'arrivâmes jamais à mettre définitivement au point : j'attendais sa réponse, je me penchais par la fenêtre, je la saluais, tantôt je recevais sa bénédiction, tantôt je me saisissais d'un ruban qu'elle laissait pendre jusqu'à moi, j'écoutais chacun de ses pas dans sa chambre, j'interprétais chaque coup fortuit comme un signe de connivence, je l'entendais tousser et chanter avant de s'endormir. " Apparemment aucun châtiment du bonheur d'être, si peu que ce soit, ensemble.
Kafka tiendra sa promesse de ne jamais mentionner le nom de la jeune fille, dont on n'a longtemps connu que les initiales.

[Claude THIEBAUT, "Les métamorphoses de Franz Kafka", 1996 , éd. Gallimard (Paris), coll. "Découvertes", 1996 - chapitre III. "LE MALHEUR DU CELIBATAIRE", pages 69-70]
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Son travail à l'Office d'assurances, qu'il a repris tant bien que mal en août, le détourne un peu plus de la création. Seul texte qu'il achève à cette époque : Première souffrance. Cette histoire de trapéziste obsédé par la perfection au point de vivre sur son trapèze, qui s'est coupé des hommes et en souffre, qui inquiète son imprésario (Max Brod ?), est encore un autoportrait.
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Mais comment concilier le mariage et l'écriture ? Pour Kafka, la littérature n'est plus depuis longtemps un moyen d'occuper ses loisirs ou de briller en société : "Cesser d'écrire, je ne le peux pas."
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