Etrange que ce fascinant petit livre judicieusement illustré paru en 1996 n'ait jusqu'à présent suscité aucune critique... Cette merveilleuse biographie de l'humble docteur en Droit, cadre à la Compagnie d'Assurance des Accidents du Travail de Prague (écrivain amateur, à ses nuits perdues), mérite d'être traitée de pair avec le "
Kafka" de
Klaus WAGENBACH...
Claude THIEBAUT est professeur chargé de cours à l'Université de Picardie-Jules
Verne et avait consacré en 1991 un essai passionnant à "La Métamorphose et autres récits".
Les quatre Actes de cette tragédie d'un être qui ne cherchait qu'à être heureux (I.
KAFKA AVANT
KAFKA / II. NAISSANCE D'UNE ECRIVAIN / III. "LE MALHEUR DU CELIBATAIRE" / IV. SURvivre) composent un ouvrage splendide, foisonnant et passionnant.
Ces quatre parties biographiques sont suivies des "Témoignages et documents" autour des thèmes prééminents de la Figure paternelle (Ah, ce terrible et si banal "tyran domestique" que put être M. Hermann
Kafka !), des premiers "Fragments", de la vie quotidienne de Franz à Prague, de "L'aventure"
Milena Jesenska, des éclairages successifs de
Max Brod,
Robert Musil,
Alexandre Vialatte,
Albert Camus, Daniel Biegel,
Georges Lukacs,
Eugène Ionesco,
Alexandre Vialatte,
Dino Buzzati, Marcela Salivarova-Bideau, Malcolm Pasley,
Vaclav Jamek,
Umberto Eco...
On est enchanté de rencontrer "Valli" la soeur généreuse en sa petite maison campagnarde de Zürau, mais aussi Hedwig Weiler, Hansi Julie Szokol, Gerti Wasner, Grete Bloch, Felice Bauer, "la jeune fille de Lemberg", Minze Eisner, Julie Wohryzek,
Milena Jesenska, Dora Dymant... Franz fut bien plus un affectif insaisissable plus qu'un "serial seducer"... Si l'on perçoit une sorte de soulagement aux premières fiançailles rompues (avec Felice Bauer), on le sent lourdement culpabilisé après l'échec des secondes (avec Julie Wohryzek) ; Milena "la femme amoureuse" (retrouvée sous les traits de Frieda dans "Das Schloss" quand Julie pourrait être la timide Olga) l'aidera psychologiquement à se libérer du poids de cette "faute" (celle de pouvoir être autant "traitre et sincère à la fois")... puis sera délaissée à son tour.
L'épisode des fiançailles puis du mariage avorté avec Julie Worhyzek, jeune fille "naïve", enjouée mais pauvre, fille d'un cordonnier-gardien de synagogue-sacrificateur rituel (secrétaire au chômage lorsqu'il la rencontre, modiste lorsqu'il la quitte), assidument fréquentée durant une année et demi et qui finira par se marier avec un autre, donnera lieu pour la postérité à la fameuse "Lettre au Père" ("faite pour être écrite, pas pour être envoyée"). le sac-de-noeud affectif y est développé avec beaucoup de psychologie - en y mêlant l'inquiétante réminiscence de sa nouvelle au dénouement si tragique, "Le Verdict" ("Dar Urteil", 1912) ...
On comprend ainsi comment l'écrivain transforma Gregor Samsa immédiatement en "misérable vermine" de sa fameuse nouvelle "La Métamorphose" ("Die Verwandlung", 1912)... après la fameuse phrase du terrible "Monsieur L'Homme" (Hermann) : "Qui couche avec les chiens attrape des puces.". le bon commerçant devenu prospère était terrorisé des fréquentations de son fils, tel le talentueux Isaak Löwy, acteur (toujours fauché) et chef de la troupe pragoise de
Théâtre yiddish, se produisant dans des cafés miteux... La pauvre Julie dût également apparaître aux yeux de ce Cerbère comme l'équivalent d'une prostituée voulant lui ravir son fils...
Kafka aimait ses parents et leur écrivit des lettres affectueuses jusqu'à sa fin au sanatorium de Kierling (le 3 juin 1924)...
Hermann ne prit vraisemblablement jamais la peine de lire l'exemplaire de "Ein Landarzt" ("Le Médecin de campagne"), beau recueil de
nouvelles édité chez Kurt Wolff, dont la nouvelle-titre fut inspiré par le métier si difficile de son oncle Siegfried et que que Franz dédia à son père en 1920...
Abordée également, la vie politique intense de la capitale tchèque est abordée et la sensibilité de Franz pour la culture yiddish (si Julie fut l'instigatrice, Dora fut sa professeure ultime) et ce qu'on considérait alors comme les "rêves sionistes"...
La longue amitié de
Max Brod y est également rappelée : Max fut à la fois l'artisan du plus fameux des "testaments trahis" et le génial et premier éditeur des trois romans inachevés de
Kafka ("Der Prozess" aux éditions Die Schmiede à Berlin en 1925, "Das Schloss" aux éditions Kurt Wolff Verlag à München en 1926, puis "Amerika" aux éditions Kurt Wolff Verlag en 1927), il sauva également les manuscrits de son ami en 1939, fuyant l'Europe et les emportant avec lui dans une valise pour la Palestine !
Il vous faut lire ce petit livre dense et si peu onéreux (16,10 €) au regard de sa richesse.