Citations de Claudine Bohi (72)
un soir d’hiver
un soir d’hiver
où il ne neigeait pas
simplement froid dessus
jusqu’à fendre les pierres
elle s’en souvient encore
elle a mal à son père
elle a froid à son père
il est parti si loin
il est parti partout
un soir d’hiver
où il ne neigeait pas
…
l’heure est à l’ombre…
l’heure est à l’ombre celle qui remplit la douceur de sa
fourrure d’algue on marche dans le monde comme des
somnambules
on a perdu l’ensemble des lumières
qui s’allumaient dans les signes et s’engouffraient
dans nos épaules
alors quand triomphe le soir vous venez ouvrir le bleu
avec vos mains ouvrir cet inépuisable du bleu
cet infatigable du bleu
et quelque chose vient heurter la nuit la déplier la défaire
la fracasser toute une chair s’enroule à nos détresses
et vient d’un coup recommencer tous les signes
parler
tourner la boule
du silence
jusqu'en son bord extrême
jusqu'au souffle renoué
et toujours ce qui n'est pas dit
demeure dans la parole
ce qui sculpte la nuit
sous le scalpel du jour
tout ce qui vient après
dans l'abandon se dresse
un par un tu effaces
la gloire des signes bus
SECRET DE LA NEIGE
Extrait 5
comme une attente
qui serait comblée
avant d’être
éprouvée
avant même
d’être venue
une attente
dans son comblement même
déployée là
dans l’exactitude
du comblement
SECRET DE LA NEIGE
Extrait 2
avant la neige
le cœur bat
autrement
avant la neige
le corps bouge
plus loin
c'est la peau…
extrait 1
c'est la peau
qui fait lumière
dans le brouillard
on ne voit rien partout
sinon le monde absent
dans son offrande douce
sans couper sans couteau
le brouillard on l'aime
on le caresse
il éclaire un autre réel
une partition d'obscur
qui illumine
L’EAU SON PUITS ÉTRANGE…Extrait 1/2
l’eau
son puits étrange
où tombe le jour
une matière crie
vers l’abîme
engendre son obscurité
la nuit a dégrafé le vent
tu cherches
ce qu’elle retient
tu roules
dans ce sillage
tu vas dans le secret
tu vas
plus loin
LE FUNAMBULE SANS SON FIL…Extrait 4/4
toutes les phrases sont perdues
égarées
éparpillées
c'est là rien
mourir partout
avec personne dedans
LE FUNAMBULE SANS SON FIL…Extrait 3/4
les cris ensemble
sont mêlés brouillés
emportés par les fantômes
c'est oublié
disparu
englouti
loin sous la boue
noyer
respirer pas d’air
LE FUNAMBULE SANS SON FIL…Extrait 1/4
Le funambule sans son fil
et debout
dans son vide
vivre c'est là
ce couteau dans ta tête
ce couteau dans ta tête
secrètement porté
il s’enfonce partout
s’enfonce dans ta vie
s’enfonce dans tes yeux
et dans tes mains de père
et dans tes mains d’amant
dans toutes tes mains d’homme
(…) »
« il continue sa guerre
(…)
la blessure est profonde
qui ne se connaît pas
(…)
de père en fille
jusqu’en petite fille
il est parti loin de la mère
il est parti loin de la mère
il l’abandonne avec
la petite fille est seule
le couteau lui fait mal
ne sait où il se plante
elle ne sait d’où il vient
elle ne sait ce qu’il est
depuis longtemps il tranche
il fait des trous partout
de blessure en blessure
il fait ses ricochets
…
loin des champs de bataille
loin des champs de bataille
le sang encore se fige
jailli de leurs tranchées
le couteau a passé
de main en main
de mot en mot
il a creusé profond
et d’une lèvre à l’autre
il ouvre la blessure
venue de loin si vieille
et toujours renaissant
elle a cinq ans de boucles blondes
et de caresses
…
tu démêles une pelote…
tu démêles une pelote
de mots de chair et de silence
une pelote de sang
là sous les ongles
un à un qui se cassent
une pelote de larmes et de nerfs
les mains ouvertes sous la langue
cherchant
relevant cette fragilité du ventre
et du sourire
ce qui jaillit…
ce qui jaillit
ce qui reprend
et dégringole flocon
ces mots gelés
qui tournent dans l'espace
sont nos témoins
ce blanc en nous
ne finit pas
il nous donne la parole
ciel de poètes…
ciel de poètes
regard
ce souffle revenu retrouvé
et toujours étouffé
l'œil qui voyage
vers ce dont il a surgi
et dont il resurgit
le poète lui aussi est une sorte d'alchimiste
qui ouvre le petit sac des mots
qui regarde à l'intérieur
y dénichant ces oiseaux-là
remplis de sons et de mémoires
chaque mot glisse en nous
la profondeur du monde
peut-être es-tu debout
et la douleur
est dans son écrin
il y a une sagesse
à refuser
car la vie
est trop petite
entre les jambes
elle est aussi trop grande
pour
y entrer
c'est qu'on meurt
parfois trop
Corps levé
Extrait 3
tu crispes vers le bord
tu défais le blanc
ce puits si vague
entre les cils
et la dormeuse
donne à l'exil
son nom d'eau sèche
et dure
l'œil de la pierre
si tard ouvert
jusqu'à recommencer
p.60
avant toi ça remonte…
avant toi ça remonte
et tu le sais sans la preuve
oui c’est bien avant
ça ne s’attrape pas qui fuit.
c’est bien avant les signes…
c’est bien avant les signes
c’est caché
c’est dans la tête
qui remue dans la langue
c’est là
c’est mélangé informe
dedans
c’est deux
mais pas compté
c’est un cri qui a des bras
on ne sait pas combien
[…]
c’est dans la nuit
ce qui l’étonne
et la défait
ça y retourne aussi
ça la recommence.