Citations de Claudine Bohi (72)
Il fut mon père sans doute il ne le croyait pas
il ne le voulait pas malgré le creux du cœur
malgré ces deux mains vides
qui tombaient de nos bras.
il fut mon père et qu'est-ce-qu'un père au juste.
ce qui tremble
en nous
dans le fond de la chair
les mots
le rassurent
autour
les mots l'apprivoisent
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LES MOTS SONT DES PAS SUR LA NEIGE
Les mots
sont des pas
sur la neige
ils gardent la trace
mots de neige
sur la plaine
une biche parfois
encorde le silence
un grand oiseau de blanc
fait parole en nos yeux
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vous le savez peindre
vous le savez peindre c’est disparaître et
renaître plus grand et renaître plus large
c’est reprendre la mer rejoindre au fond des yeux
la grand-mère des humains il y a dans vos peintures
un souffle d’origine tous nos corps se retrouvent dans
cette mise au monde oui dans cet interminable balancement
dans ce roulis étrange et qui n’a pas de nom
parfois l’un d’entre nous témoigne de nos sources et
qu’elles n’ont pas de fin et qu’elles n’ont pas de peur
et parfois l’un de nous vient nous remettre au ventre
et d’un coup nous libère il y a tant d’espace
avec tant de couleurs « nous ne sommes pas au monde »
ouvrez donc vos bras neufs ouvrez votre poitrine
prenez les yeux du peintre ils sont plus grands que lui
redevenez vivants
entrez dans la peinture comme on entre en soi-même
ô ce renversement…
ô ce renversement de l’eau et cette clé perdue qui est
devenue caresse qui renouvelle la parole dans son
glissement de bleu
car vous le découvrez il y a sous l’écume un
domaine oublié une demeure réconciliée
pour nos frissons et pour nos rires
avez-vous déjà vu l’envers des souvenirs avez-vous
déjà vu le désespoir multiple se briser dans la vague
et redescendre dans les grands fonds
vous le sentez c’est là que si souvent vous habitez
sans le savoir
quelque chose de nous est repris dans vos songes
quelque chose de nous tout au bout de vos mains
rattrape la lumière
recommence nos yeux
dans les couleurs du monde…
dans les couleurs du monde
un petit œil s’enfuit
il vagabonde entre les signes
il les éclaire
il les transforme
les habille de neuf
très doucement
très sagement
sans bruit aucun
il ajoute à la vie
ce qu’elle ne connaît pas
encore
le réel palpite
ce petit œil
est en chacun
ce qui donne au monde
sa forme
mots musique
Il n’y a sans doute que la parole poétique,
celle où les mots sont aussi musique,
pour que puisse enfin surgir ce qui laissa sans voix.
(…)
la nuit qui ne reviendra pas vous l'avez dessinée de vos doigts de couleur vous l'avez déposée dans nos yeux comme un trésor d'enfant
comme une caravelle qui entrouvre l'histoire mais ne la referme pas
vous voguez ainsi partout
vous voguez maintenant loin de nos gouffres
(...)
là où le bleu prend sa source
cocon des mots
bulles de silence
verbales
une ligne se tend
qui s'arrondit
tendresse
la pluie des mains
sur l'asphalte des corps
tu touches la nuit
avec tes lèvres
tu l'effaces d'un coup
dans le bruit de la parole
elle est
le baiser du sens.
tu laves tes mains d’homme…
tu laves tes mains d’homme
elles sont posées
sur la pierre
et le réel c’est pour ça
une peau peut le recommencer
dans le vertige
nous touchons cette peau
alors tu montres le jardin simple
l’enfant qui dort dans ta poitrine
te prend la main
c’est maintenant l’amour
si je caresse ton genou
j’atteins cet enfant-là
réconcilié
Elle a cinq ans de boucles blondes
Elle a cinq ans de boucles blondes
et de caresses
un soir d’hiver où il ne neigeait pas
simplement froid dessus
jusqu’à fendre les pierres
elle s’en souvient encore
elle a mal à son père
elle a froid à son père
il est parti au loin
il est parti partout
un soir d’hiver où il ne neigeait pas
un soir d’hiver
où il ne neigeait pas
le couteau du grand-père
qu’elle n’avait jamais vu
un soir d’hiver
est venu le grand-père
un soir d’hiver
où il ne neigeait pas
c’est dans sa tête petite
que tombe alors la neige
un grand brouillard tout blanc
un soir d’hiver
où le couteau passa
tout ce brouillard en elle
ce cocon plein de blanc
ce cocon de silence
qui est assourdissant
Entrer dans la neige
aller au blanc
laver la nuit
retrouver
ta part de flocon
maintenant la chair…
maintenant la chair
glisse sur rien
longuement tu te tais
il y a la plaie le sang
vivre couteau
c’est sans parole
il y a les multiples du visage
les multiples disait-on
peut-être s’agit-il simplement
de crier le bleu dans le rouge
puisque le vent s’est levé
de n’avoir plus froid
sillonnant au large …
extrait 2
sillonnant au large
ce qu'on ne voit pas
un grand rêve de blanc
tombe sur nos reins
on a le corps voué à cet espace
qui ne finit pas
brouillard blanc bleu gris
l'essentiel est dans les mains
cette suspension cette chaleur
cette communauté du geste avec le rêve
cette ouverture dans les yeux le cœur aussi
qui s'agrandit jusqu'au signe
LE FUNAMBULE SANS SON FIL…Extrait 2/4
la peau devient loin sur toi
même frottée
rien est si plein
ça envahit
plus grand que le ciel
plus fort
L’EAU SON PUITS ÉTRANGE…Extrait 2/2
le ciel soumis
dans cette parenté
du bord
a échappé
la peau toujours
est traversée
par une porosité de la lumière
l’air crie
vers l’horizon
tu es dedans
UNE LUMIÈRE DE TERRE
Il y a l’humilité de cette lumière
qui vient du plus profond
de cet humus en toi
qui demande
à frémir
de cet humus
si près de la terre où tu tombes
d’où tu viens
d’où tu ressurgis
C’est une lumière
de terre
une lumière
pour fabriquer
de la lumière
pour fabriquer
du signe
Quand elle n’est pas là
peut-être qu’on est mort ?
une petite fille dorée blondie
une petite fille dorée blondie
comme un soleil en son premier matin
la petite fille s’endort
la petite fille s’endort
dans le lit de la mère
(…)
un soir d’hiver
où il ne neigeait pas
le souvenir est blanc
le geste est effacé
où sont allés les mots
où passa la parole
où part la petite fille
d’où elle ne revient pas