Colette Brogniart

J’ai découvert ce roman sur un Salon du livre attirée par la couverture et le titre. L’autrice précisa que ce titre ciblait la solitude de l’écrivain quand il crée, renforcée par l’éventuelle indifférence du public. Elle ajouta que dans ce roman 2 personnages ½ étaient réels, les autres étant fictifs. J’ai acquis le livre pour apaiser un peu cette solitude, tout en me proposant de trouver quels étaient les deux personnages réels et la moitié du troisième !



Un fait divers rassemble quelques habitants d’un village parmi lesquels des artistes. Il y a là une écrivaine Ariane. Aussitôt j’ai supputé que ce personnage devait être réel : l’auteur ou son alter ego, d’autant que le choix du prénom ne relevait certainement pas du hasard... J’allais donc suivre ce fil. Parmi ses amis deux plasticiens : Alix une jeune peintre dynamique, au comportement assez excentrique et un créateur de collages Romain, un homme âgé qui manifestement admire Ariane. J’ai supposé qu’il s’agissait là du second personnage réel leurs échanges sonnant justes : « Les personnes âgées sont les vraies héros de notre époque qui les ignore tout en les exploitant et en leur préparant des mouroirs. » p. 153 Il me restait à trouver la moitié de personnage réel... La couverture reproduit une très belle technique mixte avec en son centre une partition entourée de couleurs et de graphismes, je m’orientais donc vers le musicien également âgé jadis connu, désormais oublié. Mais un autre personnage s’intéresse à la musique : il joue de la flûte en gardant ses brebis. Jeune, il s’efforce de s’intégrer dans ce milieu rural qu’il connait mal, de même qu’il maîtrise mal l’occitan malgré son prénom : Guilhem. J’avais donc un surplus de personnages réels. D’autant que Manuella, une jeune chômeuse parfaitement paumée, m’attirait grandement. J’aurais voulu la rencontrer. Elle déclare ne rien aimer dans la vie, tout juste intéressée par le fait de se faire tatouée, mais en réalité pleine d’attentes.

En fait, réels ou fictifs, jeunes ou âgés, artistes ou chômeurs, je n’avais qu’une hâte les retrouver dans leurs échanges intergénérationnels et à travers leurs propos sur les arts. Leurs solitudes solidaires m'ont profondément touchée. Raphaëlle.

Des nouvelles - Des moments d'une vie, des réflexions livrées ici et là, des pensées, une philosophie aussi. Les animaux sont présents comme toujours dans les ouvrages de Colette Brogniart. "Jours d'été" par sa poésie jouant sur l'absurde dans la grande tradition d'Italo Calvino est une pure merveille ! Les nouvelles sont regroupées en cinq chapitres qui vont de "Fantasques" à "Autoportraits à l'encre" en passant par "L'inventaire des objets", "L'inventaire des sentiments" ainsi qu'une vue ironique de quelques Salons du livre. L'auteur est prolifique, elle a écrit plusieurs romans, des recueils de nouvelles, des poèmes souvent publiés sous forme de livres d'artistes en collaboration avec des plasticiens et aussi un essai sur Léo Ferré qu'elle a prolongé par des conférences. Ria Calonius - La Dépêche du midi

Le désordre des choses



Entretien avec Colette Brogniart



J’ai beaucoup apprécié votre livre. La forme, la maitrise de la langue : un lexique subtil, une langue ciselée . Des scènes saisissantes m’ont captivée. Votre manière de raconter l’histoire et les évènements est comme une promenade philosophique : des dialogues percutants qui évoquent la vie, la littérature, autant de réflexions passionnantes. Le thème est original et les rebondissements attrayants.

Ce livre témoigne d’une imagination vive et colorée qui permet de visualiser les actions qui nous emportent et nous transplantent.



De nombreuses phrases me parlent tout particulièrement. Exemples :



Comment se promener et mémoriser le paysage sans recourir au langage, mais en se référant aux seuls sens.



Par le passé, elle accorda ses... faveurs sans désir, sans envie, par gentillesse ou pour tenter de remédier à sa vie affective douloureuse et frustrante. L’introduction de ces points de suspension dans la phrase éclaire bien le personnage.



Je ressens l’expression « faire son deuil » comme aberrante ou scandaleuse. J’ai perdu des êtres chers : ils me manquent. Ce sont autant de vides et de déchirures.



Cette pensée au rebours du discours lénifiant me semble très juste.



Par l’écriture, j’ai cherché à comprendre la vie, à partager mes interrogations, à ralentir le temps et à combattre la mort.../... L’écriture pour remédier au fait que je maîtrisais mal les codes, y compris le langage.

Cette réflexion éclaire bien des existences...



Mieux vaut tricoter ou triturer, trifouiller, tripatouiller, tout plutôt qu’écrire.

Hélas !



Je relève aussi de nombreuses phrases poétiques dans un texte dense et atypique.



Peut-être que le vent transporte des paroles sans le vouloir.



Toute ma vie j’ai voulu arrêté le temps...



Le temps a vieilli.



J’apprécie aussi les nombreuses références aux arts ainsi que le rôle de la couleur.



Je vais vous poser quelques questions.



Combien de temps avez-vous mis pour écrire ce livre ?

Un an et demi, puis je l’ai repris disons deux ans.



Quel personnage préférez-vous ?

Les personnages sont très imbriqués les uns aux autres, ils se révèlent les uns par les autres. La construction de l’ouvrage les rassemble inéluctablement. Certains me sont proches, mais même Venceslas, passablement odieux, me plait pour sa colère et sa violence



Écrivez-vous à des moments précis ?



Le matin de préférence, mais je peux relire et améliorer le texte l’après-midi.



Voulez-vous transmettre un message par ce roman ?



Un message... non, des messages : j’ai tendance à privilégier la réflexion, si possible de façon originale et ludique.



Le titre vient-il dès le départ ?

C’est selon, parfois oui, le plus souvent il s’agit d’un titre provisoire qui peut se révéler inadapté par rapport à ce qui va s’écrire, parfois éloigné du projet.



Quel public visez-vous ?

Des lecteurs qui s’intéressent à l’écriture... Comme vous-même.



Moi, j’ai vraiment adoré le fond et la forme.



Un travail sur l’écriture me semble indispensable, nullement de façon gratuite mais pour servir du le récit.



Votre livre est parfaitement équilibré, subtil et profond. Pourriez-vous le résumer en 2 ou 3 phrases ?



C’est ce que je m’efforce de faire dans la présentation : six personnages cherchent leur vraie personnalité, un trompe l’œil les réunit et ce roman est en lui-même un trompe l’œil : six personnages en quête d’histoire qui se croisent pour relever un défi littéraire que le lecteur peut ignorer ou percer.

Véronique Arvi

Pour La dépêche du Midi- 21 octobre 2021