- Ne t'est-il jamais arrivé de penser à quelque chose et de voir cette chose se mettre à exister vraiment ? Une chose que tu as vraiment envie de voir ? Ou d'avoir ?
- Oui, j'imagine.
- Moi, j'ai la certitude que si on croit ardemment en quelque chose, elle se produira. Elle apparaîtra comme par magie parce que l'univers tout entier va tout mettre en œuvre pour que notre souhait soit exaucé.
Les yeux de la jeune fille se posent à nouveau sur Mel et la mélancolie qu'elle lui renvoie le submerge de tristesse. Lui aussi possède un don particulier, mais il ne l'a jamais considéré comme une bénédiction. Il absorbe, à la manière d'une éponge extrasensorielle, toutes les émotions qui flottent tout autour de lui, mais puissance mille. Comme des émanations qui le pénètrent de part en part, des fragrances qu'il engloutit et qui le dévorent, le laissant tantôt dans l'exaltation, tantôt dans la souffrance. C'est son héritage personnel et toutes ces années de pratique forcée ne lui ont toujours pas appris à se préparer au chamboulement intérieur, qui fatalement s'opère en lui, à chaque fois.
Alors, la voilà, cette émotion maintes fois domptée et annihilée. Elle finit par se frayer un chemin à l'intérieur. D'abord là, juste en dessous du nombril, sensation de chaleur douce. Puis, c'est le bassin qui se tétanise, elle arrive.
La Peur.
Insoumise.
Incontrôlable.
Rapidement, elle étend ses tentacules pour venir enlacer la poitrine et éteindre le cœur.
Elle sait bien que rien n'est réel, qu'elle n'est là qu'en simple spectatrice dans une scène effrayante, même si elle semble y jouer le rôle principal. Pourtant, la panique s'installe et la submerge alors qu'un cri viscéral tente de sortir de sa gorge serrée.
Un cri de terreur.
À la place, le silence.
C'est le silence, qui s'est installé, en même temps que la nuit.
Pas un silence qui tombe, qui plombe, pas un silence qui pèse. Juste un temps, un intervalle, comme un soupir. De part et d'autre des flammes, les regards sont vissés, fixés sur les yeux de l'autre. L'ambre d'un côté, le cristal de l'autre. Reliés par un fil invisible et mystérieux.
Pour entrer dans le Bunker, il faut suivre le sentier jusqu'au sommet de la colline. On l'a baptisée la Tête du Serpent parce que, vu d'en haut, ce souterrain gigantesque forme une spirale qui ressemble à un serpent recroquevillé sur lui-même. C'est pour ça que la ville s'appelle Nid'Hogg, le crotale du folklore nordique qui vit sous terre.
Tu t'aventures sur un chemin tortueux, en as-tu conscience ?
Non, évidemment, pas encore.
La voix dans sa tête est claire, tout à fait distincte, et en même temps, elle paraît si lointaine. C'est une sensation étrange. Comme une chanson qui s'insinue, une inspiration qui se faufile dans ses pensées.
Le regard en coin, suspendu aux lèvres de la jeune femme, les yeux pleins d'espoir, son souffle s'est arrêté, attendant avec anxiété la sentence. Elle n'a nul besoin de parler et il n'a nul besoin d'entendre.
Un sourire en guise de réponse, il peut à nouveau respirer.
Ça lui va bien, le sourire.
Regarder cet homme s'essouffler à tenter une conversation avec une fille de réputation muette est suffisamment fantasque pour qu'elle se délecte un peu du spectacle.
Surtout qu'il persiste.
" Souviens-toi du mystère, gravé un jour dans ta chair, et tu sauras enfin, le début de la fin de notre histoire. "
Melchior ne répond pas, mais il sait qu'à partir de ce jour, rien ne sera plus comme avant.