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Citation de StCyr


StCyr
09 décembre 2012
Il ouvrit une porte, nous entrâmes dans une grande pièce claire, étincelante, au parquet couvert de linoléum bleu. Le long des murs, des étranges berceaux en forme de violoncelle étaient alignés, l’un à côté de l’autre comme les lits d’une clinique pour enfants : dans chacun de ces berceaux un chien était étendus sur le dos, le ventre ouvert, le crâne fendu, ou la poitrine béante
De minces fils d’acier, entortillés autour de cette même sorte de chevilles de bois qui dans les instruments de musique servent à tendre les cordes, maintenaient ouvertes les lèvres de ces horribles blessures : on voyait battre le cœur nu, les poumons, aux veines semblables à des branches d’arbres, se gonfler tout comme le feuillage d’un arbre au souffle du vent, le foie rouge et luisant se contracter tout doucement, de légers frémissements courir sur la pulpe blanche et rose du cerveau comme sur un miroir embué, les intestins se délier paresseusement comme un nœud de serpents. Aucun gémissement ne s’échappait des lèvres entrouvertes des chiens crucifiés.
Tous les chiens avaient tourné leurs yeux vers nous, en nous fixant avec un regard à la fois implorant et plein d’un crainte atroce : ils suivaient des yeux chacun de nos gestes, épiaient nos lèvres en tremblant. Immobile au milieu de la pièce je sentais un sang glacé monter dans mes membres, peu à peu je devenais de pierre. Je ne pouvais plus ouvrir les lèvres, ni faire un pas. Le médecin posa sa main sur mon bras et me dis : « courage.» Ce mot fondit la glace de mes os, je m’avançai lentement, je me penchai sur le premier berceau. Et à mesure que je passais de berceau en berceau, le sang me remontait au visage, mon cœur s’ouvrait à l’espoir … Tout à coup je vis Febo.
Il était étendu sur le dos, le ventre ouvert, une sonde plongée dans le foie. Il me regardait fixement, les yeux pleins de larmes. Il avait dans le regard une merveilleuse douceur. Il respirait légèrement, la bouche entrouverte, secoué par un tremblement horrible. Il me regardait fixement, et une douleur atroce me creusait la poitrine. « Febo », dis-je à voix basse. Et Febo me regardait avec dans les yeux une merveilleuse douceur. Je vis Jésus Christ en lui, je vis Jésus Christ crucifié, je vis Jésus Christ qui me regardait avec une douceur merveilleuse. « Febo », dis-je à voix basse, en me penchant sur lui, en caressant son front. Febo baisa ma main sans pousser le moindre gémissement.
Le médecin s’approcha, toucha mon bras.
« Je ne devrais pas interrompre l’expérience, dit-il, c’est défendu. Mais pour vous… Je vais lui faire une piqûre. Il ne souffrira pas. »
Je pris la main du médecin entre mes mains, et lui dit, tandis que les larmes coulaient sur mon visage :
« Jurez-moi qu’il ne souffrira pas.
- Il s’endormira pour toujours, dit le médecin, je voudrais que ma mort fût aussi douce que le sienne.
- Je fermerai les yeux, dis-je, je ne veux pas le voir mourir. Mais faites vite, faites vite !
- Juste un instant », dit le médecin, et il s’éloigna sans bruit, glissant sur le tapis de linoléum.

Il alla au fond de le pièce, ouvrit une armoire. Je restai debout devant Febo, secoué d’un tremblement horrible, le visage sillonné de larmes. Febo me regardait fixement, pas un gémissement ne sortait de sa bouche. Il avait dans les yeux une merveilleuse douceur. Les autres chiens aussi étendus sur le dos dans leurs berceaux me regardaient fixement. Pas un gémissement de leurs lèvres. Tous avaient dans leurs yeux une merveilleuse douceur.

Tout à coup, je poussai un cri de frayeur :
« Pourquoi ce silence ? m’écriai-je, que signifie ce silence ? »
C’était un silence horrible, un silence immense, glacial, mort, un silence de neige.
Le médecin s’approcha, une seringue à la main.
« Avant de les opérer, dit-il, nous leur coupons les cordes vocales. »
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