Dana Ziyasheva

L'initiative ne paie pas. Voilà ce que comprit François. Plus tu prends de risques pour la France, plus profonde sera la tasse de désespoir et d'amertume que tu boiras. En France, il faut être un tire-au-flanc, au RMI. La France aimait ses petites gens faibles et sans aspirations. Le patriotisme pour la France, c'est une cause perdue ! Autant tu t'escrimes pour le pays, ce n'est jamais assez, jamais bon, jamais bienvenu, jamais récompensé. La France était égoïste et recroquevillée ! Sans pitié !

La visite à l'hôpital et le renouement avec la foi avaient renforcé la détermination de François à tuer et réprimer des gens qui, a priori, ne lui causaient aucun tort personnellement. Les principes auxquels ces gens avaient adhéré, dérangeaient sa paix intérieure. En détruisant ces gens, il détruisait les principes. Au commencement était l'incompatibilité. Qui plus est, il n'aimait pas le bordel. Et les bombardements, les maisons en ruine, ses copains culs-de-jatte, c'était le bordel.

La pause clope rehaussa encore l'humeur de François. Les lendemains de tuerie étaient fabuleux. Le sang des veines d'un ennemi ou le sperme de son urètre, il fallait que ça sorte. Chasser ses semblables était devenu une nécessité, une sommation biologique. Il n'y avait plus aucun sens à torturer l'esprit. Peu importait où et pour quelles raisons. L'essentiel c'était le résultat : légèreté, lévitation, euphorie. Quand il ne trouverait plus personne à tuer, il se tuerait lui-même.

Quant le Tatmadaw envahissait un village, c'était juste des animaux dominants en chasse d'espèces plus petites et plus faibles. La peur et la torture infligées même pas au nom du plaisir cruel interdit, mais par simple absence de conscience. Animaux, putain, c'est ça !

Kun Sa engloutit sa portion de viande humaine avec le même appétit qu'il avait appliqué la veille à son steak de rat grillé. La nourriture était rare. Ils mangeaient ce dont la forêt les approvisionnait, que ce soit un rat, un chien errant ou un homme.

À dix-huit ans, François avait intégré un régiment réputé parmi les plus durs en Europe. On l'avait programmé psychologiquement tout en le parant de capacités physiques et techniques surhumaines. À vingt ans, il finissait dans le résidu, parmi les quatre-vingt-dix pour cent de rejetés. On avait établi noir sur blanc que lui, François Lefebvre, était inapte à servir la France de façon légitime. Quel choix avait-il ? Accepter la médiocrité du quotidien pour les cinquante prochaines années ? Ou emprunter un chemin de détour vers une vie exceptionnelle ?Essayer d'entrer dans l'Histoire par la sortie de secours ?

- Dans l'armée, vous entendez sans arrêt : "respect de l'adversaire", "honneur, franchise et loyauté", "se jeter le premier dans la bagarre". Oubliez ces conneries !

Le discours de l'adjudant-chef faisait mal aux anciens militaires, Olivier compris. Quant à François, à chaque nouvelle phrase de Stan, sa cage thoracique gagnait en volume, comme un ballon de foot qu'on gonflerait pour la première fois avant un match capital. Il faisait une grande entrée dans la vie adulte par la réalisation de son rêve. Service action de la DGSE, le bras armé des services secrets français !

L'air devint liquide et François distingua la trace d'une roquette qui volait droit sur lui. Il y avait là quelque chose de violemment sexuel, quelque chose de profondément indécent. Le cœur s'arrête. Toi et la roquette - dans la quatrième dimension. Tu la vois. Elle te voit. Et aujourd'hui, elle a d'autres chats à fouetter. Alors, elle continue son vol et explose sur la colline derrière toi. Et le monde redevient ce qu'il était, un lieu ordinaire avec une forêt et des maisons grises.