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Biographie :

Daniel Gauthier est professeur agrégé d'économie et de gestion. Diplômé d'HEC, il est également consultant en marketing pour de grandes entreprises, et à ce titre, auteur de nombreuses études dans le domaine de la sécurité. Il a milité dans les rangs maoïstes pendant près de dix ans. Passionné de rugby, d'économie et de littérature, il consacre désormais son temps libre à l'écriture.


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Citations et extraits (8) Ajouter une citation
Daniel Gauthier
Premier chapitre de "Retour à Auschwitz" (parution fin mars 2010)


Le vieux singe m’a fait son sourire charmeur :
— Jef, tu as dix-huit ans. Ici, tu peux boire ce que tu
veux !
Nous étions au bar de l’hôtel Lutetia, à Paris, en France. Je
précise, parce que Paris (Illinois) est à trois heures de route
de Peoria, le trou où j’habite.
Je commandai une Bud et grand-père un gin-fizz. Pendant
que le barman agitait son shaker, grandpa marmonna :
— Ç’aurait pu arriver à n’importe qui ! Enfin, pas tout à
fait. Il faut quand même un enchaînement de circonstances…
Tu prends un peuple jeune, plein de vigueur et d’orgueil. Sans
traditions démocratiques. Tu ajoutes une défaite cinglante,
une bonne humiliation et une grosse crise économique. Un
leader avec une grande gueule, qui désigne clairement l’ennemi
et promet la lune…
Je me penchai pour entendre la suite.
— Tu secoues le tout et tu obtiens exactement ce qui est
arrivé !
Je laissai passer quelques secondes.
— Tu peux peut-être m’expliquer ?
— Les Allemands ! Ce qui s’est passé n’est pas si difficile
à comprendre, finalement.
Il aurait parlé chinois que ç’aurait été exactement pareil.
Mais je me gardai bien de lui demander d’autres explications.
« Quinze jours », avait dit mon père, « tu accompagnes ton
grand-père en Europe pendant quinze jours. Tu le conduis
partout où il veut aller et tu en profites pour te cultiver. Tu en
as bien besoin, d’ailleurs ! End of discussion. » (Et quand il dit
ça…) Mais ces quinze jours, j’avais prévu de les passer avec
Karen Sorensen, ma nouvelle petite amie. Au programme :
pétards, musique… et baise, évidemment. Un moment que
j’en rêvais ! Et c’était foutu maintenant, au moins jusqu’à
Thanksgiving. Je partais étudier à Berkeley et Karen restait à
Peoria. Mais ni dad ni grandpa n’en avaient rien à faire !
Alors j’étais bien décidé à faire la gueule à grand-père.
(Mais je me connaissais : j’aimais trop grandpa. Si je
tenais un jour ou deux sans lui adresser la parole, ce serait le
bout de monde.)

Nous traversions le hall de l’hôtel quand il se remit à
marmonner :
— Cet hôtel… Figure-toi que pendant la guerre, il servait
de quartier général à l’Abwher, l’armée allemande.
Ça m’intéressait drôlement. Comme il ne semblait pas
décidé à en dire plus, je rusai :
— Quel âge as-tu ? Soixante-huit ans, non ? Donc, il y a
cinquante ans, tu as connu la guerre en Europe.
Il ne me répondit pas directement :
— À la fin de la guerre, en 45 (on était en 89, il avait
vingt-quatre ans, alors : dur de l’imaginer à cet âge-là), les
Juifs rescapés des camps étaient logés ici. Et sur le trottoir,
devant cet hôtel, des centaines de personnes, attendant des
nouvelles de leurs proches…
— Tous les jours, ces Juifs avec des pancartes, comme
dans les aéroports, termina-t-il d’une voix pensive.
La Libération de la France. Ce vieil hôtel. Les fantômes de
Juifs rescapés. Comme tout le monde, j’avais vu Holocauste,
à la télé.
Mon voeu de silence s’était envolé depuis belle lurette.
— Tu y étais, toi ?
Et je ricanai :
— Tu n’es pourtant pas juif !
— Non, vois-tu, « Baron », ce n’est pas vraiment un
nom juif ! Bien que j’aie connu des Juifs qui s’appelaient
Baron…
Grand-père avait bifurqué sur sa gauche. Nous pénétrâmes
dans une immense pièce meublée à l’ancienne. La salle à
manger.
Heureusement, il avait insisté pour que je mette au moins
un jean, à la place du short que j’avais porté pendant tout le
voyage.
Mais même en pantalon, je me sentais déplacé, avec mon
sweat et mes mocassins avachis. Lui portait un costume gris
sur mesure et une chemise Arrow bleu ciel. Dans tout Peoria,
je crois bien que c’est l’homme le plus élégant : toujours
en chemise à manches longues, même par les plus grandes
chaleurs. Et sa collection de cravates ! Il est grand aussi,
même s’il fait dix centimètres de moins que moi, et se tient
bien droit. Il n’a pas du tout une démarche de petit vieux.
C’est un très beau vieillard : des traits finement dessinés, une
chevelure abondante et impeccablement peignée, des mains
soignées. Si ça se trouve, il plaît encore aux femmes…
Je le regardai avec tendresse : sûr que ç’allait être difficile
de lui faire la gueule pendant quinze jours.
Il choisit une table donnant sur le jardin intérieur. La
fenêtre était ouverte et la chaleur n’était pas désagréable,
sèche et vivifiante : rien à voir avec l’humidité poisseuse de
chez nous. Je dépliai la carte. Le français, je maîtrise (c’est
même la seule matière où j’ai eu un « A » toute ma scolarité
: on parle souvent français, chez les Baron, une tradition
instaurée par grandpa) mais j’avais du mal à m’y retrouver,
avec leurs plats aux noms bizarres.
Le maître d’hôtel apparut. J’étais prêt.
— Désirez-vous un apéritif ?
Grand-père secoua la tête et je fis de même.
Le type haussa les sourcils :
— Et pour le repas, avez-vous fait votre choix ?
— En entrée, je prendrai le foie gras, et ensuite, le homard
à l’armoricaine, articulai-je.

Il ne broncha pas et nota sur son calepin. Il se tourna vers
grandpa. Qui me lança un clin d’oeil approbateur et dit :
— Très bon choix ! Je prendrai la même chose.
Quand il nous demanda ce que nous voulions boire, ça se
gâta. Grand-père avait le nez plongé dans la carte des vins.
Je murmurai :
— Coca-cola.
Le maître d’hôtel était horrifié.
Grandpa fut secoué de rire :
— En disant des choses pareilles, tu pourrais déclencher
une émeute sans même t’en rendre compte ! Je vais
commander le vin.
Il sortit un couteau à manche de corne recourbé de je
ne sais où. Un fois déplié, il était presqu’aussi long que
l’avant-bras.
— Un Laguiole. La meilleure marque. Quand j’étais
paysan, pendant la guerre, tout le monde avait son couteau.
Je l’ai acheté à l’aéroport, pendant que tu faisais le malin
avec les hôtesses.
Comme ça, il avait été paysan !
J’eus beau insister, il ne voulut pas en dire davantage.
La suite se passa sans anicroches.
Bon, je me fis bien un petit peu sonner les cloches : il
paraît que je parlais trop fort. Ce n’était pas moi qui parlais
fort, mais les autres qui murmuraient. Mais je me le tins pour
dit et me mis à susurrer comme tout le monde.

À la fin du déjeuner, il me posa la question de confiance :
— Que veux-tu faire, cet après-midi ? Visiter le Louvre ?
Ou tu préfères peut-être le concessionnaire Mercedes… Mon
ami Proust s’est occupé de tout et il y a une voiture qui nous
attend.
Autant demander à un linebacker s’il aime saquer le
quaterback adverse.
Une heure plus tard, je remontais les Champs Élysées au
volant d’un cabriolet 500 SL flambant neuf. Une belle bête :
11
sièges en cuir, quatre places, et, à mon grand soulagement,
boîte automatique. Plus un bon petit V8 de cinq litres : un peu
léger, mais pas mal quand même.
Une question innocente à grand-père et je compris qu’il y
a un vrai fossé entre nous :
— Pour la bagnole… Pourquoi as-tu choisi ce gris métallisé
? J’aurais bien aimé que tu la prennes en rouge…
— Mais tu n’y penses pas ! Rouge, c’est pour les voitures
italiennes !
Il m’expliqua : les françaises sont bleues, les anglaises
vertes, les italiennes rouges et les allemandes gris métal.
Point final. Quant aux américaines, comme ce ne sont pas de
vraies voitures, la couleur n’a pas d’importance !
Pas une vraie voiture, ma Mustang ?
Pourvu qu’il n’ait pas attrapé la maladie d’Alzheimer ou
quelque chose de ce genre !
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Daniel Gauthier
Mentir, c'est facile, c'est se souvenir de ses mensonges qui est difficile - et aussi de ceux à qui on les a servis.
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Daniel Gauthier
Premier chapitre de "Retour à Auschwitz" (parution fin mars 2010)


Le vieux singe m’a fait son sourire charmeur :
— Jef, tu as dix-huit ans. Ici, tu peux boire ce que tu
veux !
Nous étions au bar de l’hôtel Lutetia, à Paris, en France. Je
précise, parce que Paris (Illinois) est à trois heures de route
de Peoria, le trou où j’habite.
Je commandai une Bud et grand-père un gin-fizz. Pendant
que le barman agitait son shaker, grandpa marmonna :
— Ç’aurait pu arriver à n’importe qui ! Enfin, pas tout à
fait. Il faut quand même un enchaînement de circonstances…
Tu prends un peuple jeune, plein de vigueur et d’orgueil. Sans
traditions démocratiques. Tu ajoutes une défaite cinglante,
une bonne humiliation et une grosse crise économique. Un
leader avec une grande gueule, qui désigne clairement l’ennemi
et promet la lune…
Je me penchai pour entendre la suite.
— Tu secoues le tout et tu obtiens exactement ce qui est
arrivé !
Je laissai passer quelques secondes.
— Tu peux peut-être m’expliquer ?
— Les Allemands ! Ce qui s’est passé n’est pas si difficile
à comprendre, finalement.
Il aurait parlé chinois que ç’aurait été exactement pareil.
Mais je me gardai bien de lui demander d’autres explications.
« Quinze jours », avait dit mon père, « tu accompagnes ton
grand-père en Europe pendant quinze jours. Tu le conduis
partout où il veut aller et tu en profites pour te cultiver. Tu en
as bien besoin, d’ailleurs ! End of discussion. » (Et quand il dit
ça…) Mais ces quinze jours, j’avais prévu de les passer avec
Karen Sorensen, ma nouvelle petite amie. Au programme :
pétards, musique… et baise, évidemment. Un moment que
j’en rêvais ! Et c’était foutu maintenant, au moins jusqu’à
Thanksgiving. Je partais étudier à Berkeley et Karen restait à
Peoria. Mais ni dad ni grandpa n’en avaient rien à faire !
Alors j’étais bien décidé à faire la gueule à grand-père.
(Mais je me connaissais : j’aimais trop grandpa. Si je
tenais un jour ou deux sans lui adresser la parole, ce serait le
bout de monde.)

Nous traversions le hall de l’hôtel quand il se remit à
marmonner :
— Cet hôtel… Figure-toi que pendant la guerre, il servait
de quartier général à l’Abwher, l’armée allemande.
Ça m’intéressait drôlement. Comme il ne semblait pas
décidé à en dire plus, je rusai :
— Quel âge as-tu ? Soixante-huit ans, non ? Donc, il y a
cinquante ans, tu as connu la guerre en Europe.
Il ne me répondit pas directement :
— À la fin de la guerre, en 45 (on était en 89, il avait
vingt-quatre ans, alors : dur de l’imaginer à cet âge-là), les
Juifs rescapés des camps étaient logés ici. Et sur le trottoir,
devant cet hôtel, des centaines de personnes, attendant des
nouvelles de leurs proches…
— Tous les jours, ces Juifs avec des pancartes, comme
dans les aéroports, termina-t-il d’une voix pensive.
La Libération de la France. Ce vieil hôtel. Les fantômes de
Juifs rescapés. Comme tout le monde, j’avais vu Holocauste,
à la télé.
Mon voeu de silence s’était envolé depuis belle lurette.
— Tu y étais, toi ?
Et je ricanai :
— Tu n’es pourtant pas juif !
— Non, vois-tu, « Baron », ce n’est pas vraiment un
nom juif ! Bien que j’aie connu des Juifs qui s’appelaient
Baron…
Grand-père avait bifurqué sur sa gauche. Nous pénétrâmes
dans une immense pièce meublée à l’ancienne. La salle à
manger.
Heureusement, il avait insisté pour que je mette au moins
un jean, à la place du short que j’avais porté pendant tout le
voyage.
Mais même en pantalon, je me sentais déplacé, avec mon
sweat et mes mocassins avachis. Lui portait un costume gris
sur mesure et une chemise Arrow bleu ciel. Dans tout Peoria,
je crois bien que c’est l’homme le plus élégant : toujours
en chemise à manches longues, même par les plus grandes
chaleurs. Et sa collection de cravates ! Il est grand aussi,
même s’il fait dix centimètres de moins que moi, et se tient
bien droit. Il n’a pas du tout une démarche de petit vieux.
C’est un très beau vieillard : des traits finement dessinés, une
chevelure abondante et impeccablement peignée, des mains
soignées. Si ça se trouve, il plaît encore aux femmes…
Je le regardai avec tendresse : sûr que ç’allait être difficile
de lui faire la gueule pendant quinze jours.
Il choisit une table donnant sur le jardin intérieur. La
fenêtre était ouverte et la chaleur n’était pas désagréable,
sèche et vivifiante : rien à voir avec l’humidité poisseuse de
chez nous. Je dépliai la carte. Le français, je maîtrise (c’est
même la seule matière où j’ai eu un « A » toute ma scolarité
: on parle souvent français, chez les Baron, une tradition
instaurée par grandpa) mais j’avais du mal à m’y retrouver,
avec leurs plats aux noms bizarres.
Le maître d’hôtel apparut. J’étais prêt.
— Désirez-vous un apéritif ?
Grand-père secoua la tête et je fis de même.
Le type haussa les sourcils :
— Et pour le repas, avez-vous fait votre choix ?
— En entrée, je prendrai le foie gras, et ensuite, le homard
à l’armoricaine, articulai-je.

Il ne broncha pas et nota sur son calepin. Il se tourna vers
grandpa. Qui me lança un clin d’oeil approbateur et dit :
— Très bon choix ! Je prendrai la même chose.
Quand il nous demanda ce que nous voulions boire, ça se
gâta. Grand-père avait le nez plongé dans la carte des vins.
Je murmurai :
— Coca-cola.
Le maître d’hôtel était horrifié.
Grandpa fut secoué de rire :
— En disant des choses pareilles, tu pourrais déclencher
une émeute sans même t’en rendre compte ! Je vais
commander le vin.
Il sortit un couteau à manche de corne recourbé de je
ne sais où. Un fois déplié, il était presqu’aussi long que
l’avant-bras.
— Un Laguiole. La meilleure marque. Quand j’étais
paysan, pendant la guerre, tout le monde avait son couteau.
Je l’ai acheté à l’aéroport, pendant que tu faisais le malin
avec les hôtesses.
Comme ça, il avait été paysan !
J’eus beau insister, il ne voulut pas en dire davantage.
La suite se passa sans anicroches.
Bon, je me fis bien un petit peu sonner les cloches : il
paraît que je parlais trop fort. Ce n’était pas moi qui parlais
fort, mais les autres qui murmuraient. Mais je me le tins pour
dit et me mis à susurrer comme tout le monde.

À la fin du déjeuner, il me posa la question de confiance :
— Que veux-tu faire, cet après-midi ? Visiter le Louvre ?
Ou tu préfères peut-être le concessionnaire Mercedes… Mon
ami Proust s’est occupé de tout et il y a une voiture qui nous
attend.
Autant demander à un linebacker s’il aime saquer le
quaterback adverse.
Une heure plus tard, je remontais les Champs Élysées au
volant d’un cabriolet 500 SL flambant neuf. Une belle bête :
11
sièges en cuir, quatre places, et, à mon grand soulagement,
boîte automatique. Plus un bon petit V8 de cinq litres : un peu
léger, mais pas mal quand même.
Une question innocente à grand-père et je compris qu’il y
a un vrai fossé entre nous :
— Pour la bagnole… Pourquoi as-tu choisi ce gris métallisé
? J’aurais bien aimé que tu la prennes en rouge…
— Mais tu n’y penses pas ! Rouge, c’est pour les voitures
italiennes !
Il m’expliqua : les françaises sont bleues, les anglaises
vertes, les italiennes rouges et les allemandes gris métal.
Point final. Quant aux américaines, comme ce ne sont pas de
vraies voitures, la couleur n’a pas d’importance !
Pas une vraie voiture, ma Mustang ?
Pourvu qu’il n’ait pas attrapé la maladie d’Alzheimer ou
quelque chose de ce genre !
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Daniel Gauthier
La fréquentation des grands écrivains est un plaisir sans pareil - c'est moins cher que le sexe et ça dure plus longtemps.
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Daniel Gauthier
Le totalitarisme est une tentation de l'âme humaine : sous la direction du Grand Leader, construisons la société parfaite - mais d'abord, tuons tous les ennemis du Parti.
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Daniel Gauthier
La femme occidentale recherche à la fois l'homme ancien et l'homme moderne - la quadrature du cercle.
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Daniel Gauthier
Les jeunes d'aujourd'hui n'ont pas de chance : chômage, sida, tous ces vieux qui monopolisent le pouvoir - sauf les "fils de", évidemment.
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Daniel Gauthier
Les énarques sont des escrocs - mais des escrocs légaux.
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