Citations de Daniel Lapierre (20)
« Victime, c’est de soi-même qu’on l’est souvent et même presque toujours. »
« Je crois qu’il n’est guère d’adulte, a fortiori de mourant ou de vieillard, pour qui toute la jeunesse, en bloc, n’ait été le paradis, misère et fessées comprises. »
- Comment pouvez-vous penser cela, Hélène ? Il me semble, en vous écoutant, que je suis avec une amie
de longue date. Et puis, vous avez un tel talent de conteuse ! Je ne suis pas surprise, vous savez, que vous ayez eu envie d'écrire ! savez-vous ce que je pense, depuis un moment, en vous écoutant ? C'est qu'il est dommage que tout cela s'éteigne avec les mots.
C'est bien elle, je l'aurais parié. A force de vouloir très fort les choses, surtout inconsciemment, elle finissent par se produire. Il faut dire aussi que je ne souhaite que du possible. Je ne crois pas au miracle, au moins pour moi
Quelque chose m'irrite dans la façon de parler de la majorité des personnels. Une espèce de condescendance affectueuse, comme s'ils n'avaient que des gens séniles à soigner ou des enfants en bas âge. Et tous sur un ton identique ! Une espèce de maternage humiliant. J'ai presque envie de lui demander de me parler de la même façon qu'il s'adresse à la maîtresse de ses enfants, lorsqu'elle l'a convoqué pour une question scolaire.
- Chère petite Hélène, vous êtes très courageuse.
- Non, je ne crois pas. Qu'est-ce que vous voulez que je fasse d'autre ? Que je sanglote du matin au soir
sur mon sort ? Que je hurle pour qu'on me plonge dans le coma ? Non, merci.... Vous voyez, je suis
encore capable de vous entendre et de vous parler. Les cordes vocales, Dieu merci ! Ce n'est pas ce qui
exige le plus d'énergie.
Je raccroche l'appareil sur ces mots, tout étonnée de me sentir envahie soudain de tristesse, la carapace de
l'humour devenue inutile. Une noire tristesse qui me fait repousser ma table et le reste de mon repas. Je
n'y toucherai plus. Je ne veux pas me plaindre de mon amertume soudaine.
Mon esprit oublie un moment les douleurs du ventre et me rappelle le brave pape Boniface de Daudet, un petit coup de châteauneuf dans le nez et se trémoussant sur sa mule.
Une voix en moi est en train de me dire :"Hélène, tu vas trop loin, cette voix neutre de la sagesse et que je
joue avec le feu, moi, celui de l'Enfer. Je m'en veux d'ironiser sur les pratiques et les croyances religieuses. Je me dis que ce n'est pas le moment de ce mettre mal avec le Bon Dieu.
- Oui vous avez raison. Votre présence, votre amitié me manque de plus en plus souvent. Voyez de quelles
contradictions la vie est faite !
Il y a des gens, très peu, avec qui l'on se sent bien à parler, parce qu'ils vous écoutent sans jugement, sans
présupposé.
Vous êtes en train de vous demander si vous devez continuer à vous adresser à moi comme à une
femme normale. Ou alors, avec des précautions infinies pour ne pas mettre le feu au délire.... Vous
vous demandez si je ne suis pas folle au fond, réellement, sous une comédie de bon sens ?
- Mais non, Hélène, je vous rassure. Il me semble au contraire qu'il y en a peu aussi lucide que vous.
J'ai toujours détesté le mensonge, sans doute parce que ceux qui ont fait un bout de chemin avec moi,
accidenté ou non, ne cessaient jamais de fabuler pour me tromper. Et ça marchait presque toujours.....
Toute manifestation de la pensée est digne d'intérêt, jusqu'à la fin. Je suis là pour ça. Du moins, j'essaye.
Et ce n'est pas chose facile.
- Je veux bien le croire.
J'ai manqué d'humour, je le sens bien. Je deviens plus aigre. Je n'y peux rien. Ou je n'ai pas envie d'y remédier. Ca doit être l'acquis sociale qui fiche le camp.
Disons : des techniciennes de la maladie, même si je n'aime pas le mot et s'il ne recouvre souvent bien
plus de bonne volonté et d'empirisme que de science. Et puis les sentiments ne sont guère compatibles avec les soins. Dans ce milieu, le trop humain doit-être une gêne.
Je suis bien sûre que je n'ai pas pris froid. Pour me rassurer, l'interne m'a dit que ce sont des symptômes
classiques.
- Allô !
- Hélène ?
- Oui ?
- C'est Mara. Je viens aux nouvelles. Ca va ? Tu es peut-être déjà à table ?
- Oui, c'est cela, dans la salle de restaurant. Mais non, bourrique, ne rêve pas !
Ses questions m'agacent. Mais que ferais-je à sa place ? Je ne lui ai pas signifié de sortir ; alors....
Toute manifestation de la pensée est digne d'intérêt, jusqu'à la fin. Je suis là pour ça. Du moins, j'essaye.
Et ce n'est pas chose facile.
- Je veux bien le croire.
Quand j'ai vu qu'il ne se passerait rien, j'ai seulement craqué sur le petit matin et je me suis réveillé à onze heures avec un bon mal de tête.