Ce roman, composé de trois parties, est une sorte de saga dont le titre est emprunté à un air de l’opéra de Massenet, Thaïs : « Dis-moi que je suis belle, et que je serai belle, éternellement ». Ce qui n’apparaît pas dans le titre, la fin, est cependant traité ici : c’est notre inscription charnelle dans le temps.
L’homme a besoin d’histoires, soit pour s’identifier, soit pour se fuir, mais aussi pour s’inscrire dans l’Histoire. Ici cette dernière est constamment rappelée mais par petites touches, pour ancrer les personnages, fictifs, dans le réel. Comme dit Julien Gracq :
"Tous les ferments agissants que véhicule l’art d’une époque, c’est la littérature qui les véhicule ; un tableau a pu enchanter des moments d’une vie, il n’en a jamais changé aucune […] La littérature, et dans la littérature la fiction tout particulièrement, est par essence proposition d’un possible, d’un possible qui ne demande qu’à se changer éventuellement en désir ou en volonté." (Julien Gracq. En lisant en écrivant. Ed. José Corti, 1982.)
Œuvre d’imagination qui se veut classique, « Dis-moi que je suis belle » se déroule en deux lieux : Paris et Irancy, un village vigneron de Bourgogne. Les personnages, nombreux, gravitent autour d’Hélène (ou Hannah), qui a miraculeusement échappé aux nazis, fui sa Prusse natale, pour atterrir au milieu des vignes où elle fait connaissance avec la Bonté en la personne de Jeanne. Elle tente — en vain — d’oublier, et se jette dans la vie (ainsi que dans celle des autres) avec une énergie peu commune. Dans cet échantillon d’un monde bariolé évoluant sur plusieurs générations, parviendra-t-elle à se reconstruire ?
Le cadre est très précis : les descriptions « balzaciennes » du monde de la vigne ne sont pas épargnées au lecteur, ni à la fin celles de notre monde « postmoderne » régi par le téléphone portable, la télévision et les crèmes de beauté anti-âge.
L’auteur fait passer ses personnages de la jeunesse à la vieillesse et parfois leur métamorphose surprend, sorte de pied-de-nez au passé loin de tout comportement attendu. Mais la bonté de Jeanne est inaltérable.
En contre-point sont insérés dans cette trame romanesque des fragments qui viennent quelque peu « casser » le récit. Ce sont des pensées (parasites) (?) surgies en cours d’écriture et que l’auteur n’a pas écartées. Ces fragments, en gras dans le texte, témoignent — après-coup — d’une recherche littéraire quasi-policière. Qui écrit ? Qu’est-ce qu’écrire ? Tout en utilisant la poésie d’anecdotes piochées par-ci par-là à l’extérieur, est-ce s’écrire ? s’écrier, crier peut-être. Qui invente ceux qui tout à coup apparaissent si vivants sur le papier ou bien échappent ? D’où sortent-ils ? Qui sont les narrateurs que la Sorbonne ne semble pas avoir tous démasqués ? C’est l’auteur qui tient la plume et sera publié, mais qui dirige, inspire ou inhibe ?
Ces passages bousculent nos habitudes de lecture et sont un peu comme au cinéma quand Woody Allen quitte les autres dans la scène qu’ils sont en train de jouer pour se tourner vers les spectateurs de la salle et les interpeller.
Il s’agit d’un essai de personnification du narrateur, artifice que l’auteur a cultivé en s’amusant. Là les mots sont parfois très « crus », ou leur agencement baroque. Désir de jaillissement d’un parler vrai et venu de loin ?, lequel tente de jeter aux orties les corsets de la grammaire, de celle qui a toujours le dernier mot car toute sublimation est partage.
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