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Citations de David Graeber (395)


David Graeber
Le temps n'est pas une grille permettant de mesurer le travail ; c'est le travail lui-même qui est la mesure.

BULLSHIT JOBS, Chapitre 3 : Pourquoi avoir un job à la con rend-il si souvent malheureux ?
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Notons ce point capital : l'importance que revêt l'allure séduisante du rapport. C'est un thème récurrent dans les témoignages de cocheurs de cases, au sein des entreprises plus encore que dans les administrations. Si l'influence d'un manager se mesure au nombre de personnes qui travaillent pour lui, la manifestation concrète, immédiate, de son pouvoir et de son prestige, c'est la qualité visuelle de ses présentations et rapports. D'ailleurs, les réunions au cours desquelles ces emblèmes sont exposés aux regards sont un peu les rituels suprêmes du monde de l'entreprise. De même que la suite d'un seigneur féodal pouvait comporter des serviteurs dont le seul rôle — du moins, le seul rôle apparent — était de polir l'armure de ses chevaux ou d'épiler sa moustache avant les tournois ou les spectacles, les cadres d'aujourd'hui ont parfois des subordonnés dont la seule fonction est de préparer leurs présentations PowerPoint et de réaliser les cartes, croquis, montages photo ou illustrations qui les accompagnent. La plupart de ces rapports sont de simples accessoires dans une comédie digne du kabuki — personne ne les lit réellement du début à la fin. Mais cela n'empêche pas les cadres ambitieux de claquer joyeusement l'argent de la boîte, jusqu'à la moitié du salaire annuel d'un ouvrier, juste pour pouvoir dire : « Ah oui, bien sûr ! On a commandé un rapport là-dessus. »

Chapitre 2 : Quels sont les différents types de jobs à la con ?
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Un job à la con est une forme d’emploi rémunéré qui est si totalement inutile, superflu ou néfaste que même le salarié ne parvient pas à justifier son existence, bien qu’il se sente obligé, pour honorer les termes de son contrat, de croire qu’il n’en est rien.
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Aux États-Unis, par exemple, les militants du " mouvement pour des jurys pleinement informés " — qui rappellent que la Constitution autorise effectivement les jurys à trancher des points de droit et pas seulement de fait — sont fréquemment dénoncés dans les médias comme les partisans d'un retour à l'époque des lynchages et du " gouvernement de la populace ". Ce n'est pas un hasard si les États-Unis, un pays qui s'enorgueillit toujours de son esprit démocratique, ont pu prétendre diriger le monde en mythifiant, voire en déifiant leur police.

Chapitre Conclusion : L'impossible mariage de la démocratie et de l'État.
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Il n'est pas rare de voir des postes très haut placés et prétendument essentiels rester inoccupés pendant des mois, voire plus, sans que cela produise d'effets notables, y compris à l'intérieur même de l'organisation. Ces dernières années, la Belgique a traversé une série de crises constitutionnelles qui l'ont temporairement privée de gouvernement : pas de Premier ministre, pas de portefeuille de la santé, des transports, de l'éducation… Bien que ces périodes de vacance du pouvoir aient parfois été exceptionnellement longues — le record s'établit pour l'instant à 541 jours —, on n'a noté aucun impact négatif sur la santé, les transports ni l'éducation.

Chapitre 6 : Pourquoi notre société reste-t-elle sans réaction face à la généralisation des emplois inutiles ?
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Il est plus facile, dans des communautés de face-à-face, de se représenter ce que la plupart des membres de celles-ci veulent faire que d'imaginer les moyens de convaincre ceux qui sont en désaccord. La prise de décision consensuelle est typique des sociétés au sein desquelles on ne voit aucun moyen de contraindre une minorité à accepter une décision majoritaire, soit parce qu'il n'existe pas d'État disposant du monopole de la coercition, soit parce qu'il ne manifeste aucun intérêt ni aucune propension à intervenir dans les prises de décisions locales. S'il n'y a aucun moyen de forcer ceux qui considèrent une décision majoritaire comme désastreuse à s'y plier, alors la dernière chose à faire, c'est d'organiser un vote. Ce serait organiser une sorte de compétition publique à l'issue de laquelle certains seraient considérés comme des perdants. Voter serait le meilleur moyen de provoquer ces formes d'humiliation, de ressentiment et de haine qui conduisent au bout du compte à la destruction des communautés.

Chapitre 3 : La démocratie n'a pas été inventée à Athènes.
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Rémunérer les femmes à la même hauteur que les hommes reviendrait instantanément à placer entre leurs mains une part phénoménale de la richesse mondiale. Or tout le monde sait que la richesse, c'est le pouvoir.

Chapitre 7 : Quelles sont les conséquences politiques des jobs à la con, et comment y remédier ?
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L'exigence simultanée de créer un appareil de coercition uniforme sur toute l'étendue de la planète et de maintenir la prétention de cet appareil à recevoir sa légitimité du " peuple " a conduit à un besoin constant de définir QUI est précisément supposé être ce " peuple ".

Chapitre Conclusion : L'impossible mariage de la démocratie et de l'État.
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Les " pratiques " démocratiques, qu'on les définisse comme des procédures de décision égalitaires ou comme un mode de gouvernement par la discussion publique, tendent à apparaître dans des situations où des communautés règlent leurs affaires hors de la portée de l'État. L'absence de pouvoir d'État signifie l'absence de tout mécanisme systématique de coercition pour mettre en application les décisions.

Chapitre 7 : Les traditions comme actes de refondation permanente.
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L'orientalisme a permis aux autorités coloniales d'effectuer une distinction entre différentes civilisations, certaines d'entre elles étant considérées comme incorrigiblement décadentes et corrompues, et les " sauvages " qui, dans la mesure où ils n'étaient pas rabaissés au rang de race inférieure, pouvaient être l'objet d'une éventuelle " mission civilisatrice ". C'est la raison pour laquelle la Grande-Bretagne abandonna pour l'essentiel toute velléité de réformer les institutions indiennes dans les années 1860, et elle mobilisa cette même rhétorique plus tard en Afrique.

Chapitre 5 : Récupérations croisées.
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L'histoire d'amour des Américains — ou des Allemands — avec leurs voitures résulte en effet de décisions politiques délibérées prises par les élites politiques et économiques au début des années 1930. On pourrait écrire une histoire semblable sur la télévision, le consumérisme ou, comme Polanyi l'avait souligné il y a longtemps déjà, sur le "marché ".

Chapitre Conclusion : L'impossible mariage de la démocratie et de l'État.
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En 1930, John Maynard Keynes prédisait que, d'ici à la fin du siècle, les technologies auraient fait suffisamment de progrès pour que des pays comme la Grande-Bretagne ou les État-Unis puissent instaurer une semaine de travail de quinze heures. Tout laisse à penser qu'il avait raison. Sur le plan technologique, nous en sommes parfaitement capables. Pourtant, cela ne s'est pas produit. Au contraire, la technologie a été mobilisée pour trouver les moyens de nous faire travailler plus. Dans ce but, des emplois effectivement inutiles ont dû être créés. Des populations entières, en Europe et en Amérique du Nord particulièrement, passent toute leur vie professionnelle à effectuer des tâches dont elles savent secrètement qu'elles n'ont pas vraiment lieu d'être. Cette situation provoque des dégâts moraux et spirituels profonds. C'est une cicatrice qui balafre notre âme collective. Et pourtant, presque personne n'en parle.

LE PHÉNOMÈNE DES JOBS À LA CON.
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J'ai choisi la thèse de Huntington en grande partie parce qu'il s'agit d'une cible facile. Cette thèse du " choc des civilisations " est pour le moins faiblarde. Ses critiques ont à juste titre mis en pièces à peu près tout ce qu'il a à dire sur les civilisations non occidentales. Le lecteur pourrait donc légitimement se demander pourquoi j'y consacre tant de temps. La raison en est que les arguments de Huntington, du fait même de leur lourdeur, permettent de mettre en lumière l'incohérence d'affirmations partagées par presque tout le monde. En effet, aucun de ses critiques, à ma connaissance, n'a mis en cause l'idée selon laquelle il y aurait quelque chose que l'on pourrait désigner sous le terme d'Occident ; que cette entité pourrait être traitée simultanément comme une tradition littéraire provenant de la Grèce antique et comme la culture ordinaire, le sens commun des peuples vivant aujourd'hui en Europe de l'Ouest et en Amérique du Nord. Pas plus que n'a été contestée l'affirmation selon laquelle des concepts comme ceux d'individualisme ou de démocratie lui seraient d'une certaine façon spécifiques. Tout cela est considéré comme allant de soi. Ainsi certains peuvent s'engager dans une célébration de l'Occident comme berceau de la liberté, alors que d'autres le dénoncent comme la source de l'impérialisme et de sa violence. Mais il est presque impossible de trouver un politiste, un sociologue ou un philosophe — tant à gauche qu'à droite — qui mette en doute la possibilité même d'un discours sensé sur " la tradition occidentale ". Au contraire, nombreux sont ceux parmi les plus radicaux qui semblent penser qu'il est impossible de dire quoi que ce soit de sensé sur autre chose.
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La démocratie majoritaire ne peut donc émerger que lorsque deux facteurs sont conjointement à l'œuvre : 1) le sentiment que les gens doivent avoir un pouvoir égal, et 2) un appareil de coercition capable d'assurer l'application de ces décisions.
Dans la plus grande partie de l'histoire humaine, ces deux conditions n'ont été qu'exceptionnellement réunies au même moment. Là où existent des sociétés égalitaires, imposer une coercition systématique est jugé habituellement de façon négative. Parallèlement, là où un appareil de coercition existait pour de bon, il ne venait guère à l'esprit de ses agents qu'ils mettaient en œuvre une quelconque volonté populaire.
Nul ne saurait contester l'évidence que la Grèce antique a été l'une des sociétés les plus compétitives que l'histoire ait connues. Elle avait en effet tendance à faire de toute chose un objet de rivalité publique, de l'athlétisme à la philosophie ou à l'art dramatique, etc. Il n'est donc guère surprenant que la prise de décision politique ait connu elle aussi un sort semblable. Plus crucial encore est le fait que les décisions étaient prises par le peuple en armes.
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Un être humain privé de la faculté d’avoir un impact significatif sur le monde cesse d’exister. 
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En terme de systèmes-mondes, pendant la plus grande partie du Moyen Âge, l'Europe et l'Afrique ont noué presque exactement les mêmes relations avec les États les plus importants de la Mésopotamie et du Levant. Il s'agissait de périphéries économiques classiques, important des objets manufacturés et fournissant des matières premières, comme l'or et l'argent, et, d'une façon significative, un grand nombre d'esclaves (après la révolte des esclaves africains à Basra dans les années 868-883, le califat abbasside semble avoir commencé à importer plutôt des esclaves européens, jugés plus dociles). Durant toute cette période, l'Europe comme l'Afrique ne furent que des périphéries culturelles. L'Islam ressemble sous tellement d'aspects à ce qui sera plus tard appelé la " tradition occidentale " — même effort intellectuel mené pour articuler les Écritures judéo-chrétiennes et les catégories propres à la philosophie grecque, même accent mis dans la littérature sur l'amour courtois, même rationalisme scientifique et même juridisme, même monothéisme puritain et même impulsion missionnaire, même capitalisme mercantile en pleine expansion, mêmes vagues périodiques de fascination pour le " mysticisme oriental ", etc. — que seuls les préjugés historiques les plus tenaces ont pu aveugler les historiens européens et les empêcher de voir qu'il s'agissait bien là de la tradition occidentale, de comprendre que l'islamisation fut et continue d'être une forme d'occidentalisation et que c'est seulement à partir du moment où ils ont de plus en plus ressemblé à l'Islam que ceux qui vivaient dans les royaumes barbares du Moyen Âge européen en sont venus à ressembler à ce que nous appelons aujourd'hui " l'Occident ".

Chapitre 2 : Petite parenthèse sur le regard biaisé de l'Occident.
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D'une certaine façon, les traditions ne sont rien d'autre que le processus continu de leur fabrication. Ce qui importe, c'est que dans tous les cas, nous avons affaire à une élite politique — effective ou en puissance — qui s'identifie à une tradition de démocratie pour légitimer des formes essentiellement républicaines de gouvernement.

Chapitre 7 : Les traditions comme actes de refondation permanente.
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John Adams [...] affirmait [...] qu'aucune société parfaitement égalitaire ne saurait exister ; que toute société humaine doit avoir un chef suprême, une aristocratie (fondée sur la richesse ou sur la vertu, comme " aristocratie naturelle ") et un public. Et pour lui, la Constitution romaine était la plus parfaite dans sa capacité à équilibrer les pouvoirs de chacun. La Constitution américaine était censée reproduire cet équilibre en mettant en place une présidence puissante, un sénat représentant les plus riches et une chambre des représentants chargée elle de représenter le peuple — les pouvoirs de celui-ci étaient en fait limités au contrôle populaire de l'affectation des impôts. Cet idéal républicain est au cœur de toutes les Constitutions " démocratiques " et, aujourd'hui encore, de nombreux conservateurs aiment à rappeler que " l'Amérique n'est pas une démocratie, mais une république ".

Chapitre 4 : Sur l'émergence de " l'idéal démocratique ".
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A bien des égards, les États-Unis sont un pays allemand qui, en raison de la rivalité germano-américaine du début du XXe siècle, refuse de se reconnaitre comme tels. Malgré l’usage de la langue anglaise, il y a beaucoup plus d'Américains d'ascendance allemande que d'origine anglaise. (Pensons d'ailleurs aux deux incarnations suprêmes de l’alimentation américaine : le hamburger et la saucisse de Francfort - le hot dog.) Or l’Allemagne est un pays très fier de son efficacité bureaucratique. Ajoutons, pour être complet, que les Russes pensent souvent qu'ils devraient être plus doués pour la bureaucratie, et ont un peu honte de ne pas l'être.
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La vague actuelle des mouvements altermondialistes luttant pour une justice mondiale a été en grande partie initiée par l'AZLN, l'Armée Zapatiste de Libération Nationale, un groupe principalement composé de rebelles des Chiapas de langue maya, pour la plupart des " campesinos " qui ont formé de nouvelles communautés dans la forêt du Lacandon. Leur insurrection en 1994 a été explicitement menée au nom de la démocratie, terme par lequel ils désignaient quelque chose qui ressemblait bien plus au style athénien de la démocratie directe qu'aux formes républicaines de gouvernement qui se sont depuis approprié le mot. Les zapatistes ont développé un système très élaboré d'assemblées communautaires opérant par voie de consensus, complétées par des comités de femmes et de jeunes — afin de contrebalancer la domination traditionnelle des adultes mâles — et des conseils formés de délégués révocables. Ils affirment que ce système repose sur une radicalisation de la façon dont les communautés mayas se sont gouvernées pendant des millénaires. Nous savons que la plupart des communautés mayas des montagnes se sont gouvernés au moyen de certaines formes de système consensuel.

Chapitre 7 : Les traditions comme actes de refondation permanente.
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