Je suis en route, en voyage dans mon lit, le brancardier pousse, la maladie est mon grand périple, mon Grand Tour, un aller pour l'autre monde et peut-être un retour. La maladie est ce temps vacant, c'est- n'ai je pas déjà lu ça quelque part ? -le voyage des pauvres.
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Enfant, j'imaginais que j'arriverais un jour à un endroit où j'apprendrais tout, un endroit où tout serait clair, où toutes les questions, tous les mystères et tous les problèmes seraient résolus. Cet endroit où seraient révélés le pourquoi et le comment de cette vie, et à quoi elle sert, la raison pour laquelle je suis sur Terre et pourquoi telle ou telle chose a lieu. (...)
Un jour (j'avais neuf ou dix ans), j'ai voulu en avoir le cœur net et, une dague dans la main, je suis monté sur mon lit, prêt à me laisser tomber sur la lame émoussée. Il devait ainsi possible, me disais-je, de découvrir ce qui venait après cette vie. (...) Peut-être n'y a-t-il vraiment rien, rien du tout, je le pense aujourd'hui assez souvent. (...) Pour un "Moi", le rien est presque une insulte.
Eurotransplant était d'avis que nous devrions tenter l'aventure, toi et moi, toi la partenaire idéale et moi: même groupe sanguin, rhésus négatif. Nous nous sommes trouvés. Et nous nous sommes ratés, même si nous restons désormais ensemble. Et vivons encore un peu, toi par moi, moi par toi.
Dans une maison de santé, dit mon voisin de lit et camarade de chambre (il m'a entendu marmonner), on est condamné à rester allongé et à attendre que la santé revienne. Ou pas. On a beau loger dans sa maison, on n'est jamais sûr que la santé soit chez elle quand on vient la trouver.
Depuis la rive, ils me font signe. Ils m'attendent, ils sont tous là, ma mère, ma grand-mère, Rebecca, Alexandre, mon grand-père en uniforme et mes arrières-grands-parents que je ne reconnais pas tout de suite - je ne les ai jamais vus.
On me lave le dos, on me brosse les dents. Je n'ai rien à faire, juste à rester couché. Je n'ai même pas à manger, une infirmière m'apporte mes repas d'astronaute, de la nourriture liquide qui contient tout ce dont un corps a besoin. Ma position spatiale a le goût de la banane. Et soudain, une révélation, une certitude : cette chambre est vraiment mon vaisseau spatial, et je suis en route pour Mars. Au moins pour Mars. Même avec une position favorable des orbites, il y en aura bien pour un an. Ou plus. Je me fais une raison, je reste.
AU réveil, je vois B. dans ma chambre. Il rit et me félicite : Que je sois encore là, que je sois encore en vie, c'est un vrai miracle. Il poursuit, j'écoute - j'aime sa voix, je la connais depuis longtemps, depuis vingt-quatre ans. Et je sais déjà ce que va dire cette voix, je sais qu'il faut qu'il me remette sur la liste, qu'il me réinscrive sur la liste d'attente pour un nouveau foie, la liste sur laquelle j'étais déjà il y a quelques mois.
Je ferais peut-être mieux de penser qu'on m'a simplement installé une pièce de rechange. Comme sur une voiture. Je serais ainsi débarrassé de la métaphore botanique.