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Citation de Partemps


Le Gulistan
ou le Rosier du poète Sadi
1762

Sadi écrivait au milieu du xiiie siècle [2]. Il avait cultivé le bon esprit que nature lui avait donné ; il fréquenta l’école de Bagdad ; il voyagea en Syrie, il tomba entre les mains des chrétiens qui le mirent aux fers, et l’envoyèrent aux travaux publics. La douceur de son caractère et la beauté de son génie lui acquirent un protecteur qui le racheta et qui lui donna sa fille. Il a composé un poëme intitulé le Gulistan, ou le Rosier. En voici l’exorde traduit à ma manière.

« Une nuit, je me rappelai la mémoire des jours que j’avais passés. Je vis combien j’avais perdu de moments, et j’en fus affligé, et je versai des larmes, et à mesure que mes larmes coulaient, il me sembla que la dureté de mon cœur s’amollissait, et j’écrivis ces vers, qui convenaient à ma condition [3].

« À chaque instant une partie de moi-même s’envole. Hélas ! qu’il m’en est peu resté ! Malheureux, tu as cinquante ans, et tu dors encore ! Éveille-toi ; la nature t’a imposé une tâche ; t’en iras-tu sans l’avoir faite ? Le bruit du tambour et de la trompette s’est fait entendre, et le soldat négligent n’a pas préparé son bagage. L’aurore est levée, et les yeux du voyageur paresseux ne sont pas encore ouverts. Veux-tu ressembler à ces insensés ? Celui qui était venu a commencé un édifice, et il a passé ; un autre le continuait, lorsqu’il a passé ; un troisième s’occupait aussi du monument de vanité, lorsqu’il a passé comme les premiers. L’opiniâtreté de ces hommes, dans une chose de néant, ne doit-elle pas te faire rougir ! Tu ne prendrais pas un homme trompeur pour ton ami, et tu ne vois pas que rien ne trompe comme le monde ? Le monde s’en va, la mort entraîne indistinctement le méchant et le bon ; mais la récompense attend celui-ci. L’infortuné, c’est celui qui va mourir sans se repentir. Repens-toi donc ; amende-toi ; hâte-toi de déposer dans ton sépulcre la provision de ton voyage. Le moment presse ; la vie est comme la neige. À la fin du mois d’août, qu’en est-il resté sur la terre ? Il est tard, mais tu peux encore si tu veux, si tu ne permets pas aux charmes de la volupté de te lier. Allons, Sadi, secoue-toi [4]. »

Le poëte ajoute : « J’ai pesé mûrement ces choses ; j’ai vu que c’était la vérité, et je me suis retiré dans un lieu solitaire. J’ai abandonné la compagnie des hommes ; j’ai effacé de mon esprit tous les discours frivoles que j’avais entendus. Je me suis proposé de ne rien dire à l’avenir d’inutile, et j’avais formé cette résolution en moi-même et je m’y conformais, lorsqu’un ancien camarade, avec qui j’avais été à la Mecque sur un même chameau, fut conduit dans mon ermitage. C’était un homme d’un caractère serein et d’un esprit plein d’agrément. Il chercha à m’engager de conversation. Inutilement ; je ne proférai pas une parole. Dans les moments qui suivirent, si j’ouvris la bouche, ce fut pour lui révéler mon dessein de passer ici, loin des hommes, tranquille, obscur, ignoré, le peu qui me restait de jours à vivre, adorant Dieu dans le silence, et ordonnant toutes mes actions à la dernière ; mais l’ami séduisant me peignit avec tant de douceur et de force l’avantage d’ouvrir son cœur à l’homme de bien, lorsqu’on l’avait rencontré, que je me laissai persuader. Je descendis avec lui dans mon jardin ; c’était au printemps ; les roses étaient écloses ; l’air était embaumé du parfum qu’elles exhalent sur le soir. Le jour suivant, nous allâmes nous promener et converser dans un autre jardin. Il était aussi planté de roses et embaumé de leur parfum ; nous y passâmes la nuit. Au point du jour, mon ami se mit à cueillir des roses, et il en remplissait son sein. Je le regardais, et son amusement m’inspirait des pensées sérieuses, je me disais : Voilà le monde, voilà ses plaisirs, voilà l’homme, voilà la vie, et je méditais un ouvrage que j’appellerais le Rosier, et je confiai cette idée à mon ami et il l’approuva, et je commençai mon ouvrage, qui fut achevé avant que les roses ne fussent fanées dans le sein de mon ami[5]. »
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