LE COUCOU
C'est qui celui qui sonne ?
Un rôdeur invisible,
un gamin qu'on sermonne ?
C'est les deux à la fois
et qu'est-ce qu'il insiste
à la porte du bas
dont s'est brisée la clenche
l'oiseau aux deux tons doux
et si cruels
qu'on appelle
le coucou
quand on ne sait plus nommer
l'espèce noire de l'enfance
voleuse d'autres nids !
SAISON POUR VIVRE OU POUR MOURIR
Ce matin sur la terre l'automne est un chien noir
avec au cou un peu de brume en taches claires et
le lapin qu'il a levé dans le hallier courait comme
un ciel d'été à l'instant où les orages en tenue grise
ouvrent la chasse
C'est par le tremblement des pattes et de la langue
qu'on sait si les saisons s'en viennent ou s'en vont
mais cette palpitation dans le flanc d'une bête qui
peut dire si la vie ou la mort y afflue ?
Poème d'après le retour
En roulant tout à l'heure sous la pluie c'était la même
encre noire et le même bruit que lorsque l'on tourne
les pages d'un livre quand il pleut et qu'on lit pour
s'abriter sous le silence
dans la cuisine en automne avec à la fenêtre un arbre
noir qui tangue comme un vieil encrier dans lequel
une plume cherche un mot impossible pour finir le
poème d'un retour sous la pluie
Je ne souffrais pas, ça c'était bien. Ou alors si j'avais mal, c'était à un endroit qu'on ne peut pas situer dans le corps. C'était peut-être même en dehors, à condition que ce soit possible, bien sûr.
CHÈVRES, SIÈCLES ET ROIS
Pour sentir au visage un peu d'air
‒ quelque chose comme le souffle lent du monde ‒,
je marche vers le soir jusqu'à l'embarcadère
d'où l'ombre en felouque veut gagner l'autre rive.
Des chèvres poussent au pied de la montagne
de petits cris pour converser avec les rois.
Que voulez-vous désormais qu'il nous arrive?
Que voulez-vous demain que ça nous fasse ?
Les siècles bruissent comme une nuée d'éphémères
près de la lampe aux immobiles rondes
en avalant des croix.
Louxor, 12 mars 2000
FEMME EN VERT SUR LA PLAGE
Un matin de juillet à Kusadasi,
une femme en paréo vert est venue sur la plage
et tournée vers la mer immobile et quasi
semblable à une statue de sel,
elle a regardé longtemps le large,
l'île bleue de Samos, l'écume des nageurs.
Que pouvait bien ainsi scruter celle
dont je ne savais ni la nature des yeux
cachés derrière des lunettes noires,
ni le motif de sa simple détresse
qui fit d'elle pour moi ce matin de juillet
non pas une déesse venue à pied d'Éphèse
mais une femme belle d'être énigme à jamais ?
Asie Mineure, été 2003
FUGUE POUR RETROUVER UN SEUL INSTANT
Je sais à quel moment ce pays vibre le mieux
c'est aux heures lasses quand l'ombre des chênes
sous les pas prend la forme d'une contrebasse
Je m'en vais alors à creuse-temps
à fouille-tristesse dans la plaine
et rentre des soutes du noir en
mâchant les chemins comme des couennes
avec cette seule solitude : la rude errance des nuits
de corde qui donne au crâne son poids brut et aux
mots l'ombre crue qui les porte
PETITS EXERCICES D'OBSERVATION DU CIEL
On dit certains soirs que le temps est lourd mais
il n'y a pas la moindre balance
pour peser le ciel à moins que les bras des
Hommes n'atteignent un jour l'équilibre
— le lest du crâne soudain compensé par le gramme
bleu de l'œil cet unique
contrepoids de l'ombre
Les chansons ne sauvent de rien mais sans elles on meurt encore plus vite.