Ce qu’il avait pris pour un miracle en survivant aux coups de poignard du cardinal s’était mué en évidence : il était devenu insensible à toute forme de destruction physique. À moins de voir son corps séparé de sa tête, rien ne semblait plus être à même de le faire mourir. La chose était incroyable, impensable, impossible, mais bien réelle ! La seule explication à tout ceci ne pouvait que résider dans l’absorption forcée de cet élixir.
Cette vermine n’avait en rien changé son discours. Il mentait, c’était évident. Mais il allait avouer. La torture était faite pour ça ! Il verrait ainsi qu’on ne joue pas impunément avec la patience des gens. Ridiculiser de cette façon l’homme le plus puissant du pays avait un coût. Et ce jeune effronté se devrait d’en assurer le paiement. De toute manière, au vu de sa nouvelle condition, il se remettrait de l’épreuve. Et si cela ne menait à rien, le cardinal trouverait bien une autre méthode à employer. Il lui fallait ce secret. C’était pour lui plus que vital. Ce n’était pourtant pas faute d’être fortuné.
Il avait pensé à un moyen de la discréditer et voulait savoir ce que j’en pensais. Dire qu’il ne portait pas « l’autruche » dans son cœur était un euphémisme. Pour tout dire, il l’exécrait, l’abhorrait, la haïssait et maudissait chaque jour que Dieu faisait de lui avoir volé sa place au sein du département. Usant et abusant de flatteries, de lancers de croupe et d’œillades ajustées auprès de la hiérarchie, elle était parvenue à faire passer Sarkis au second plan. Si bien que le poste sur lequel il avait longtemps louché avait été dévolu à cette pimbêche un jour de juin, alors qu’il était en congés dans sa Grèce natale. Mais les choses allaient changer. L’occasion n’avait jamais été aussi belle. Il avait décidé de se débarrasser d’elle une bonne fois pour toutes et il toucherait enfin au but. Encore fallait-il que son plan soit couronné de succès.
Vous savez que ces cellules se multiplient dans notre corps. Ce que vous ne savez peut-être pas en revanche, c’est que nos cellules n’ont qu’un nombre limité de divisions au cours de notre vie. C’est pourquoi nous vieillissons. Nous savons aujourd’hui ce qui empêche les cellules de se diviser à l’infini. Le problème réside en effet dans la transmission des chromosomes d’ADN d’une cellule mère à une cellule fille. Car, après chaque division de cellule, ces chromosomes s’érodent à leurs extrémités, jusqu’à ce qu’une cellule mère ne puisse plus transmettre à sa fille l’intégralité de son ADN. Cette cellule, devenue alors incapable de se diviser, vieillit et meurt.
« Tant qu’il n’y a pas de corps, il n’y a pas d’assassin ». Oui, sans doute. Alors il ne fallait pas que j’avoue quoi que ce soit. Pourtant, pour une raison qui m’échappa, je me vis l’espace d’un instant lui lancer la phrase fatidique. Celle que j’avais entendue tant de fois dans les films. La fameuse phrase dont on pense qu’elle vous met à l’abri alors qu’elle signe plutôt la preuve de votre culpabilité : « Je veux un avocat ».
Il fallait voir les choses en face et accepter son destin. Inutile de se torturer l’esprit plus que de mesure : le célèbre ascenseur social ne s’arrêterait de toute façon jamais à mon étage ! Je n’étais fait que pour cette vie moyenne, sans relief. Alors, pour une fois qu’il y survenait un événement de taille, autant en profiter, fut-ce à mon détriment. Cette fois, JE ferais la une des journaux, mais JE déciderais du moment.
Le stratagème élaboré pour la discréditer ne pouvait que fonctionner. Et s’il n’était pas glorieux, il relevait du principe simple selon lequel la fin justifie les moyens. Aucune raison de s’embarrasser de scrupules avec celle qu’il avait toujours considérée comme une usurpatrice, doublée évidemment, selon son expression même, d’une sacrée pétasse.
« Je suis bien trop payé pour ce que je fais et pas assez pour ce que je suis capable de faire ! »
Dans cet avion qui le ramenait en Europe, Erwan faisait machinalement l’inventaire de sa vie. Cette vie qu’il avait consacrée jusqu’à ce jour à son seul travail, si passionnant mais si dévoreur de temps et donc du reste de son existence. Ce travail qui n’allait pas tarder à le faire désigner comme « sauveur de l’humanité ». Un investissement qui l’avait empêché jusqu’alors de construire quelque chose de « normal », avec femme et enfants, mais qui avait conduit à ce résultat dont il n’avait jamais douté. Un succès qui laisserait son patronyme à la postérité. Tout comme Pasteur, Curie ou Einstein, Lamblin allait devenir un nom qu’on inscrirait dans les livres d’histoire.
Tu adores donner des gifles, toi, je me trompe ? Tu sais que ça énerve celui qui les reçoit ? Bien sûr que tu le sais. C’est très humiliant de se faire gifler. Je sais que certains aiment, mais, personnellement, ça a vraiment le don de m’irriter. Et pas simplement les joues !