E.C. Monti

— Ah oui, mais non. Celui dont on te parle est du genre à s’arracher la petite culotte, si tu vois ce que je veux dire.
— Pas trop, non, niais-je avec mauvaise foi.
— Ben, par exemple, ton bonhomme, quand il ne joue pas les crétins, est de ce genre-là.
Je me raclais très bruyamment la gorge en plissant des yeux teigneux sur Erasiel, mais comme à l’accoutumée, elle l’ignora royalement.
— En ce qui me concerne, je trouve le beau minuilian carrément plus affriolant, pouffa Léona.
— Oh ben quand même ! Tout en plume est un bon dix sur dix, plaida Erasiel.

Le petit groupe qui me fixait en fit de même, et je pus voir que celui aux yeux de chat était bien plus petit que ses amis ; huit ou neuf centimètres tout au plus. Était-il « Adri », l’ami de Nautilo, qui m’avait veillé tant de temps, à la demande de la princesse Lilith ? Difficile à dire, d’autres farfadets mesuraient cette taille, et lors de notre rencontre à la brèche, mon état ne m’avait pas permis une observation poussée, sans parler du fait que lui-même avait veillé à camoufler son visage.

À peine passée la porte-fenêtre, je faillis bien tout lâcher devant le spectacle extraordinaire qui se déroulait devant moi. Les centaines de lutins avaient disparu. À leur place se dressait l’image vivante des elfes, ou, tout du moins, l’idée que je m’étais toujours faite des elfes. Leurs ailes n’étaient plus visibles, de même que les chapeaux phrygiens, et, surtout, leurs yeux avaient complètement changé. Là où les lutins avaient eu des regards d’onyx, les elfes, eux, possédaient des iris, certes toujours dénués de pupilles, mais nacrés comme des perles, et de couleurs différentes d’un individu à l’autre.

Une voix qui prenait de l’ampleur au point d’en devenir douloureuse, vrillant les tympans, écrasant les neurones. Une voix autrement si douce, si mélodieuse. À présent, elle était chargée de vrombissement de frelons, furieuse, et le cauchemar prit un cran dans l’horreur. Ezora se téléporta directement sur les assaillants, ses yeux si rêveurs, au naturel, jetant littéralement des éclairs, alors qu’il envoyait une décharge sur Racha.
— Tuez-les ! Ces créatures du diable sont à la solde de la sorcière démoniaque ! Pas de quartier ! ordonnait une Hélène aux yeux exorbités en se précipitant à nouveau sur nous.

Il n’y avait pas beaucoup de choses que nous autres, démons, avions conservées de notre ancienne nature angélique, mais, pour le coup, je me serais volontiers passée de celle-ci. Car tout comme les anges, une fois épris d’une personne c’était gravé dans le marbre, pour ainsi dire. Un amour d’autant plus imposant chez les démons, du fait que ce sentiment était rarissime pour nous et tout à fait impossible à contrebalancer de par le manque total de bonheur dans nos vies à côté de ça. Cela donnait un amour éternel qui ne permettait pas vraiment la survie quand il était sans retour ou perdu...

Mon cœur était intact, en revanche, je sentis très (trop) clairement la lame s’enfoncer dans mon œil, le faisant littéralement exploser avant que le coup ne se prolonge au reste de mon visage, éclatant les os de ma face jusqu’à la mâchoire inférieure...

Il me fixa longuement en levant un sourcil narquois.
— Je ne suis pas dingue ! me rebiffais-je. Allez, ça suffit ces bêtises, on va sortir et s’amuser ! J’ai franchi une grande étape en sortant en milieu humain et il est hors de question que je m’arrête en si bon chemin parce qu’un bonhomme à la beauté suspecte me colle une peur monstre. Je vais passer outre et continuer mon apprentissage du monde.
— À la beauté suspecte ? releva Luukas avec amusement.
— Tout à fait. Ce type est bien trop beau, c’est louche ! déclarais-je en agitant ma cuillère pour appuyer mon ton suspicieux.

Alors, entre mes paupières mi-closes, je vis une petite ombre apparaître près de l’entrée. Le lutin était minuscule, haut de quinze centimètres tout au plus et gracile bien que possédant des épaules carrées qui confirmaient son sexe supposé. Le farfadet se déplaça rapidement de mon côté et me jeta un regard. Il avait d’immenses yeux tout noirs, sans cornées ni pupilles, mais brillants comme des onyx polis au milieu de son minuscule visage pâle aux traits indistincts tant tout était réduit, si ce n’est les yeux. De longues oreilles dépassaient de chaque côté de sa tête chapeautée...